Enseigner sur le fait d’être oppresseur: Quelques considérations personnelles et politiques

par Steven P. Schacht

  • Je crois que la vérité sur n’importe quel sujet n’apparaît que lorsque toutes les facettes de l’histoire sont mises ensemble, et lorsque leurs différentes significations s’éclairent mutuellement. Chaque écrivain rédige les parties qui manquent à l’histoire d’un autre écrivain. Et l’entière vérité, c’est ce que je suis après.

Walker 1983

 Des programmes de Women’s studies, d’études sur le sexe et le genre, ont été créés dans la grande majorité des écoles supérieures et des universités des États-Unis au cours des vingt-cinq dernières années. Bien que la création et la pérennité de ces programmes ont rencontré des résistances,ils ont également obtenu d’innombrables succès. Dans toutes les disciplines universitaires, les programmes de Women’s studies ont sérieusement remis en question les conceptions du genre, de l’ethnicité, de la classe et de la sexualité. Ils ont également revigoré des dialogues entre plusieurs champs d’études – dont beaucoup étaient depuis longtemps fatigués et pollués. En conséquence, il a été l’un des champs académiques qui s’est développé le plus vite. À bien des égards, les études de genre ont changé à jamais le visage du monde universitaire.

 Sans doute, une conséquence quelque peu latente mais néanmoins importante de cette transformation a été l’impact que ces Women’s studies (et du féminisme en général) ont eu sur des gens comme moi. Cela signifiait qu’être un homme blanc hétérosexuel1 issu de la classe moyenne supérieure, c’était être né avec un statut social qui m’a donné des possibilités illimitées pour obtenir des quantités incommensurables de prestige masculin, et le privilège, le pouvoir et le confort qui vont avec. Cependant, au moment où j’entre dans la quarantaine (âge qui confère souvent un autre statut social masculin privilégié dans notre société), je me retrouve secrètement et ouvertement à rejeter les rôles oppressifs qu’une société dominée par les hommes a forgés pour moi, et à les remplacer par une approche féministe et une façon d’être particulière (Schacht et Ewing 1998; Schacht, 2000a).

 Cet article explore mes tentatives en tant qu’homme blanc à contribuer de façon utile aux programmes des Women’sSteveS studies dans les différents campus où j’ai enseigné, et au mouvement féministe dans son ensemble. Reconnaissant que je dois prendre un chemin différent des femmes pour avoir un regard féministe sur le monde (Schacht et Ewing, 1997), je reconnais également qu’en tant qu’enseignant (pro)feministe2, la contribution essentielle que je peux faire pour les Women’s studies est également très différente de celle des enseignantes (Schacht, 2000b). La connaissance pratique que j’apporte dans mes cours est de me placer précisément comme étant celle d’un membre incroyablement privilégié de la société: je suis homme, blanc, hétérosexuel, et issu de la classe moyenne supérieure (Haraway, 1988). Puisqu’être privilégié a diminué de manière significative la probabilité que je sois opprimé – tel que défini par Young (1988), je peux sincèrement prétendre n’avoir aucune expérience de l’oppression – cela a par contre augmenté la probabilité que je sois oppresseur. C’est-à-dire que, par mes actes et ma simple présence, une grande partie de ma vie a consisté à être oppressif envers les autres. En conséquence, une grande partie de mon privilège et de mon statut a été acquis aux dépends de personnes subordonnées dans la société, leur condition réelle et évidente de subordonnées m’étaient nécessaire pour être supérieur et construire ma masculinité : c’était par l’humiliation et l’avilissement des autres (parfois sous la forme de corps meurtris et ensanglantés)3, par la réaction de terreur et de douleur dans leurs yeux, par l’impuissance typique et l’inefficacité de leur réponse, tout cela me faisait éprouver et croire fallacieusement que j’étais supérieur à tant d’autres.

 Une grande partie de ce que les féministes ont écrit et qui est enseigné dans les cours de Women’s studies concerne, cependant, les expériences de l’oppression et les fondements injustes de ces trop fréquentes réalités sociales. Puisque je n’ai aucune expérience de l’oppression, il semblerait de prime abord que je pourrais bien peu contribuer à l’émancipation des femmes et d’autres personnes subordonnées. Cependant, je crois que c’est justement à partir de mon vécu d’oppresseur que je peux contribuer à la création d’un monde plus juste. En racontant mon histoire spécifique sur les moyens et les raisons de devenir oppresseur, j’espère parvenir à être un collaborateur utile pour « écrire l’entière vérité » avec l’espoir que de nouvelles histoires, non oppressives puissent être envisagées et mises en œuvre.

Sur le fait d’être Homme et Sur-privilégié

Comme je l’ai écrit ailleurs (Schacht 2000, et b), j’essaie de plus en plus d’enseigner à l’aide d’une pédagogie féministe. Cela signifie qu’autant les outils que j’utilise dans mes cours que ma façon d’aborder la classe a considérablement changé au cours des quinze dernières années où j’ai enseigné. Puisque j’ai déjà exploré en détail comment j’ai personnellement tiré bénéfice d’une approche pédagogique féministe et que j’ai relaté les retours positifs des élèves à mes tentatives, je dois maintenant envisager clairement cette question : Qu’est-ce que j’essaie finalement d’accomplir en tant qu’homme hétérosexuel blanc enseignant le féminisme à mes classes?

 Il y a évidemment de nombreuses façons dont je pourrais y répondre. De plus, je suppose que beaucoup de mes réponses seraient tout à fait similaires à ce que les enseignantes féministes espèrent accomplir dans leurs classes. Mais, en fin de compte, j’espère apprendre aux participant-es de mes cours que la raison pour laquelle les femmes, les personnes de couleur, les pauvres, et ainsi de suite, sont vraiment désavantagés tient au fait que certaines personnes, comme moi, sont vraiment sur-privilégiées dans notre société. Plus précisément, en combinant les outils féministes utilisés en cours, qui explorent les différents moyens par lesquels certaines personnes sont opprimées et exploitées, en tant que catégories, et mes propres expériences en tant qu’homme blanc issu de la classe moyenne supérieure, je tente de partager avec les étudiant-e-s les façons dont une grande partie du privilège qui m’a été destiné a été immérité, comment j’ai tiré bénéfice de l’oppression des autres, la nature souvent injuste des rétributions que j’ai reçues, et ce que j’essaie personnellement de faire pour changer cette situation.

 Dans un article désormais classique et souvent réédité, « Privilège blanc : déballer le havresac invisible», Peggy McIntosh (2000) explore les nombreuses façons dont les gens blancs tirent des privilèges associés à leur couleur de peau. Comme j’utilise fréquemment cet article dans mes classes, je crois qu’il fournit un excellent modèle sur la façon dont je tente d’expliquer les fondements oppressifs de ce que je suis (être un homme, en particulier, puisque c’est le sujet principal de mon article) pour les participants de mes cours. Son texte énumère (de façon non-exhaustive) les nombreuses manières dont sa blancheur lui confère des privilèges immérités au quotidien. Comme elle le note également, les situations qu’elle choisit « se rattach[ent] un peu plus au privilège de la couleur de peau qu’à la classe, la religion, le statut ethnique ou le lieu géographique » et sont les plus éloignées de ce que peuvent lui raconter ses « collègues, amis et connaissances afro-américaines … qui ne peuvent pas compter sur la plupart de ces situations ».

 Dans son analyse McIntosh fait la distinction importante entre les « avantages positifs » et « avantages négatifs ». Les avantages positifs sont des choses comme un logement adéquat, l’alimentation et les soins médicaux auxquels tous les gens devraient avoir droit. Comme elle l’affirme, nous devrions travailler à étendre ces types d’avantages à toutes les personnes et à faire en sorte qu’ils deviennent la norme d’une société juste. Parce que beaucoup de ces avantages positifs ne sont cependant disponibles que pour certaines personnes, ils demeurent des privilèges immérités et injustes. D’autre part, les avantages négatifs sont ceux qui renforcent plus encore les réalités hiérarchiques de notre société, à cause d’une acceptation aveugle et/ou d’un refus de les rejeter. Ce sont des privilèges qui non seulement subordonnent et oppriment des gens, mais qui servent souvent aussi à renforcer et à améliorer le statut du groupe dominant qui en use.

 Bien que j’explore ces deux types d’avantages dans mes classes, je souligne plus fortement les privilèges négatifs que les hommes se sont attribués dans notre société. La liste suivante est un échantillon de situations conférant un statut sur lequel je sais que je peux compter pendant n’importe quelle journée ; je la discute dans mes classes à travers mes propres expériences passées – soit comme témoin, soit comme participant actif. En tant que tel, bien que la recherche universitaire puisse illustrer toutes ces situations, je préfère les énumérer comme telles puisqu’elles sont basées sur mes expériences : ce sont mes observations et mes prises de conscience. En accord avec le cadre de McIntosh, ce sont tous des privilèges qui me sont accordés et qui sont en grande partie et, dans certains cas, totalement niés pour les femmes. En raison des limites de mon propre point de vue, partial et situé, cette liste ne devrait évidemment pas être considérée comme exhaustive, loin de là.

 1. Je peux être pratiquement sûr que, pour la plupart des emplois auxquels je pourrai postuler, j’aurai non seulement une plus grande chance de les obtenir qu’une femme aussi qualifiée que moi, mais aussi que je serai payé davantage qu’une femme pour le même travail. En plus d’accéder à de plus grande possibilités d’emploi et de meilleures rémunérations que les femmes, lorsque je décide de m’aventurer dans une carrière traditionnellement dévolue aux femmes (par exemple, infirmier ou enseignant) je peux toujours compter sur le fait d’être mieux payé et promu plus souvent que mes homologues femmes.

 2. Quand je vais louer/acheter une voiture ou une maison (ou faire effectuer des réparations), je peux m’attendre à non seulement être traité d’une façon beaucoup plus professionnelle qu’une femme (qui est traitée de façon paternaliste dans ce genre de transactions commerciales), mais dans la plupart des cas, à finalement payer moins cher pour le même produit ou service.

  3. Quand je lis le journal ou quand je regarde les nouvelles du soir, je peux largement présumer que la grande majorité des histoires concernera les réalisations des hommes. Par ailleurs, à travers les médias, je peux être assuré que les descriptions les plus positives sont pour les hommes et leur importance. Inversement, lorsque les femmes sont rendues visibles, ce sera généralement de façon insignifiante, comme mannequin (objets sexuels) pour vendre certains biens ou services, ou sous la forme de certains produits d’appoint dont toutes les « vraies » femmes ont besoin (par exemple, les cosmétiques et les produits amaigrissant).

 4. Si j’aime regarder le sport, je suis pratiquement assuré que tous les participants importants, les plus habiles, seront également des hommes qui sont payés des sommes d’argent incroyables pour renforcer mon sentiment d’être un homme et l’apparence d’être supérieur. Sinon, je suis presque aussi assuré que, lorsque les femmes sont présentées lors de ces événements, ce sera le plus souvent sous la forme de supportrices qui admirent les hommes beaucoup plus importants sur le terrain. Et dans les quelques événements où les femmes sont exclusivement présentes, elles seront régulièrement présentées d’une manière qui dénigre largement leurs compétences par rapport aux hommes. Par ailleurs, je suis pratiquement assuré que toutes les équipes sportives que je pourrais acclamer auront des noms virils pour renforcer encore mon sentiment masculin d’être important. Parfois, quand ces mêmes noms sont appliqués à leurs homologues féminines, on se retrouve avec des résultats assez étranges : l’équipe de basket-ball féminine de mon université s’appelle Lady RAM.

  5. Si je suis sexuellement actif, même si je couche avec beaucoup de gens, je peux largement compter sur le fait de ne pas être vu comme une salope, une pute ou une prostituée. Au contraire, plus généralement, je serai tenu en haute estime, peut-être considéré comme un « tombeur », avec ce comportement qui atteste de mon sentiment d’être supérieur.

6. Je peux largement compter sur des modes vestimentaires qui assurent ma mobilité et renforcent mon statut de personne importante alors que souvent les femmes sont censées porter des vêtements qui briment et qui visent à objectiver leur statut de subalterne dans notre société. En outre, puisque la mode des femmes est souvent conçus par des hommes, je suis presque assuré que la mode pour hommes durera plus longtemps et coûtera moins d’argent.

 7. Je ne suis pas supposé dépenser mon maigre revenu dans du maquillage, des pommades pour la peau et des crèmes anti-âge pour couvrir mes imperfections, et je ne suis pas non plus supposé dépenser de l’argent dans des régimes (à moins d’être gravement obèse), tout cela afin que je puisse être considéré comme attrayant et socialement acceptable.

 8. Si je suis marié ou même en concubinage, je peux compter sur mon « épouse » pour accomplir la plupart du travail domestique et pour avoir la responsabilité de la plupart des soins à prodiguer aux enfants si nous en avons, qu’elle ait un emploi ou non.

 9. Si de façon imprévue mon « épouse » tombe enceinte – ou d’ailleurs, toute femme avec qui j’ai pu avoir des relations sexuelles – je peux être certain que ce sera presque entièrement considéré comme étant de sa faute et qu’il en va de sa responsabilité de se débrouiller, surtout si la grossesse n’est pas souhaité de ma part.

 10. Si, dans ma quête pour me sentir supérieur, je décide de violer une femme, je peux être assuré de la faible probabilité qu’elle aille relater mon acte criminel misogyne à la police. Si, par malchance, je dois faire face à l’accusation de viol, contrairement à tout autre crime, je peux compter sur la vie et le statut de mon accusatrice pour déterminer si elle est digne d’être appelée ma « victime » lors du procès.

 11. Pour démontrer ma supériorité, si je ressens le besoin d’agresser physiquement mon « épouse » (ou d’autres femmes que je prétendrai aimer), au point de pouvoir même la tuer, je peux être raisonnablement assuré que je ne serais pas tenu responsable de mes actions. Inversement, si une femme agit de la sorte contre moi, en particulier pour un meurtre, je peux compter sur le fait qu’elle sera beaucoup plus tenu responsables de ses actions.

 12. En outre, si agresser mon « épouse » ne suffit pas, je peux en plus diriger mon autorité perverse contre mes enfants. À moins que ce ne soit l’enfant de quelqu’un d’autre, si je me fais prendre, je sais que la peine la plus classique sera que mes enfants doivent quitter mon domicile, et que ma « femme » sera en grande partie aussi tenue responsable et blâmée pour mes agissements ; m’allégeant ainsi d’une partie, si ce n’est de la plupart, de la responsabilité de mes actes.

 13. Si je décide de rompre avec ma conjointe , ou que ce soit elle qui prenne cette décision, si des enfants sont concernés, je peux m’attendre à ce qu’elle les aura à sa charge (à moins que je souhaite qu’il en soit autrement), et par conséquent j’aurai une augmentation de mon niveau de vie, en sachant pertinemment, la plupart du temps, que son niveau de vie à elle va considérablement baisser.

14. Si je ne dispose pas d’une femme à rabaisser pour consolider davantage mes idées fumeuses de supériorité, je peux facilement, et à moindre coût, sortir et acheter ou louer des représentations pornographiques qui seront un substitut pour ça. Si ça n’est pas suffisant pour renforcer mes sentiments de supériorité, je peux aller dans un club de striptease, un peep-show, ou un combat de femmes dans la boue / un concours de T-shirt mouillé pour avoir des représentations en direct de la subordination des femmes (de leur corps), ou mieux encore, je peux sortir et acheter une prostituée à cet effet.

15. Lorsque je m’aventure dans l’espace public, je peux raisonnablement être assuré que je ne vais pas être harcelé ou agressé sexuellement. Inversement, si je rencontre une femme dans ce même contexte, je peux compter en grande partie sur un simple regard terroriste/viril de ma part pour la mettre mal à l’aise en ma présence. La chose vaut aussi pour la plupart des bars. Si je suis particulièrement audacieux, je peux faire de l’exhibitionnisme devant une femme ou me masturber devant elle afin de renforcer davantage ma masculinité, et pour durablement implanter cette image dans sa tête, et ici encore je peux largement m’attendre à ne pas me faire attraper ou punir.

16. Si j’ai des problèmes médicaux spécifiques, je peux être assuré que la majorité des fonds de recherche dépensés sont destinés à remédier aux problèmes de santé masculins, en effectuant les recherches sur des sujets majoritairement masculins (un exemple extrême de cela est le Viagra, qui a été développé pour répondre à l’impuissance masculine, et qui aurait des propriétés prometteuses mais non prouvées pour les dysfonctionnements sexuels des femmes).

17. Si je ressens le désir de rechercher des exemples positifs de personnes en position d’autorité, quasiment partout où je regarde, je peux facilement trouver un homme pour assouvir ce besoin. Si mon identification avec ces exemples masculins spécifiques n’est pas suffisante pour augmenter mon estime de moi, je peux facilement renforcer davantage cette sensation en voyant que, très largement, la plupart des femmes ont des postes subalternes dans notre société.

 18. Quand j’écoute ma radio ou que je regarde des clips, je peux être assuré que la plupart des artistes que j’écouterai seront des hommes qui, souvent, dénigrent explicitement les femmes dans les couplets de leurs chansons. En outre, la plupart des rares artistes femmes qu’on passe sur les ondes vont chanter en revanche des chansons qui renforcent la domination masculine et la subordination des femmes.

 19. Lorsque j’attends à la sortie de l’école, je peux compter sur le fait que souvent l’enseignant-e accordera plus d’importance à mes demandes et à ma présence qu’à celles des femmes présentes.

 20. Dans les écoles où j’exerce, je peux compter sur le fait que davantage de fonds sont dépensés pour les activités pratiquées traditionnellement par les hommes, surtout les sports (malgré l’adoption du Title IX 4 d’il y a 25 ans, sur l’égalité des chances dans l’éducation), et que j’ai en général un plus large éventail d’activités auxquelles participer.

 21. Je peux aussi être plutôt confiant sur le fait que mes parents seront en faveur d’un plus large éventail d’activités disponible pour moi, qu’ils dépenseront plus d’argent pour celles-ci, et qu’ils me laisseront davantage de liberté pour explorer ce qui m’entoure.

 22. Au moment d’entreprendre des conversations avec les femmes, je peux largement m’attendre à ce que ma voix soit entendue plus souvent par chacun de nous, que mes propos soient plus validés, et si je ressens le besoin d’interrompre une femme alors qu’elle est en train de parler (en accentuant encore le poids de ma voix) je serais, selon toute vraisemblance, généreusement pardonné pour ma transgression.

 23. Si jamais je ressens le besoin de dénigrer verbalement quelqu’un-e pour stimuler ma masculinité et mon précaire sentiment d’exister, j’aurais à ma disposition des termes péjoratifs innombrables qui se réfèrent explicitement aux femmes à cette fin. Inversement, je peux utiliser les quelques termes péjoratifs qui se réfèrent explicitement à mon genre masculin d’une manière positive et revendicative: « Scott, t’es vraiment un couillon” » ou un connard , un pote .

 24. Si je le souhaite, je peux compter sur la disponibilité de nombreux espaces réservés aux hommes pour mon plaisir et pour me soutenir. Et bien qu’il y ait quelques espaces exclusivement féminins (certains étant auxiliaires aux groupes d’hommes), je peux toujours compter sur le fait que ceux auxquels je participe sont presque toujours perçus comme plus importants, avec des actes pour appuyer cette affirmation.

25. Enfin, si je choisis de ne pas participer à l’une des conditions qui précèdent, le simple fait que je peux faire ce choix est en soi révélateur et assez significatif du privilège qui fonde ce choix. En outre, je peux toujours compter sur les autres hommes pour mettre en œuvre ce privilège, ce qui en fin de compte maintient toujours mon statut supérieur dans la société. Tout ce que l’on attend de moi, c’est de garder le silence et, moi aussi, je percevrai mon dividende du patriarcat.

 Je suppose qu’il est assez facile pour le-la lecteur-ice de comprendre la nature injuste de chacune des situations ci-dessus. Bien qu’une poignée de participants à mes cours contestera parfois leur fréquence et/ou leur applicabilité à leurs propres expériences, la plupart atteste de la nature injuste de celles-ci et de nombreux autres privilèges. Après avoir présenté et discuté chacun de ces avantages négatifs injustes, je réserve toujours une grande partie du temps restant pour discuter ce que chacun de nous peut faire pour résister à leur existence. Pour les participantes à mes classes, cela se fait habituellement en explorant les différentes attitudes attendues des femmes – l’oppression intériorisée – et les comportements correspondants que les femmes entreprennent souvent pour arriver à ces résultats. Pour les participants hommes, cela nécessite généralement de ma part que j’explore les façons dont les hommes pourraient relâcher leurs poings qu’ils maintiennent serrés – littéralement, dans certains cas – et de s’orienter vers des approches plus juste de la vie.

 Décontracter le pénis et laisser monter le sang au cerveau. N’est-ce pas étonnant les choses qu’on peut vérifier?

 Nous vivons dans une société où l’ignorance est vraiment une bénédiction, surtout pour ceux qui bénéficient du statut et du privilège masculin immérité, qui à leur tour offrent souvent aux hommes une excuse pour nier l’existence des réalités hiérarchiques sexistes très réelles et nuisibles qui nous entourent et le rôle actif que les hommes doivent jouer pour leur maintien. Bien que certains hommes sont prêts à admettre que les femmes sont défavorisées dans notre société, très peu d’hommes sont prêts à reconnaître qu’ils sont sur-privilégiés (McIntosh, 2000). Après tout, le faire réellement signifierait que les hommes devraient non seulement admettre la base imméritée et injuste de leur avantage, mais peut-être même changer personnellement et céder une partie de leur privilège. Dans un monde de compétition comme le notre, l’abandon d’avantages – mérités ou immérités – au cours d’une vie pourrait sembler au mieux insensé pour la grande majorité des hommes.

 Et pourtant, en tant que compagne, mère, sœur, fille ou tout simplement amie, la plupart des hommes ont des femmes importantes dans leur vie et dont ils se soucient profondément, qu’ils aiment, et parfois qu’ils considèrent même comme leurs égales. Je crois que c’est là que réside la vraie promesse de la pédagogie féministe que j’apporte dans mes cours. Au lieu de parler abstraitement de la domination masculine et de la subordination des femmes, je tente de mettre un visage sur l’oppression. J’offre mes propres expériences de production des privilèges masculins immérités, et je reconnais le tort que cela a infligé à d’autres – à la fois à des femmes et des hommes. Des étudiants hommes, souvent courageux, présenteront également leurs expériences de pratique de la domination masculine. Dans toutes les discussions en classe, des étudiantes livrent librement et fréquemment leurs expériences de l’oppression que les hommes leur infligent. Combiné avec mes rappels constants sur « qui » sont les personnes et « quel » est l’objet dont nous parlons, que ce soit nos partenaires, parents, frères, sœurs, enfants, amis, chacun de nous ressort des images vécues de l’oppresseur et de l’opprimé. Ces « visages » de la réalité démontrent combien cette oppression est trop commune, comment elle est nuisible pour beaucoup, et pourquoi chacun-e d’entre nous – hommes et femmes – doit fournir des efforts pour parvenir à la disparition de cette situation.

 En sensibilisant les hommes aux avantages injustes que la société leur confère, en y associant les connaissances sur la façon dont cela est oppressif pour les femmes qui comptent pour eux, beaucoup d’hommes sont laissés dans une impasse idéologique: comment peuvent-ils exprimer personnellement une attention et du respect pour le bien-être de ces femmes tout en participant aux réalités qui causent l’oppression de ces mêmes femmes dans des domaines sociaux plus grands ? Bien que je n’ai pas de manière significative la possibilité de mesurer réellement la réponse à cette question, j’ai vu beaucoup d’hommes dans mes classes (pas tous, il est vrai) s’éloigner du discours défensif utilisé pour justifier et vivre le privilège masculin que la société leur confère injustement. Un monde sans privilège masculin immérité serait une étape importante dans la poursuite d’un avenir non-oppressif, égalitaire.

 Références

*Haraway, Donna. 1988. «Savoirs situés: la question de la science dans le féminisme et le privilège de la perspective partielle». Article publié dans le recueil : Des singes, des cyborgs et des femmes – la réinvention de la nature, éditions Jacqueline Chambon, 2009.

*McIntosh, Peggy. 2000. «Privilège blanc : déballer le havresac invisible » (original disponible en ligne ici: http://www.library.wisc.edu/edvrc/docs/public/pdfs/LIReadings/InvisibleKnapsack.pdf; et en français ici : http://www.millebabords.org/spip.php?article8087  )

*Schacht, Steven P. and Doris Ewing. 1997. « The Many Paths of Feminism: Can Men Travel Any of Them? » Journal of Gender Studies 6(2): 159-176.

*Schacht, Steven P. and Doris Ewing. 1998. Feminism and Men: Reconstructing Gender Relations. New York: New York University Press.

*Schacht, Steven P. 2000a. « Paris is Burning: How Society’s Stratification Systems Makes Drag Queens of Us All. » Race, Gender & Class 7(1): 147-166.

*Schacht, Steven P. 2000b. « The Promise of Men Using a Feminist Pedagogy: The Possibilities and Limits of a Partial and Situated Perspective. Unpublished manuscript.

*Walker, Alice. 1983. À la recherche du jardin de nos mères. New York: Harcourt Brace–Janovich.

*Young, Iris. 1988. « The five faces of oppression. » Philosophical forum 19:270-90

1 Alors que dans mes cours et dans les interactions personnelles, je me définis et je m’identifie de plus en plus souvent comme queer et/ou simplement comme sexuel ; comme ma partenaire est une femme, et en constatant que la plupart des gens me considèrent toujours et me traitent comme « hétérosexuel » j’utilise donc ce terme ici et dans cet article.

2 J’utilise « (pro)féministe » comme une manière d’englober à la fois les hommes qui s’identifient comme proféministes et les autres hommes, dont le nombre est peut-être égal, qui se pensent comme hommes féministes.

3 Les règles des divers groupes d’hommes auxquels j’ai appartenu prescrivait qu’on ne devrait jamais être violent envers une femme. En conséquence, même si j’ai grièvement blessé d’innombrables hommes, je n’ai jamais été physiquement violent envers les femmes. Néanmoins, quand j’étais plus jeune, j’ai souvent utilisé mes ressources économiques pour contrôler et abuser de nombreuses femmes.

4Titre IX est le nom de l’amendement Title IX of the Education Amendments voté en 1972 aux États-Unis qui interdit toute discrimination sur la base du sexe dans les programmes d’éducation soutenus par l’État. (Ndt)

teaching

Texte Original : http://www.nostatusquo.com/Schacht/teaching.html

 Traduction : Yeun L-Y et Mickaël Merlet. Relecture : Choralyne Dumesnil.

Alors que nous souhaitions demander l’autorisation à l’auteur pour publier la traduction de son article, nous avons appris qu’il était décédé. Nous le reproduisons donc ici sans son accord.

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