Archives du mot-clé Viol

Jay Dionne : 4 poèmes

[Les poèmes qui suivent viennent du Québec et sont signés Jay Dionne.  Je les publie ici avec son autorisation et je l’en remercie. Les illustrations ont été ajoutées par moi.]

Grandir

Un jardin d’été

Une nuit étoilée

La chaleur du soleil

Sur ma peau bronzée

***

J’me suis privé

Quatre longues années

Pour les troquer

Contre la drogue

***

Sale

***

Pourquoi?

J’me le demande souvent

Pis

Finalement,

J’ai compris

***

La Misère

A beau être ma mère

***

J’pu

Un ti cul.

Lire la suite

Le livre d’Elize Ducange : Juste à moitié… Dévorée (une courte présentation par des extraits)

Les témoignages des survivantes de l’inceste et les luttes pour stopper les agressions ont gagné en puissance grâce à la trainée de poudre qu’est #MeToo.
Ici, avec Juste à moitié… Dévorée, Elize Ducange livre son récit des violences subies dans l’enfance.

Banale histoire d’une petite fille hantée

Gardienne du secret à perpétuité

je suis condamnée

Puisque tout est cause et conséquence

je suis la cause

je suis la conséquence

trop jolie qu’ils disaient

il faut se méfier

il faut s’en méfier

petite tentatrice de 3 ans

offrir ses fesses à nettoyer forcément

l’idée a germé.

Malgré ce vécu fait de traumatismes, et peut-être d’autant plus du fait de ce vécu, l’autrice développe une certaine poésie dans son témoignage, une poésie belle, touchante et poignante.
Lire la suite

Susan J. Brison : « Survivre à la violence sexuelle : une perspective philosophique »

[L’article de Susan J. Brison a été publié en 1993 dans le n°2 de la revue Projets Féministes, éditée alors par l’AVFT. Quelques rares exemplaires papier sont en ventes. Pour ce faire, prendre contact sur la page du blog destinée à ça. Le PDF de l’article est ici]

"Survivre à la violence sexuelle : Une perspective philosophique« [1]

Susan J. Brison,  Professeure de philosophie, Dartmouth college. U.S.A.

En tant que texte philosophique, ce que je présente ici est peu orthodoxe dans son style et son contenu. Mon but principal n’est pas de défendre une thèse à force d’arguments, mais plutôt de donner au lecteur accès par l’imagination à ce qui est, pour certaines, une expérience inimaginable, celle d’une survivante du viol. Le fait qu’il y ait si peu de textes philosophi­ques consacrés à la violence contre les femmes résulte non seulement d’un manque de compréhension de sa fréquence et de la gravité de ses consé­quences, mais aussi de l’idée fausse selon laquelle celle-ci ne constitue pas un sujet proprement philosophique. J’espère éclaircir dans cet essai la na­ture et la gravité du préjudice causé par la violence sexuelle et montrer en même temps pourquoi les philosophes devraient commencer à prendre plus au sérieux ce problème.

Le 4 juillet 1990, à dix heures et demie du matin, je suis sortie me pro­mener sur une route de campagne apparemment paisible, dans un village près de Grenoble. Il faisait un temps magnifique, et je n’enviais pas mon ma­ri, Tom, qui devait rester à la maison pour travailler sur un manuscrit avec un collègue français. Je chantais ; je me suis arrêtée pour caresser une chè­vre et pour cueillir quelques fraises des bois au bord de la route. Une heure et demi plus tard, j’étais étendue sur le ventre dans le lit boueux d’une pe­tite rivière au fond d’un ravin très sombre, me débattant pour ne pas mourir. J’avais été agrippée par derrière, tirée dans un sous-bois, battue, et agressée sexuellement. Me sentant absolument impuissante et à la merci de mon agresseur, je lui ai adressé la parole, l’appelant « Monsieur ». J’ai fait appel à son humanité et comme cela n’y faisait rien, j’en ai appelé à son intérêt per­sonnel. Il m’a traitée de putain et m’a dit de la fermer. Je lui avais dit que je ferais tout ce qu’il voulait, mais à mesure que l’agression se poursuivait, je résistais instinctivement, ce qui l’enrageait à tel point qu’il m’a étranglée jus­qu’à ce que je perde connaissance. Quand je suis revenue à moi, il m’a tirée dans le ravin en me traînant par les pieds. Souvent, lorsque je rêvais, je croyais être éveillée ; à ce moment-là j’étais éveillée et convaincue que c’é­tait un cauchemar. Mais ce n’était pas du tout un rêve.

Après m’avoir ordonné, d’une voix brusque à la Gestapo, de me mettre à quatre pattes, il m’a de nouveau étranglée. Si seulement je pouvais com­muniquer l’horreur que je ressentais de perdre connaissance, alors que mes instincts vitaux luttaient désespérément contre les effets de la strangulation. Cette fois, j’étais sûre que je mourais. Mais j’ai repris connaissance, pour aussitôt le voir s’avançant brusquement vers moi avec une pierre, grosse comme un melon. Il me l’a jetée violement et a atteint mon front, ce qui m’a fait perdre connaissance une nouvelle fois et puis, après une dernière tenta­tive de strangulation, il m’a laissée pour morte.

Lire la suite

« L’enfer des passes » un compte-rendu par Sandrine Goldschmidt

[Compte-rendu publié dans le n°210 de la revue Prostitution et société]

L’essai majeur de Rachel Moran, « Paid For », est enfin traduit en français, sous le titre « L’enfer des passes ». Il paraît le 12 novembre aux Editions Libre.

C’est peu dire que ce livre essai-témoignage de la survivante irlandaise Rachel Moran, « L’enfer des passes, mon expérience de la prostitution » est importante, et qu’on attendait depuis des années sa traduction. Reconnu par de nombreuses personnalités (Gloria Steinem, Catherine Mac Kinnon, Ashley Judd) comme l’un des plus importants jamais écrits sur la prostitution, il n’a, sept ans après, rien perdu de sa clairvoyance. 

La fondatrice de Space international, association de survivantes de la prostitution, commence le livre en racontant ce qui l’a menée à être prostituée : la maladie mentale de ses parents, la maltraitance, la rue, les foyers, puis le « petit copain proxénète ». « Différents éléments s’emboîtèrent parfaitement de sorte que la prostitution se présenta à moi comme étant la seule option qui me paraît viable »dit-elle. 

L’enfer des passes, un système fait pour les hommes

Tout au long de l’ouvrage, elle décortique à merveille le système qui l’a menée et maintenue en prostitution, et qui ne pénalisait pas les hommes prêts à payer une gamine de 15 ans pour du sexe. Elle refuse d’abord, pendant deux ans, autre chose que la masturbation et la fellation. Ce qui ne la protégea ni de la violence de la prostitution, ni du viol.  Puis, elle a accepté la pénétration et a connu toutes les formes de prostitution, de la rue au bordel en passant par le strip-tease. 

Lire la suite

Communiqué de presse d’Osez le féminisme ! :  Affaire Jacquie et Michel

 

Affaire Jacquie et Michel : 4 “acteurs” mis en examen pour viol, la fin de l’impunité !

Quatre “acteurs” de vidéos pornographiques sont mis en examen pour viols dans l’affaire French Bukkake : c’est une première historique en France. Après la mise en examen de deux producteurs (dont un, Matthieu Lauret qui est l’un des principal fournisseur français de films pour Dorcel et Jacques et Michel) en octobre 2020 pour viols et proxénétisme aggravés et traite des êtres humains, ces mises en examens constituent une étape fondamentale vers  la fin de l’impunité pour l’industrie pornocriminelle tout entière.  Nous saluons la force des victimes de violences pornocriminelles, dont la prise de parole courageuse contribuera à mettre à mal cette zone de non-droit.

  Ce 28 octobre 2021, nous avons appris la mise en examen pour viols de quatre “acteurs”, dont “Tonio Love” et “Eddy Blackone”. Cela fait suite à la mise en examen de deux producteurs de Jacquie et Michel et de Dorcel en octobre 2020 ainsi que deux de leurs complices. L’un d’entre eux était chargé de chasser et piéger des femmes pour alimenter  en « actrices  » cette industrie de la violence. 
Ce ne sont que les débuts d’une affaire historique pour laquelle plus de 50 victimes ont déjà été recensées. C’est toute l’organisation d’une industrie pornocriminelle qui est mise à nue : un vaste réseau de proxénétisme et de trafic d’êtres humains, soumettant des femmes à la prostitution, aux viols et à des actes de torture. 
Les “acteurs” se défendent en invoquant qu’un contrat a été signé pour preuve de “consentement”. La justice va se charger de leur rappeler la loi : le consentement ne s’achète pas avec un contrat ; tout acte sexuel commis par la contrainte, la violence, la menace ou la surprise est constitutif du crime de viol. 
Cette affaire est révélatrice de la violence structurelle de l’industrie pornocriminelle qui n’est rien d’autre qu’un vaste système de proxénétisme. La proposition de “charte” présentée par plusieurs producteurs de l’industrie pornocriminelle depuis la révélation de cette affaire ne fait pas illusion. Elle est une insulte à l’intelligence au regard des faits criminels commis sur ces “tournages”. Cette charte est la réponse malhonnête d’une industrie qui sait qu’elle est illégale. C’est la justice pour les victimes que nous demandons !
Depuis notre premier signalement à la justice en février 2020, nos associations féministes, Les effronté-es, le Mouvement du Nid, et Osez le Féminisme ! sont au côté des victimes de la pornocriminalité, et se battront pour mettre fin à l’impunité de l’industrie pornocriminelle. 
Le procès en France s’inscrit dans une dynamique mondiale de lutte contre les violences pornographiques. Ainsi, aux États-Unis, PornHub est attaqué pour diffusion de viols, de viols pédocriminels, de tortures, de violences sur des femmes et filles inconscientes… Suite à l’enquête du NY Times, “The children of Pornhub”, en décembre 2020, Pornhub a déjà retiré 75% des vidéos du site, et la lutte féministe s’amplifie aux États-Unis, comme en Inde, au Canada, en Espagne, en Corée… 

La pornographie est le summum de la violence misogyne contre les femmes et les filles. Selon la chercheuse Gail Dines, 88% des vidéos contiennent des scènes de violences sexuelles, alimentant le pire de la culture du viol. Outil de propagande patriarcale, la pornographie nourrit la haine misogyne contre les femmes et les filles, et les pires archétypes sexistes, lesbophobes, racistes et porteurs d’une idéologie pédocriminelle. Il ne peut y avoir de lutte contre les violences masculines sans inclure la lutte au côté des victimes du système pornocriminel. Notre société défend l’égalité et la réciprocité du désir, le système pornocriminel n’y a pas sa place.

Francine Sporenda : POURQUOI LES HOMMES ONT PEUR (de la sexualité libre) DES FEMMES

Francine Sporenda a étudié en licence et maîtrise à l’université Paris 3. Après un passage dans le journalisme, elle a repris ses études aux Etats-Unis pour un Master et un Ph.D.(doctorat), avec une spécialisation en histoire des idées politiques. Franco-américaine, elle a enseigné comme maître de conférences à l’école de sciences politiques (School of Advanced International Studies) de la Johns Hopkins University. Ex-membre du bureau des Chiennes de garde, elle est responsable rédactionnelle du site « Révolution féministe ». Elle vient de publier Survivre à la prostitution, ces voix qu’on ne veut pas entendre chez M éditeur.

 Les dominants ont peur des dominés

On sait que les hommes conventionnellement socialisés à la virilité ont peu de considération pour les femmes – sexisme bienveillant ou sexisme hostile –voire les détestent – misogynie. Mais derrière ces attitudes visibles, il y a un sentiment plus profond, caché, la peur qu’elles leur inspirent. Ils pourront, quand ils sont entre eux, admettre qu’ils les méprisent et les détestent mais ils ne peuvent pas reconnaître qu’ils en ont peur : un homme, censé être fort, courageux, indépendant, ne peut avouer sa peur des femmes sans ruiner son image virile. Et les hommes étant la classe de sexe qui détient le pouvoir, pourquoi auraient-ils peur de la catégorie qu’ils ont asservie et à laquelle ils se considèrent comme supérieurs ?

En fait, c’est justement pour cela qu’ils ont peur : en règle générale, les dominants ont toujours peur de ceux qu’ils ont asservis. Les maîtres avaient peur des esclaves, les colons se méfiaient des colonisés, les patrons craignaient les prolétaires. Et les hommes ont peur des femmes. Exemples :

Peur des propriétaires d’esclaves du Sud des Etats-Unis : sur leurs plantations, les Blancs étaient beaucoup moins nombreux que les esclaves, désavantage numérique expliquant leur hantise des conspirations et révoltes serviles. Des règles strictes étaient édictées pour empêcher autant que possible ces rebellions : interdiction faites aux esclaves de se réunir en « non-mixte » hors de la surveillance des Blancs, interdiction de sortir de la plantation, interdiction de posséder des armes, interdiction d’apprendre à lire et écrire, etc. On note que, pendant des siècles, les femmes ont été soumises à des interdictions similaires. Et cette peur était d’autant plus obsédante que les maîtres vivaient côte à côte avec leurs « esclaves de maison » et qu’à leur crainte d’être massacrés s’ajoutait celle d’être empoisonnés par leurs cuisinières et valets. Les colonisateurs vivaient pareillement dans la hantise des révoltes indigènes, et des mesures strictes, stipulées dans les codes indigènes, étaient également prises pour contrôler les colonisés et s’assurer de leur docilité.

La raison pour laquelle les dominants ont peur de ceux qu’ils ont réduits en servitude est évidente : ils savent obscurément que leur domination n’existe et ne se perpétue que par la coercition, la manipulation et la violence, et ils redoutent à juste titre que les dominé.es ne se rebellent contre leur tyrannie voire emploient pour s’en libérer les mêmes moyens qu’eux-mêmes ont employés pour l’imposer : l’arroseur arrosé. Ils ont pour habitude de représenter ceux-ci comme stupides, fourbes et cruels pour justifier leur asservissement et étouffer tout scrupule éthique : racisme et sexisme. On note que les peuples réduits en esclavage et colonisés sont souvent féminisés symboliquement : les caractéristiques qu’on leur attribue – fourberie, animalité, stupidité, infériorité biologique – sont celles stéréotypiquement attribuées aux femmes.

La peur des hommes vis-à-vis des femmes relève d’explications du même ordre – peur d’autant plus forte qu’entre les sexes l’intimité est exceptionnellement étroite. Cette proximité est ressentie comme rendant la perfidie féminine spécialement dangereuse : plus les relations sont intimes, plus grand est le risque de trahison. Et comme elles savent tout des faiblesses des hommes qu’elles côtoient, notamment sexuelles, les femmes sont régulièrement accusées d’en jouer pour les asservir : dans les mythologies et les textes religieux, les récits de héros guerriers « castrés » car devenus le jouet docile de femmes séduisantes sont nombreuses et enseignent aux hommes à se défier de ces dangereuses tentatrices – Hercule et Omphale, Samson et Dalila, etc. C’est aussi une histoire d’arroseur arrosé : ce que les hommes craignent au fond, c’est le retour de bâton, la vengeance kharmique des femmes – si elles venaient à se libérer de leur joug, ne les traiteraient-elles pas comme ils les ont traitées ? Et – fantasme d’un matriarcat triomphant – ne pourraient-elles pas un jour prendre le pouvoir, tant ils ne peuvent concevoir une organisation non-hiérarchique des relations sociales, hors du schéma patriarcal dominant-dominé ?

Lire la suite

Aucun aménagement personnel dans le système du patriarcat ne mettra fin au gynocide (Compte-rendu du livre Notre sang d’Andrea Dworkin)

couverture-1re-Dworkin-Notre-sang
[le livre n’est pas distribué en france, mais quelques exemplaires sont cependant commandables ; pour cela merci de m’écrire via la page contact de Scènes de l’avis quotidien ]

Je reproduis les deux « encarts » ouvrant le livre.

« Pour Barbara Deming

Je considère que si nous sommes prêtes à affronter nos colères qui nous semblent les plus personnelles, dans leur état brut, et nous nous donnons la tâche de traduire cette colère brute en une colère destinée à rechercher un changement, nous nous trouverons dans une position beaucoup plus persuasive pour interpeller les camarades sur la nécessité d’extirper de toute colère la volonté de meurtre. Barbara Deming, On Anger et We Cannot Live Without Our Lives »

« À la mémoire de Sojourner Truth

Alors, les femmes ne réclament pas la moitié d’un royaume, mais leurs droits, et elles ne les obtiennent pas. Quand elles viennent les exiger, n’entendez-vous pas comment les fils houspillent leurs mères comme des serpents, parce qu’elles réclament leurs droits ; et peuvent-elles demander quoi que ce soit de moins ? [] Mais nous aurons nos droits ; regardez voir si nous n’y arrivons pas ; et vous ne pouvez pas nous en empêcher ; regardez voir si vous en êtes capable. Vous pouvez houspiller autant que vous le voulez, mais c’est en train d’arriver. Sojourner Truth, 1853 »

Les grands éditeurs n’aiment pas le radicalisme des féministes. Une puissante autrice comme Andrea Dworkin n’a pas trouvé place dans leurs collections. Il a donc fallu plus de quarante ans pour que ce livre trouve enfin un petit éditeur québecois engagé pour que nous puissions en lire une traduction en français. Merci aussi à Yeun et à Martin.

« J’ai donc pris la parole en public – non pas avec l’étalage improvisé de pensées ou l’effusion de sentiments, mais avec une prose façonnée pour informer, persuader, perturber, provoquer la reconnaissance, autoriser la rage ».

Dans sa préface, preface-dandrea-dworkin-a-son-livre-notre-sang-predictions-et-discours-sur-la-politique-sexuelle/, publiée avec l’aimable autorisation de M éditeur, Andrea Dworkin aborde, entre autres, l’absence d’édition de ses travaux, ses conférences, la réception de son livre Woman Hating. Elle présente les contextes et les textes ici rassemblés. L’autrice parle aussi du travail d’écriture, de « la présomption systématique d’appropriation masculine du corps et du travail des femmes, la réalité matérielle de cette possession, la dévalorisation économique du travail des femmes », d’écriture « pour une voix humaine »…

Un ensemble de conférences et de textes publiés en 1974 et 1975 :

  • Le féminisme, l’art et ma mère Sylvia
  • Renoncer à l’« égalité » sexuelle
  • Se souvenir des sorcières
  • L’atrocité du viol et le gars d’à côté
  • La politique sexuelle de la peur et du courage
  • Redéfinir la non-violence
  • Fierté lesbienne
  • Notre sang : l’esclavage des femmes en Amérike
  • La cause première
Lire la suite

« Protéger les mineur·es des crimes et délits sexuels et de l’inceste » par Catherine Le Magueresse & Laure Ignace

[L’article plus bas est une analyse du projet de loi qui sera débattu devant l’assemblée nationale prochainement. Il a été mis en ligne ici. Je remercie Laure Ignace pour son autorisation à le répercuter. L’autre autrice, Catherine Le Magueresse, vient de publier un livre indispensable concernant le traitement judiciaire des agressions sexuelles (viol, harcèlement, inceste,…) : Les pièges du consentement. Elle y explique l’histoire du concept de consentement, et montre en quoi la justice protège les agresseurs – avec de nombreux exemples tirés des tribunaux . Elle y explique les pièges, en particulier à travers la critique de la notion de « contrat », tant vantée dans nos sociétés libérales. Après avoir exposé et mis en discussion différentes refontes possibles du droit – à travers des propositions féministes ou des recours au droit international -, Catherine Le Magueresse ouvre des pistes pour que les victimes soient entendues et reconnues et pour éviter que des failles dans les textes permettent aux agresseurs de fuir leur responsabilité ; ainsi entre autres, elle développe et défend l’idée du consentement positif qui permet d’inverser la charge de la preuve : le mis en cause doit prouver qu’il s’est assuré du consentement. Les propositions que portent l’autrice, juriste et Docteure en droit, prennent aussi racine dans une longue pratique des tribunaux et d’accompagnement des victimes. Pour rappel : « 1% seulement des viols déclarés par les femmes dans les enquêtes de victimation donne lieu à une condamnation en justice ». Dans un dernier chapitre, elle s’attaque au consentement à l’activité sexuelle des mineur-es, et la conclusion magistrale élargit, entre autres, sur la culture porno en pleine croissance et l’intérêt-et-les-limites du droit. Je vous invite à lire cet ouvrage – riche, pointu et très clair ; tout comme celui de Suzanne Zaccour, La fabrique du viol, lui aussi indispensable.]

Le gouvernement avait annoncé un interdit clair : les majeurs ne pourraient plus « avoir » une activité sexuelle avec une personne mineure de moins de 15 ans (ou de moins de 18 ans en cas d’inceste). Nous y avons cru. Et nous sommes trahi·es: le texte en cours de discussion parlementaire maintient le droit des agresseurs. Appel aux sénateurs et sénatrices.

Le 23 mars 2021

Le Sénat est appelé à se prononcer, en seconde lecture, sur la proposition de loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste, dite « PPL Billon ». Ce texte (n°447) examiné en commission des lois mardi 23 mars, sera soumis au vote des sénateur·trices jeudi 25 mars.

Ce calendrier, extrêmement serré, laisse peu de temps pour un débat citoyen alors même que le texte comporte un certain nombre de dangers et d’absurdités. Il est donc impératif de le modifier.

Dans ce contexte, et pour parer au plus urgent, nous concentrerons notre analyse critique sur l’article 1er de la PPL.

Tout en faisant nôtre l’analyse pertinente de la PPL par l’association « Face à l’inceste », nous voulons étendre notre critique à la prise en compte des violences sexuelles par le droit car c’est toute la cohérence de la répression des violences sexuelles qui pose aujourd’hui question.

I. L’objectif affiché de la PPL : « protéger les mineur·es des crimes et délits sexuels et de l’inceste »

En 2017, l’affaire de Pontoise fut un électrochoc pour nombre de français·es qui avaient alors découvert que notre Code pénal ne garantit guère les droits des mineur·es en cas de violences sexuelles : les enfants se voient appliquer la même définition du viol (ou de l’agression sexuelle) que celle applicable aux victimes adultes : comme eux, les enfants ont à prouver, en plus de la pénétration sexuelle endurée, que l’agresseur a eu recours à une « violence, contrainte, menace ou surprise » (les VCMS dans la suite de ce texte).

Pour mieux « protéger les mineur·es », il s’agit donc aujourd’hui de poser – à l’instar de nombreux autres pays – un interdit légal prohibant tout contact sexuel entre un·e majeur·e et un·e mineur·e de 15 ans, ou de 18 ans en cas d’inceste. Cette avancée majeure est toutefois fortement compromise par plusieurs amendements déposés par le gouvernement ou par des député·es.

II. Un projet dévoyé par le gouvernement

Par un amendement (n°CL76) déposé en commission des lois par le gouvernement et défendu par le ministre de la justice Eric Dupond-Moretti, il est introduit une exception de taille à l’interdit légal posé : il s’appliquera seulement si la victime et l’agresseur ont au moins cinq ans d’écart d’âge.

Selon l’exposé de cet amendement, « Les définitions de ces nouvelles infractions doivent respecter les exigences constitutionnelles, à savoir les principes de légalité, de nécessité et de proportionnalité, ce qui implique qu’on ne peut pénaliser les amours adolescentes, et donc impose de prévoir un écart d’âge entre l’auteur et sa victime, qui existe du reste dans de nombreuses législations étrangères pour appliquer les nouvelles incriminations. Il est proposé de fixer cet écart à cinq ans. »

Tout au long des débats devant l’Assemblée nationale, le ministre de la justice s’est posé en défenseur des « amours adolescentes » et a invoqué le principe de proportionnalité pour justifier cet écart d’âge.

Lire la suite

John Stoltenberg : Le pourquoi de l’oppression

Voici un récit à propos du pire récit jamais raconté.

C’est celui que l’on vous raconte s’il a été décidé à votre naissance que vous deviez grandir pour devenir un vrai garçon et, un jour, un vrai homme. Cette décision a été prise à la va vite, après une simple inspection visuelle de votre entre-jambes de nouveau-né. Et personne ne vous a demandé votre avis puisque vous veniez tout juste de naître. Pourtant, cette décision allait déterminer une grande partie de votre vie, peut-être même sa plus grande partie.

Vous connaissez tous ce récit : d’abord être un vrai garçon pour ensuite devenir un vrai homme.

Si vous faites partie de ceux à qui on a raconté ce récit, non seulement on vous l’a raconté, mais on vous a appris à le raconter aux autres pour que vous puissiez vous le raconter à vous-même. Si vous avez bien appris le récit, vous devrez le raconter aux autres et à vous-même, incessamment, pour le reste de votre vie. Et ce récit n’est pas seulement le vôtre. Il est raconté presque partout, presque tout le temps, tout autour de vous.

J’appelle ce récit le Code Alpha.

Le Code Alpha ressemble au système d’exploitation d’un ordinateur personnel, comme un code de programmation qui traite l’information et prend des décisions selon une certaine logique. L’ordinateur est un objet bien réel, mais c’est le système d’exploitation qui lui dit comment penser. Il en est de même pour vous: vous existez dans un corps humain bien réel, mais une partie de votre fonctionnement obéit à la logique du Code Alpha :

D’abord être un vrai garçon, et ensuite un vrai homme.

Certaines personnes peuvent penser que le Code Alpha, c’est vous, que vous ne pouvez pas vous en distinguer. Mais tout comme un système d’exploitation informatique, le Code Alpha n’est pas matériel; c’est un simple programme avec une logique et un objectif particuliers. Il est en vous pour que vous craigniez de ne pas encore être un homme à part entière, pour que vous ne cessiez de tout faire pour devenir un homme, un vrai. Il est en vous pour vous terrifier à l’idée d’échouer à cette tâche.

Vous connaissez cette panique qui s’empare de vous quand un homme qui tente d’être un vrai homme vous humilie ou vous rabaisse, parce que vous n’êtes pas suffisamment un vrai homme ? Vous avez l’impression d’être comparé et vous avez peur. C’est votre Code Alpha qui se met en alerte. Il est conçu pour déclencher votre réaction de panique à tout moment où vous échouez à être le vrai homme que le Code Alpha dit que vous devez être.

Lire la suite

Non, on ne peut pas être « féministe » et agresser des survivantes de la prostitution et des féministes le 8 mars. Par Osez le féminisme (communiqué de presse)

Lors des manifestations autour du 8 mars, à Tours, Montpellier, Toulouse, Paris, des survivantes de la prostitution et des féministes ont été insultées, menacées, agressées, leurs pancartes arrachées. C’est inadmissible !

Des “féministes” adoptent les stratégies des agresseurs et agressent dorénavant d’autres féministes. Nous connaissons bien ces stratégies contre lesquelles nous nous mobilisons lorsque nous soutenons toutes les victimes de violences sexistes et sexuelles. Mais, comment supporter que des féministes soient désormais les cibles de ces mêmes violences commises par des personnes qui se déclarent féministes ?

Les violences s’aggravent de manifestation en manifestation. Cela a commencé avec des bousculades. Les pancartes qui dénonçaient la violence de la prostitution étaient violemment arrachées et dégradées.  D’autres violences ont suivi, dans plusieurs villes, à Toulouse, Marseille, Paris, Strasbourg en 2019, puis en 2020, des manifestantes bousculées et attaquées, des rassemblements féministes perturbés, des campagnes virulentes en ligne, de la diffamation ou encore des appels au viol et au meurtre. Lire la suite

Osez le féminisme ! Communiqué de presse : La justice complice du sexisme d’Etat !

La justice complice du sexisme d’Etat ! 

par Osez le féminisme !   (appel à don en fin de communiqué)

Lundi 18 janvier 2021, la justice a rejeté notre appel estimant que la mairie de Béziers n’avait eu, avec ses affiches banalisant les violences contre les femmes, “aucun message à connotation sexiste”… comme dans l’affaire de Dannemarie. Le fait que ces images, qui renforcent les stéréotypes sexistes et les violences contre les femmes, soient promues par des institutions publiques est encore plus révoltant, et contraire au principe constitutionnel d’égalité femmes-hommes qu’elles sont censées défendre. Nous irons en Cour de Cassation pour demander justice !
Les représentations sexistes dans l’espace public portent atteinte à notre dignité, elles créent un environnement hostile, elles ancrent et naturalisent les stéréotypes et participent au continuum des violences ! L’image des femmes revêt un enjeu politique fondamental et conditionne l’égalité réelle.

L’image sexiste des femmes est souvent exploitée à des fins mercantiles. Encore plus inacceptable, les stéréotypes sexistes sont parfois exploités par des maires, agent.es de l’Etat, à des fins de communication publique. On peut parler de sexisme d’Etat. De nombreux exemples peuvent être cités, mais les associations féministes ont décidé de réagir plus particulièrement contre deux campagnes de communication de 2017 :

La Commune de Dannemarie, une institution publique donc, avait planté en 2017 dans toute la ville des silhouettes de femmes, hypersexualisées, dans des postures empruntées à la pornographie. Elles étaient couchées dans des positions lascives, cuisses écartées, toutes extrêmement minces. Elles s’adonnaient à des activités telles que le shopping, le striptease, le retrait de maillot ou le léchage de babines. Ces silhouettes présentaient aussi des femmes par les parties sexualisées de leurs corps ou en les symbolisant par des objets stéréotypés, comme la chaussure à talon.

A Béziers, le maire avait banalisé et instrumentalisé deux féminicides dans les campagnes incriminées. Dans un cas, une femme était étranglée par un homme, dans l’autre elle était maintenue sur les rails d’un train à l’approche.

Nos associations ont donc saisi le juge administratif et invoqué notamment la violation du principe de dignité humaine et le principe à valeur constitutionnelle d’égalité entre les femmes et les hommes. Elles ont argumenté que les maires et l’Etat ne jouissent pas de la liberté d’expression (et a fortiori à la provocation) au même titre que les citoyen.nes ou la presse. Au contraire, les institutions publiques doivent activement œuvrer à l’égalité femmes-hommes et donner l’exemple. Nous refusons qu’une institution publique montre aux femmes et aux petites filles une projection caricaturale de ce qu’une société patriarcale attend d’elles, ou banalise les violences contre elles. À quoi servent toutes les actions menées par les politiques publiques contre le sexisme et les stéréotypes, si une ville peut décider d’aller à contre sens dans ses communications officielles ?

Malheureusement, pour Dannemarie en octobre 2020, et pour Béziers le 18 janvier 2021, les requêtes des associations ont été rejetées, même en appel, par l’unique motif péremptoire que les campagnes ne seraient pas sexistes selon les magistrats ! 

Alors que la société se réveille suite à la vague Meetoo et initie une révolution des consciences, alors que les nouvelles générations reprennent les luttes féministes anciennes et affirment l’importance de dire, de nommer, de dénoncer les violences contre les femmes et les enfants disséminées partout dans la société, la justice quant à elle reste sourde… elle se braque et, ce faisant, rompt avec la société !

Pire, alors que les institutions internationales, l’ONU, le Conseil de l’Europe s’efforcent de faire de la lutte contre le sexsime une priorité absolue, conscientes des incidences et des répercussions majeures qu’elles ont, les juridictions administratives, garantes de l’Etat de droit, résistent !

Le Conseil de l’Europe a pourtant précisé le sens juridique du sexisme au terme d’une recommandation de 2019 qu’il considère comme une discrimination faite aux femmes. Il insiste sur le concept de « continuum des violences », à savoir que la violence symbolique (image de violence contre les femmes diffusée et banalisée par la culture et la communication) facilite et fait le terreau des agissements sexistes : violences notamment. Ainsi la recommandation précise que : “Notant que le sexisme constitue une entrave à l’émancipation des femmes et des filles, qui sont affectées de manière disproportionnée par les comportements sexistes; et notant également que les stéréotypes et préjugés de genre intrinsèques façonnent les normes, le comportement et les attentes des hommes et des garçons, et sont ainsi à l’origine des agissements sexistes”

En dépit de ces affirmations claires, les juges restent dans le déni, assènent des poncifs archaïques, valident le sexisme d’Etat et les privilèges d’un temps révolu.

L’Etat de droit ne doit pas oublier 50% de l’humanité ! Le sexisme est grave et mortel, il est contraire à la constitution, il est contraire à notre socle de valeurs et de droits !

NOUS CONTINUERONS À LUTTER CONTRE LE SEXISME ET CONTRE LES VIOLENCES MASCULINES

Nous réclamons l’instauration d’une loi anti-sexiste qui permettrait d’empêcher l’affichage dans l’espace public d’images faisant l’apologie des violences faites contre les femmes, et constituant un appel à la haine et au meurtre des femmes… En 2019, 152 femmes sont mortes tuées par leur conjoint ou ex-conjoint !

Nous continuerons à nous mobiliser. Dans l’affaire de Dannemarie, comme dans celle de Béziers, nous irons en Cassation devant le Conseil d’Etat, pour que le sexisme d’Etat cesse et que le principe d’Égalité entre les femmes et les hommes, consacré dans le marbre de la constitution, ne restent pas un droit théorique. 

Lire la suite

Osez le féminisme ! : Pornocriminalité – Pornhub, « Jacquie et Michel », Dorcel, la fin de l’impunité

 

Alors qu’aux Etats-Unis et au Canada, PornHub, l’un des géants du système pornocriminel est ébranlé, suite à la publication d’un article fouillé du New-York Times, nous demandons que des mesures soient prises en France, où les deux plus grandes plateformes de contenus pornocriminels “Jacquie et Michel” et “Dorcel” sont visées, directement ou indirectement par des enquêtes judiciaires.
Une enquête sur PornHub parue dans le New-York Times le 4 décembre dernier met en lumière ce que nous dénonçons depuis longtemps : le site diffuse des vidéos de viols, de viols pédocriminels, de torture de femmes inconscientes, étouffées avec des sacs plastique… Comme nous l’avons expliqué dans notre campagne contre la pornocriminalité sur les réseaux sociaux, les contenus pornographiques sont misogynes et le plus souvent racistes, lesbophobes, pédocriminels et incestueux. Lire la suite

Wissam Dief : Des fillettes « libérées » aux féministes mal-baisées

[Bien que certaines références du texte qui suit ne soient pas les miennes, je remercie vivement Wissam Dief pour son travail contre les violences masculines que je répercute ici avec son autorisation]

Des fillettes « libérées » aux féministes mal-baisées

A propos d’une plaque commémorative :

Si on ne peut reprocher à Guy Hocquenghem et à René Schérer (entre autres), d’avoir voulu abroger dans les années 70, le double-standard en ce qui concernait la majorité  homosexuelle et hétérosexuelle, on peut tout de même s’interroger sur leur manière d’avoir subsumé sous la catégorie de l’enfance un ensemble d’expériences dont ils semblent peu tenir compte. Ainsi le projet de déconstruire un système de l’enfance, pour explorer la possibilité de relations charnelles « transversales » entre adultes et enfants, universalise l’expérience intime de l’enfance masculine homosexuelle au mépris de la majorité des concernées. Les récents débats au sujet de la profanation et du retrait de la plaque commémorative de Guy Hocquenghem à Paris, nous mettent en demeure de rappeler ici les conséquences qu’une telle vue abstraite a nécessairement sur nos corps de femmes et de petites filles.

N’importe quelle femme pourra faire retour sur les injonctions par milliers lui ont été
assénées très tôt au sujet de tout ce que son corps donnait à voir : d’une manière de croiser les jambes, à l’ouverture gracieuse de la bouche, en passant par le contrôle de la cambrure, du poids, de la démarche, la recherche inlassable de proximité affectueuse, le fait de mettre en scène comme un être mignon, susceptible d’émouvoir, movere, de faire bouger l’adulte. Bien sûr que ce seul pouvoir qui nous était accordé, ne pouvait qu’être surinvesti, consciemment ou non. Bien sûr, qu’à force de nous indiquer par tous les moyens que là était la seule voie de reconnaissance possible, nous ayons fini par minauder, miauler, tourner de la tête gracieusement, nous habiller-déshabiller, faire des pas de danse, des glissements savants sur le sol. Puisque avoir l’attention des adultes, et particulièrement de notre père, cet être étrange qui représentait le pont vers le Monde, nécessitait de nous ce minaudage. Qui viendrait ici, rétroverser les choses, pour affirmer que nous étions naturellement faites pour la séduction, portées instinctivement au contact charnel et sexuel avec les adultes que nous aguichions ? Il faut croire que ceux qui s’y essaient savent si peu de nos enfances. Lire la suite

« Francine Sporenda : Survivre à la prostitution » (note de lecture par Claudine Legardinier)

[Note de lecture de Claudine Legardinier sur l’ouvrage de Francine Sporenda : Survivre à la prostitution – Les voix qu’on ne veut pas entendre, témoignages

Cette note est tirée du n°205 de la revue trimestrielle du Mouvement du Nid, Prostitution et Société

L’ouvrage de Claudine Legardinier sur le système prostitutionnel, Prostitution : une guerre contre les femmes, est lui aussi indispensable.]

M Editeur, Québec. Parution en France en novembre 2020

 

Francine Sporenda a longtemps été la femme de l’ombre. Elle recueillait les paroles des autres : femmes prostituées ou sortant de prostitution, intellectuelles, militantes que la question de la prostitution prenait à la gorge, comme elle.

La force de la matière collectée, cette parole explosive que personne ne veut entendre, mais aussi le caractère politique du sujet, ont fini par la pousser à rassembler, en un seul livre de trois cents pages, la somme de son travail d’intervieweuse. La parole des premières concernées y occupe une place centrale : une parole sans filtre, une dénonciation magistrale des réalités de cette activité qui reste pourtant parée, dans la société, des dehors affriolants du fantasme. Au détour des pages, on retrouve d’ailleurs Rosen Hicher et Laurence Noëlle, les deux fondatrices du mouvement français des Survivantes ; et des femmes de plusieurs pays, dont certaines jetées dans la prostitution dès l’âge de 11 ou 12 ans.

Leurs mots sont leur force

Pour dire les ficelles du proxénétisme qui poussent à y entrer, les difficultés qui retiennent d’en sortir, leurs mots sont leur force. Lire la suite

#JusticepourJulie par Osez le féminisme !

#JusticepourJulie : Refus par la justice de requalifier en viols les violences sexuelles criminelles commises par 20 pompiers contre Julie. 

Ça vous indigne ? Alors interpellez le gouvernement pour dénoncer la justice patriarcale.

Julie[1] avait 13 ans lorsque les violences sexuelles ont commencé. Elle était sous lourd traitement médicamenteux et faisait des crises de tétanie justifiant l’intervention de pompiers à son école. Ces derniers étaient donc au courant de son âge, de son traitement, de son état de santé et de sa vulnérabilité. Elle a été violée en série et parfois en réunion pendant 2 ans, jusque dans l’hôpital pédopsychiatrique dont elle était patiente. L’instruction a duré 10 ans, 10 ans au cours desquels les pompiers militaires ont continué leur vie tranquillement, 10 ans au cours desquels Julie, au fond du désespoir, a fini par faire des tentatives de suicide. Sur les 20 pompiers ayant violé Julie, 17 ne sont même pas mis en examen. 3 sont poursuivis pour « atteinte sexuelle ».

Cette affaire scandaleuse vient seulement quelques jours après la décision de la Cour de cassation[2] du 14 Octobre 2020 qui valide l’utilisation du critère de la profondeur de la pénétration pour déterminer si le fait pour un homme de lécher le sexe de sa belle-fille constitue ou non un viol, alors même que la loi ne mentionne en aucun cas ce critère.

Si, aujourd’hui, ces enfants ne sont pas reconnues par la justice française comme des victimes de viols, alors qu’est ce qu’un viol ? Le viol existe-t-il seulement en droit ? Ou bien les critères pour le qualifier sont-ils si restrictifs qu’ils excluent 99 pourcent des situations vécues par les victimes ? Et si tel est le cas, peut-on encore parler de justice ?

Les plaintes pour violences sexuelles augmentent[3], mais la justice, elle, ne suit pas. Alors que le nombre de condamnations pour viol a chuté de 40 pourcent en 10 ans[4], l’impunité reste tristement la règle. D’après le Haut Conseil à l’Egalité Femmes-Hommes, environ 1 victime de viol sur 10 porte plainte et seule 1 plainte sur 10 aboutit à une condamnation, soit 1 pourcent.

L’impunité est encore plus forte en matière de viols sur mineur.es où cette fois, 0,3 pourcent des viols font l’objet d’un procès aux assises[5]. L’un des moyens utilisés par la justice pour nier l’existence des viols sur mineur.e.s est de ne pas tenir compte de leur parole en partant du principe qu’il n’est pas possible de s’y fier. Il est fréquent que l’enfant victime ne soit pas entendue en procédure Mélanie (audition filmée en présence d’un pédopsychiatre) ou bien qu’aucun examen ne soit effectué par un.e légiste. Tout un arsenal existe pour nier la parole des enfants victimes : le syndrome des faux souvenirs, le syndrome d’aliénation parentale, le concept de conflit parental… Ces théories servent de protection aux pédocriminels.

En France, la pédocriminalité est protégée de manière institutionnelle et systémique. Il est demandé aux filles et aux femmes de faire confiance en un système qui ne fonctionne pas, un système qui trahit les victimes et protège les agresseurs. Il faut que cela cesse !

Osez le Féminisme ! réclame  :

  • L’instauration d’un seuil d’âge en dessous duquel un.e enfant est présumé-e ne pas avoir consenti à une relation sexuelle avec un majeur. 
  • Le renforcement de la protection des mineur.e.s contre l’inceste en prévoyant qu’un acte sexuel commis sur un.e mineur.e par une personne ayant autorité parentale est présumé ne pas avoir été consenti.
  • La redéfinition du viol dans le Code Pénal en adéquation avec la Convention d’Istanbul ratifiée par la France mis non respectée[6]. La définition du viol doit se placer du point de vue des victimes et non plus des agresseurs. Ce qui compte, c’est l’absence ou la présence d’un consentement libre et positif, non pas l’intention de l’agresseur ou la profondeur de la pénétration.

Il est grand temps que soient reconnues les conséquences terribles du viol et de la pédocriminalité sur des centaines de milliers de filles et de femmes qui, dans 99 pourcent des cas, n’obtiendront jamais justice ; parce qu’elles auront trop peur de porter plainte ou qu’elles le feront après les délais de prescription, parce que les crimes qu’elles ont subis seront déqualifiés, parce qu’elles seront considérées comme consentantes selon des critères irréalistes, parce que leurs plaintes seront classées sans suite ou qu’un non-lieu sera prononcé, parce que leur parole ne sera pas entendue ou pas crue ou pas suffisamment prise au sérieux. Parce qu’en France, en 2020, il y a toujours un permis de violer. #JusticepourJulie #JusticepourL

Il est grand temps que le système judiciaire et la société toute entière prennent la mesure de leurs responsabilités et corrigent un système coupable.  

Lire la suite

On tue une femme (note de lecture par Didier Epsztajn)

Dans leur introduction, Féminicides, fémicides et violence de genre, Lydie Bodiou et Frédéric Chauvaud, abordent des crimes contre des filles et des femmes dans de nombreuses régions du monde. Elle et il parlent, entre autres, du meurtre d’une fillette de 8 ans en Inde, des mobilisations de femmes en Amérique centrale et du sud contre les « crimes à caractère sexiste », des mots employés, des législations…

I. Le féminicide : une « découverte récente. L’autrice et l’auteur reviennent l’histoire récente et discutent des termes employés, des analyses depuis le milieu des années 70, « des femmes ne sont pas tuées de la même que les hommes, ni avec la même intensité, ni avec une ampleur similaire », de crime commis « par des hommes contre des femmes parce qu’elles sont des femmes », de la notion de féminicide, « violence systémique commise contre les femmes » et de responsabilité des Etats « qui ne luttent pas contre l’enlèvement, la disparition et la mort de fillettes, d’adolescentes et de femmes », d’une autre définition possible, « le féminicide englobe l’infanticide contre les filles, notamment en Inde et en Chine, le crime d’honneur, la violence de masse mais aussi l’infection du sida », de l’occultation de la violence masculine,

Je souligne les paragraphes sur les filles « manquantes » dans certains pays d’Asie, une forme de féminicide non nommé mais d’une échelle et d’une ampleur inégalée, la culture de l’infériorité des femmes, le recours à la « tradition », la violence non considérée comme telle, « Mais le fléau contemporain qui redimensionne l’échelle des dommage à l’encontre du sexe féminin est celui qui les empêche de venir au monde », les effets du déficit démographique combiné au sentiment de propriété sur les femmes, la marchandisation des femmes, « prostitution, trafic, enlèvement, polyandrie, mariages forcées… »

II. De la violence au féminicide : de l’Amérique latine aux instances internationale. Lydie Bodiou et Frédéric Chauvaud abordent, entre autres, les tueries massives ou systémiques, les crimes de masses en lien avec les politiques contre-insurrectionnelles, « Eradiquer les femmes, c’est tarir la source : de la génération, de la tradition, des rites d’une culture autonome », la Convention de Belém do Pára, les violences dites intimes, la notion de féminicide et son inscription dans les législations nationales, « la reconnaissance de l’existence d’un crime spécifique couvre aujourd’hui onze pays d’Amérique latine », les évolutions des conventions internationales dont la Convention d’Istanbul…

III. Deux études de cas à propos du Canada. L’autrice et l’auteur reviennent sur Alek Minassian et son « acte idéologique », la tuerie de l’Ecole polytechnique de Montréal, « les interprétations féministes du massacre furent longtemps minimisées, niées, raillées », les Sœurs volées (je-nai-plus-peur-je-veux-me-battre-puisquon-ne-se-battra-pour-moi/), un « phénomène social qui s’inscrit dans l’héritage colonial canadien »… Lire la suite

Osez le féminisme : Mise en examen de 4 pornocriminels (communiqué de presse)

Alors que quatre pornocriminels sont mis en examen pour « viol, proxénétisme aggravé et traite d’être humain aggravé », nous espérons qu’il s’agit là du point de départ de la fin de l’impunité des violences misogynes, pédocriminelles, lesbophobes et racistes du système porno-criminel.

Nous apprenons dans 20 minutes que quatre pornocriminels, dont Mathieu Lauret, alias Mat Hadix, et Pascal Aullitraut, alias Pascal OP, ont été mis en examen pour viols, proxénétisme aggravé et traite d’être humain aggravé. Deux sont aujourd’hui en détention provisoire, deux sont sous contrôle judiciaire. Pascal Aullitraut est également poursuivi pour « blanchiment de proxénétisme aggravé et blanchiment de fraude fiscale » ainsi que pour « travail dissimulé »

Ceci intervient seulement un mois après l’ouverture d’une enquête à l’encontre de « Jacquie et Michel » pour proxénétisme aggravé et viols par le parquet de Paris suite à nos signalements. Nous nous félicitons du fait que la justice commence à écouter, enfin, les très nombreuses victimes de l’industrie pornographique et à condamner les violences inhérentes à celle-ci.

Dans cette deuxième affaire, tous les individus mis en examen travaillent pour l’entreprise « Jacquie et Michel » et/ou l’entreprise Dorcel, qui sont les deux leaders dans l’ “industrie pornographique” française, avec des dizaines -voire des centaines- de millions de vues. En particulier, Mathieu Lauret, dit Mat Hadix, est décrit par le milieu comme “le parrain”, principal producteur de « Jacquie et Michel », qui va même jusqu’à représenter l’entreprise à la place de Michel Piron, le PDG de « Jacquie et Michel », dans les médias. Il produit également trois vidéos par mois pour Dorcel, et multiplie les labels, alimentant toutes les plateformes pornographiques. Lire la suite

Osez le féminisme: Grenelle des violences masculines : Le Gouvernement passe à coté de l’urgence de la situation

 

 

 

 

Samedi 23 Novembre 2019, 150 000 personnes dans la France entière sont descendues dans les rues pour dénoncer les violences masculines contre les filles et les femmes. Cette mobilisation féministe historique témoigne d’une prise de conscience et d’un recul de la tolérance de la société envers ces violences. 

1% des violeurs condamnés, 0,4% des pédocriminels… L’impunité des agresseurs en France reste aujourd’hui quasiment totale. En matière de féminicides, le rapport de l’Inspection générale de la Justice relatif aux féminicides, rendu public le 17 Novembre dernier par la Ministre de la Justice Nicole Belloubet, énonce que dans 65% des cas les services de police avaient déjà connaissance de faits de violences conjugales subis par la victime. Dans le même temps 80% des plaintes pour violences conjugales sont classées sans suite…

Osez Le Féminisme ! dénonce les dysfonctionnements dans le système pénal, les politiques publiques insuffisantes et un manque criant de budget pour répondre aux exigences et à l’urgence de la lutte contre les violences masculines contre les filles et les femmes.  Lire la suite

« La responsabilité institutionnelle dans la mise en danger des enfants » par Le Réseau International des Mères en Lutte

(extrait du power point de Patrizia Romito, photographie réalisée à Ottawa le 11 avril 2017)

Les violences conjugales post-séparation sont de la même nature que les violences conjugales. Selon  la Professeure italienne Patrizia Romito, « il s’agit d’un ensemble de comportements caractérisé par la volonté de domination et de contrôle d’un partenaire sur l’autre, qui peuvent inclure brutalités physiques et sexuelles, abus psychologiques, menaces, contrôles, grande jalousie, isolement de la femme ainsi que l’utilisation des enfants à ces fins ».

Elle précise que les motivations à ces violences peuvent être regroupées en trois catégories : les représailles et la vengeance, le rétablissement de la situation de pouvoir et de contrôle, la tentative de forcer une réconciliation qui permet le rétablissement du contrôle. Les violences conjugales post-séparation affectent un nombre important de femmes et d’enfants et la séparation représente un risque accru de dangerosité.

De fait une absence de repérage des situations à risques ainsi qu’une mauvaise décision en matière de justice aux affaires familiales peuvent avoir des conséquences dramatiques, allant du transfert de résidence des enfants chez le parent violent, aux meurtres des femmes et des enfants.

Les violences létales après la séparation : tuer les enfants pour punir la mère

En Grande-Bretagne, l’analyse par Hilary Saunders de la situation de 29 enfants qui ont été tués par leur père après la séparation montre que ces homicides avaient eu lieu dans un contexte de négociations très conflictuelles entre les parents pour la garde des enfants ou le droit de visite. Dans les 13 familles analysées, la quasi totalité des mères avaient subi des violences conjugales. Pourtant le tribunal les avait obligées à accepter des contacts entre le père et les enfants.

Au Canada, lors du colloque Perspectives internationales sur la violence post-séparation organisé par FemAnVi, les 11 et 12 avril 2017, Patrizia Romito a illustré la responsabilité institutionnelle dans ces meurtres. Elle est notamment revenue sur la mort de Federiko Barakat en Italie.

Le 25 février 2009, ce petit garçon de huit ans est tué par son père dans les locaux des services sociaux de San Donato Milanese. Suite à la séparation qui intervient après des violences conjugales, sa mère Antonella Penati cherche à mettre en sécurité l’enfant mais elle est accusée d’aliénation parentale. Des contacts sont alors ordonnés et mis en place pour rétablir le lien entre le père et l’enfant. Le père tue Federiko lors d’une visite supervisée avec une arme à feu, puis s’acharne sur l’enfant en le frappant de plusieurs coups de couteau, avant de se suicider.

En Espagne, sur une période de 7 années, 29 enfants ont été tués par leur père pour se venger de leur mère. Ces meurtres sont comptabilisés à partir de 2013, puisque ces victimes sont considérés comme des victimes de violence de genre dans les statistiques officielles.

Dans une récente interview, le professeur en médecine légale à l’université de Grenade , Miguel Lorente Acosta, revient sur le cas des enfants tués. Il déplore qu’une personne condamnée avec injonction contre son ex- femme ou ex-conjointe puisse encore continuer à avoir accès aux enfants. Puis il ajoute :

« Un agresseur ne peut jamais être un bon père. Ils ont appris qu’il y a un moyen de faire encore plus de mal avec la mort des enfants. » Lire la suite

SANDRINE RICCI : Avant de tuer les femmes, vous devez les violer ! (un extrait de l’ouvrage)

[Plus bas, publié avec l’aimable autorisation des éditions Syllepse, un extrait de l’important ouvrage de Sandrine Ricci. Je vous invite vivement à découvrir son analyse riche et ô combien utile. L’extrait constitue le chapitre « Voyage au bout de la nuit ». L’ouvrage est précédé d’une préface de Christine Delphy, ici ]ricci2eedition

Voyage au bout de la nuit

Afin de partager non seulement l’horreur du génocide des Tutsis, mais aussi la force de vivre, celles des femmes qui refusent de rester par terre et décident de se lever, se battre, parler, vivre !  Esther Mujawayo, Dédicace personnelle de son ouvrage : Survivantes (2004)

En 1994, le Rwanda devient tristement célèbre à cause d’un génocide d’une intensité inouïe qui fauche près d’un million de vies en cent jours, sur une population estimée à 7 ou 8 millions. Le groupe minoritaire identifié comme Tutsi[1] est la principale cible des massacres et des tortures. Cette tragédie s’associe à des violences dont l’amplitude et la cruauté laissent les survivants et les survivantes aux prises avec de gravissimes séquelles physiques et morales. Dans la masse des productions intellectuelles sur ces événements,
peu s’intéressent à l’expérience spécifique des femmes, peu adoptent une analyse des rapports sociaux de sexe pour les comprendre. Les plus jeunes rescapées que j’ai rencontrées avaient 8 et 11 ans en 1994. Une femme était enceinte au moment du génocide, tandis qu’une autre l’est devenue à la suite de sévices collectifs répétés. Comme tant d’autres, certaines sont ainsi restées plusieurs mois les esclaves sexuelles de soldats, de miliciens, de politiciens ou de simples quidams. Toutes ont perdu des proches, enfant, époux, père, mère, frère, sœur…

Si nous ne pouvons ramener ces milliers de victimes à la vie, nous devons nous intéresser au sort de celles qui leur ont survécu ; nous, les gens de l’extérieur, la communauté internationale. Bertold Brecht a déjà écrit que « lorsque les crimes commencent à s’accumuler, ils deviennent invisibles. Lorsque les souffrances deviennent insupportables, les cris ne sont plus entendus » (cité dans Brison, 2003 : 126). On conçoit dès lors l’importance, a fortiori pour les survivantes de violences sexuelles, que leur souffrance soit entendue et reconnue. Le viol représente l’un des actes de violence qui reçoit le plus d’attention de la part des médias et de l’opinion publique, en même temps qu’il souffre de la désinformation chronique opérée par des discours souvent empreints de clichés et de sensationnalisme. Comme le formule Philippe Breton (1992), « on nous montre tout, mais pourtant l’essentiel semble nous échapper ».

Sans réduire la réalité des femmes lors des conflits armés à cette problématique, les violences sexuelles se retrouvent désormais associées à la genèse de la plupart des champs de bataille, passés et présents. Lorsque j’ai entrepris mes recherches, il y a une dizaine d’années[2] J’avais l’intuition que ces violences reflétaient des rapports sociaux qui n’apparaissent pas et ne disparaissent pas avec les guerres. Plus spécifiquement, je voulais travailler l’hypothèse que le large spectre d’exactions commises contre les femmes en contexte de conflit armé s’associait à une « guerre dans la guerre » (Human Rights Watch et Csete, 2002). La perspective féministe, « articulation théorique des aspirations émancipatrices des femmes » (Benhabid, 1992 : 229), devait m’amener à prendre la mesure des soubassements culturels, sociaux et politiques sur lesquels repose la systématisation du viol en temps de guerre. Conduire une analyse en termes de rapports sociaux de sexe m’a aussi amenée à considérer le phénomène des violences sexuées, sexistes et sexuelles sous l’angle d’un continuum, les moments de guerre constituant une intensification extrême des violences de tous ordres commises contre les femmes en temps de paix. De telles considérations m’amènent à entrevoir les violences sexuelles en contexte de conflit armé ou de génocide non seulement comme arme de guerre, selon l’expression consacrée, mais comme une stratégie politique visant l’atteinte d’une multiplicité d’objectifs politiques (chapitre 3). Animée par une volonté heuristique, je propose une typologie des objectifs politiques et stratégiques que sous-tend le recours à différentes formes de violences sexuelles en contexte de conflit armé. Mes recherches m’ont ainsi conduite à entrevoir non pas l’irrationalité de pratiques révoltantes, mais bien la complexité de leur logique sociopolitique, économique et culturelle, de même que leur spécificité dans le contexte rwandais. Pour autant, il ne s’agit pas de verser dans le relativisme culturel : le dénominateur commun aux tortures sexuelles reste l’attentat universel contre les femmes, la « profanation des vagins » (Bolya, 2005). Si l’utilisation du viol comme stratégie politique était l’apanage d’une culture, ne serait-il pas celui de la culture patriarcale ? Je montre néanmoins qu’une analyse des violences sexuelles dans le contexte du génocide des Tutsi en tant que seule manifestation du patriarcat constituerait une démarche incomplète. Lire la suite

#Notallporn : pourquoi les « bons côtés » ne comptent pas

Illustration : Ma.

« #Notallporn[1] : pourquoi les « bons côtés » ne comptent pas », par Jonah Mix

Sur la page d’accueil du site pornographique le plus connu au monde, on trouve des vidéos dont les titres me donnent la nausée. Des titres comme « Une salope bien conne adore baiser devant la caméra » ; « Trou du cul des quartiers pilonné par une bite blanche » ; « Elle a besoin de thune, et lui d’une chatte ». Il suffit de quelques mots-clés et d’un clic pour y accéder. Quelques clics de plus suffisent pour en voir 100 000 autres. C’est le porno tel qu’il existe aujourd’hui – et c’est, statistiquement, ce que la plupart des hommes regardent. Il n’est pas exagéré de dire que la majorité des hommes en Amérique, et probablement dans le reste du monde, tirent une satisfaction physique et émotionnelle de matériaux qui seraient considérés comme des propos haineux s’ils étaient destinés à n’importe qui d’autre que des femmes.

En tant qu’hommes, nous savons tous à quel point l’industrie pornographique est violente. Si vous le niez, rendez-moi ce service : allez sur la page d’accueil d’un site porno et lisez juste les titres. Bloquez toutes les images si vous le pouvez. Et posez-vous la question : est-ce ainsi que nous traitons des êtres humains ? Est-ce ainsi que les humains s’adressent les uns aux autres ? Ensuite, rappelez-vous que ce ne sont pas que des mots. Ce sont des actes. Ce sont des choses que des hommes font à des femmes – de vrais hommes blessant de vraies femmes dans le monde réel. Je demande très souvent à des hommes de le faire, d’aller voir ces titres, et ça en a fait pleurer plus d’un. Ça ne devrait pas être surprenant : sans le filtre de l’excitation brouillant la vue, il est difficile de réaliser la façon dont nous, les hommes, traitons les femmes et ne rien faire d’autre que de pleurer.

Malheureusement, tous les hommes ne se prêtent pas au jeu. Quelques-uns sont assez honnêtes pour reconnaître qu’ils s’en moquent, tout simplement. Quelques autres argumenteront contre toute attente sur le fait que « Punition d’une black ado » ne relève pas, en vérité, de propos haineux racistes et misogynes. Mais la majorité diront autre chose. Ils tomberont dans la défense classique : « oui, absolument, ces vidéos sont horribles. Je ne défendrai jamais cela. Mais, tu sais, il n’y a pas que ça dans le porno. Tu ne vois que les mauvais côtés ». Et, bien sûr, techniquement, c’est vrai. On peut trouver de la pornographie qui ne tombe pas dans les tréfonds de brutalité que sont les standards de l’industrie. Il pourrait même bien se trouver des vidéos qui s’affichent respectueuses des femmes, ou même féministes. Mais pour comprendre à quel point cette argumentation est incroyablement faible et a des conséquences terrifiantes, il faut en passer par un petit intermède philosophique. Lire la suite

Suzanne Zaccour : Querelle [ kə.ʀɛl ]

[Le texte qui suit, de Suzanne Zaccour, est tiré du récent Dictionnaire critique du sexisme linguistique. Il s’agit d’un extrait pour l’entrée « Querelle ». Il est publié ici avec l’aimable autorisation de l’autrice et des éditions Somme Toute. Merci à vous.]

De querelle en querelle

30%. D’après l’Organisation mondiale de la santé, c’est la proportion des femmes ayant été victimes de violence conjugale[1]. Parce que je suis une femme, j’ai, jusqu’à 44 ans, plus de chances d’être tuée ou blessée par un conjoint que par un accident de voiture, la guerre, la malaria et le cancer – toutes ces causes combinées[2]. Ça donne froid dans le dos, et pourtant… Où est l’état d’urgence?

[…]

Le meurtre d’une femme par son conjoint est presque toujours contextualisé comme un fait divers – un événement par définition banal, sans conséquence, anodin. Pas assez important pour faire l’actualité ou l’éditorial, mais tout de même assez divertissant pour se mériter un petit coin d’écran. Divertissant, car le fait divers est aussi le fait insolite. Surprenant et inhabituel : tout le contraire des violences conjugales qui sont non seulement répandues, mais aussi prévisibles[3]. Par conséquent, l’événement rapporté doit être simultanément (et paradoxalement) peu important et sensationnel.

Peu important, parce qu’on parle de violence domestique (un calque de l’anglais domestic violence), une expression qui en dit long considérant le peu d’importance que notre société apporte à la sphère domestique (lire : la sphère des femmes). Peu important aussi, parce que sans rapport avec un quelconque enjeu de société. Une femme battue à mort, c’est une histoire triste, rien de plus. Or, le contexte systémique fait toute la différence dans notre appréciation d’une nouvelle. On n’accorde pas tout à fait la même attention à la nouvelle d’une personne atteinte d’une grippe lorsqu’on est en plein crise de H1N1. La chute d’une action est moins banale au lendemain du Brexit. On percevrait donc différemment la nouvelle d’un féminicide si elle était présentée comme il se doit : comme un événement qui s’inscrit dans l’épidémie internationale de violences faites aux femmes. Or, comme chaque femme est sa propre histoire, hors de ce qui se passe vraiment en société, on parle plutôt de drame conjugal ou de drame familial. Le drame invoque le genre littéraire, le théâtre, et non le meurtre bien réel d’une femme en chair et en os.

Le sensationnalisme intervient parce qu’il faut bien rendre l’histoire d’une simple femme individuelle intéressante. Il nous faut mourir de façon accrocheuse : « Il tue sa femme pour faire des économies[4] », « ivre, il bat sa femme le jour de la Saint-Valentin », « il bat sa femme et lui passe le collier du chien », « ivre, il bat sa femme et jette deux chatons dans le vide »[5]

En plus du petit détail étonnant pour attirer l’attention sur l’affaire privée, on introduira un élément de suspense, d’inattendu : « Personne n’aurait imaginé qu’un tel drame se produise au sein de ce couple, aux allures sans histoires[6] ». Forcément, le meurtrier est un homme sympathique, un voisin ordinaire : « famille sans histoire, bien insérée socialement, on ignore ce qui a poussé le papa à commettre ce geste fou »[7]. Les textes ne manqueront pas de vous dire que les voisin·e·s ont été surpris·es par le geste (j’espère!), mais ne vous diront jamais que dans 78% des cas de féminicide, la police était déjà au courant de la situation de violence conjugale[8]. Peut-être que si on citait plus d’expertes et moins de voisin·e·s, on comprendrait mieux ce qui s’est passé, mais on préfère penser les violences soudaines – un emportement, une folie, un acte irréfléchi, pulsionnel, un « incident » sans rapport avec les agressions qui l’ont précédé. Cette requalification sert deux fonctions. D’une part, elle nous déresponsabilise en tant que société : si la violence machiste est un emportement imprévisible, notre échec flagrant à la prévenir est excusable. D’autre part, cela nous rassure en nous distanciant du problème. Les agresseurs sont des monstres, des hommes bizarres, maniaques, fous : tout le contraire de nos pères, frères, amis, patrons, voisins (et du lecteur lui-même!). Si la violence était le résultat d’une socialisation sexiste à laquelle personne n’échappe, ce serait bien plus inquiétant…

Suzanne Zaccour

 

[1] « En moyenne, 30% des femmes qui ont eu des relations de couple signalent avoir subi une forme quelconque de violence physique et/ou sexuelle de la part de leur partenaire. » : « La violence à l’encontre des femmes », Organisation mondiale de la Santé, novembre 2016, en ligne : <http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs239/fr/>.

[2] « Violence à l’égard des femmes : état des lieux », Nations unies, en ligne : <http://www.un.org/fr/women/endviolence/situation.shtml>.

[3] Peter Jaffe, « Domestic Violence homicides are the most predictable and preventable of homicides », 1st Canadian Conference on the Prevention of Domestic Homicide, présentée à London (ON), 2009; Elizabeth Sheehy, « Femicide is predictable and preventable but we need to name the problem », Feminist Current, 30 décembre 2015, en ligne: <http://www.feministcurrent.com/2015/12/30/femicide-precious-charbonneau/>.

[4] David Coquille, « [Assises] Il tue sa femme pour faire des économies », la Marseillaise, 13 septembre 2016, en ligne: <http://www.lamarseillaise.fr/bouches-du-rhone/faits-divers-justice/52276-il-tue-sa-femme-pour-faire-des-economies>.

[5] Ces trois derniers exemples sont cités par Un collectif d’Acrimed.

[6] Le Courrier Picard, « Drame conjugale à Saint-Quentin, elle succombe à des coups de marteau », Courrier Picard, 28 juin 2014, en ligne: <http://www.courrier-picard.fr/region/drame-conjugal-a-saint-quentin-elle-succombe-a-des-coups-ia0b0n396947>.

[7] Eric Le Bihan, « Clermont-Ferrand : une fille de 19 mois poignardée par son père », 13 décembre 2016, France Bleu, en ligne: <https://www.francebleu.fr/infos/faits-divers-justice/clermont-ferrand-pronostic-vital-engage-pour-un-bebe-de-19-mois-poignarde-par-son-pere-1481628251&gt;.

[8] Maire Sinha, dir., Mesure de la violence faite aux femmes. Tendances statistiques, Ottawa: Centre canadien de la statistique juridique, Statistique Canada, 25 février 2013.

Refuser la connivence et la léthargie masculines

Nous vivons dans un système qui banalise et protège les violences masculines. Les hommes, quelle que soit leur particularité, ont appris à les exercer, à s’en servir et à bénéficier du rapport qu’elles génèrent. Allons-nous continuer à agir ainsi ?

Nous savons que les « blagues » sexistes nous permettent de poser nos marques et d’évaluer la résistance présente. Nous savons nous dédouaner, nous trouver des allié-es, des circonstances atténuantes, etc. Et nous savons très bien reconnaître les dépassements des limites en nous ou chez les autres hommes : les regards que nous imposons, la répétition de « propositions sexuelles » (vraiment pas insistantes), la mauvaise foi sur les intentions réelles, cette facilité avec laquelle nous imposons notre toucher lubrique (la cuisse ou la main qui se rapproche d’autrui lentement si discrètement), le marchandage pour obtenir du sexe, de l’attention ou de l’intimité, etc. 

Qu’importe que certains hommes n’utilisent pas les poings ou le feu, nous savons aussi rabaisser, pister dans la rue, ou simplement ignorer les femmes. Et c’est en connaissance de cause que les hommes agissent ainsi : pour garder ou asseoir le pouvoir, glorifier son ego, lire son journal tranquille, ou s’accorder entre potes devant le foot, ou n’importe quel autre concert de virilité. 

Certains d’entre nous voudrions nous penser égalitaristes ou progressistes quand nos propres actes sont des menaces, voire des agressions. Il faut que cela cesse. Il est urgent de mettre notre quotidien en conformité avec nos aspirations d’égalité et de justice et d’utiliser notre pouvoir autrement que pour le consolider. Lire la suite

« 11 façons dont les hommes peuvent répondre de manière productive au mouvement #MoiAussi » par Feminist Current

Le hashtag #MoiAussi a encouragé certains hommes à faire allusion sur Internet à leurs comportements misogynes, mais ils doivent aller au-delà de confessions sur les médias sociaux.

publié le 22 OCTOBRE 2017, par l’équipe de FEMINIST CURRENT

Plus tôt cette semaine, Meghan Murphy a proposé quelques suggestions sur ce que nous pourrions demander aux hommes, à la lumière du hashtag viral #MoiAussi, qui visait à rappeler aux hommes béatement ignorants (ou obstinés) l’omniprésence de l’agression sexuelle et du harcèlement perpétrés par des hommes contre des femmes partout.

Certains hommes ont répondu en reconnaissant qu’ils participent à la misogynie. Certains hommes ont admis être coupables de harcèlement ou d’agression sexuelle. Certains hommes ont présenté des excuses pour avoir laissé d’autres hommes agir ainsi. Mais, même si ces hommes peuvent être bien intentionnés, ce type de réponses sur les médias sociaux ne constitue pas nécessairement une action productive. C’est pourquoi, l’équipe de Feminist Current a compilé une liste (partielle) de suggestions à l’intention des hommes qui voudraient réagir d’une manière productive face au problème de la violence masculine contre les femmes, au-delà d’un étalage de vertu personnelle (virtue signalling) sur Internet.

1) Prenez conscience du nombre de femmes qui sont dans votre vie et qui ont révélé publiquement cette semaine avoir été agressées ou harcelées sexuellement, et laissez cette conscience vous mettre mal à l’aise. Évitez la réaction défensive du « Pas tous les hommes ». Même si vous n’avez pas personnellement agressé sexuellement une femme, ce comportement fait partie de notre culture ; vous devez donc vous attaquer au fait (pour le changer) qu’à l’échelle internationale, une femme sur trois a été exposée à de la violence physique ou sexuelle et que presque toute cette violence est perpétrée par des hommes.

2) Arrêtez de traiter les femmes et les filles comme avant tout « jolies ». Cela signifie éviter de complimenter d’abord et avant tout les filles et les femmes sur leur apparence. Beaucoup d’entre nous faisons cela sans même réfléchir (nous commençons tôt, aussi, en disant aux fillettes qu’elles sont « jolies » ou en commentant leurs tenues), mais de tels commentaires renforcent l’idée qu’être considérée comme attrayante ou désirable est la chose la plus importante qu’une femme ou une fille peut espérer.

3) De même, commencez à prêter attention à la façon dont vous regardez/considérez les femmes. Si la première chose que vous faites quand vous voyez une femme dans la rue est de la mater de haut en bas pour évaluer si elle est « baisable », arrêtez ça. Lire la suite

John Stoltenberg : Sexualité masculine — ce qui rend sexy la possession d’autrui.

John Stoltenberg : Sexualité masculine — ce qui rend sexy la possession d’autrui.     

 

Il semble que les hommes, en général, préfèrent utiliser leur raison à justifier les préjugés qu’ils ont assimilés sans trop savoir comment, plutôt qu’à les déraciner.

– Mary Wollstonecraft, Défense des droits de la femme[1]

Je soupçonne que si Mary Wollstonecraft vivait encore, elle trouverait ses propres mots écrits en 1792 d’une déconcertante actualité. Après tout, Wollstonecraft était une pionnière dans la recherche de l’égalité sexuelle — et aucun d’entre nous n’a encore atteint cette égalité. À vrai dire, il semble que la justification par les hommes de leurs préjugés soit toujours la tendance dominante du discours social. Ainsi, en hommage à l’héritage de Wollstonecraft, je voudrais essayer de déraciner un des préjugés qui subsistent dans la suprématie et la sexualité masculines — un préjugé précis et bien intégré sans lequel le viol et la prostitution seraient inimaginables.

J’appelle ce préjugé l’érotisme de possession.

Nous avons beaucoup d’indices indirects de l’existence de cet érotisme. Par exemple, à travers les témoignages des femmes qui sont ou ont été appropriées sexuellement dans le mariage, forcées dans le viol, et/ou sexuellement utilisées contre de l’argent dans la prostitution, il s’avère que pour beaucoup d’hommes, la possession est un élément central de leur comportement sexuel. Beaucoup d’hommes peuvent à peine éprouver de sentiment érotique s’il n’est pas associé à la possession du corps d’autrui.

En anglais, comme dans beaucoup d’autres langues, le verbe posséder signifie à la fois « être propriétaire de » et « baiser », et cette coïncidence sémantique n’est visiblement pas un hasard. Beaucoup d’hommes mettent apparemment dans le même sac le comportement sexuel normal « masculin » et l’appropriation littérale du corps d’un autre être humain. Lire la suite

Violences sexuelles commises par des professionnels de santé : Hippocrate phallocrate ?

[L’article plus bas est de Marilyn Baldeck, déléguée générale de l’Association européennebando_home contre les Violences faites aux Femmes au Travail (AVFT). Cette association organise régulièrement des campagnes de solidarité pour des victimes de violences, on peut y participer ici. Merci à l’auteure pour l’autorisation à republier son article. Source : ici]

par Marilyn Balbeck

Le 5 novembre 2013, la Dre Muriel Salmona m’avait invitée, dans le cadre du colloque « Violences et soins » organisé par l’association Mémoire Traumatique et Victimologie, à présenter les analyses de l’AVFT sur le thème des violences, notamment sexuelles, commises par les professionnels de santé.

Le 29 novembre 2013, lors du colloque sur la santé des femmes organisé par l’association Gynécologie Sans Frontières au Palais du Luxembourg, j’ai été invitée à répondre à la question : « Les violences sexistes au travail, qu’attend-on des soignants ? ». J’en avais profité pour rappeler que le secteur médical était parmi ceux dans lequel on retrouvait le plus d’agresseurs sexuels et pour dire, en substance, qu’on attendait a minima des médecins qu’ils n’agressent pas sexuellement leurs patientes et ne couvrent pas les violences commises par leurs confrères, avant même de leur demander de détecter les victimes et de les soigner. Cette présentation avait été diversement appréciée par un public essentiellement composé de soignant.es. Mme Irène Kahn-Bensaude, pédiatre, vice-présidente du Conseil National de l’Ordre des Médecins et présidente du Conseil de l’Ordre de Paris avait déclaré, sans craindre d’être totalement indécente vis-à-vis des femmes réellement victimes de violences qui étaient au cœur de ce colloque et dont certaines étaient dans la salle, qu’elle avait « subi des violences ce matin, en tant qu’ordinal(e)1 ». Elle faisait référence aux propos que j’avais tenus sur la prévalence des violences sexuelles dans le secteur de la santé et sur la protection des médecins agresseurs par leur ordre professionnel. Le Professeur Henrion (Rapport Henrion, 2001), qui était mon voisin de gauche à la tribune, avait salué mon intervention… mais en aparté, tout de même pas au micro.

En 2014, l’AVFT a été sollicitée par les membres de la mission, chargée par Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, de préconiser des améliorations sur la prise en charge médicale des femmes victimes de violences. Une nouvelle occasion d’évoquer la question des violences sexuelles commises par les professionnels de santé à l’encontre de patientes ou de salariées.

J’ai enfin eu le plaisir de participer à une conférence du cycle de formation de l’Université des femmes sur « les femmes, leurs soins, leurs médecins », le 5 décembre 2014 à Bruxelles, spécifiquement sur les violences sexuelles exercées dans le cadre de la relation médecin/patientes2.

Les lignes qui suivent synthétisent ces différentes interventions.

Les soignants ont la double particularité d’être des maillons essentiels de la chaîne du dévoilement des violences – ils sont régulièrement les premiers à qui les femmes victimes de violences parlent – et d’être trop souvent des acteurs du « système agresseur », quand ils ne sont pas eux-mêmes les agresseurs. Ceci est loin d’être un paradoxe. Les agresseurs ont en effet tout intérêt à avancer masqués pour éviter d’être dénoncés et, quand ils le sont, à ce que les plaignantes ne soient pas crues. Le statut de médecin est un camouflage presque parfait et l’exercice de la médecine offre des « opportunités » idéales d’emprise, d’accès au corps permettant une confusion volontairement entretenue entre gestes médicaux et agressions sexuelles, de création d’une dépendance et de manipulation, qui s’ajoutent aux stratégies habituelles des agresseurs.

Dans les « dossiers » de l’AVFT, les victimes sont des patientes, des salariées de ces soignants (secrétaires médicales, assistantes dentaires…), et peuvent parfois être les deux à la fois, ce qui pose déjà de notre point de vue un sérieux problème déontologique. Certaines sont des étudiantes en médecine et accusent un « professeur des universités – praticien hospitalier ». Elles peuvent aussi être des consœurs, et dans cette hypothèse sont souvent de nationalité étrangère avec un statut précaire. Lire la suite

Ce que j’attends des progressistes : de la solidarité, bordel !

[FEM_CURRENT_logoL’article suivant est tiré du site Feminist current que Meghan Murphy – l’auteure – a fondé. Si vous êtes anglophone, je vous invite vivement à y aller jeter plus qu’un oeil.]

*

*

Donc, vous vous targuez d’être « progressiste ». Peut-être vous qualifiez-vous d’« allié ». Vous savez des choses sur les mouvements sociaux, sur l’activisme et vous faites du lyrisme sur la révolution, la justice et la solidarité. Vous êtes contre la pauvreté, la gentrification, la guerre, le capitalisme, la mondialisation et la grande entreprise. Vous vous qualifiez de colon parce que vous êtes sur un territoire qui n’est pas le vôtre – territoire que vos ancêtres ont volé à des populations qu’ils ont violées, maltraitées et essayé de détruire. Vous parlez de votre privilège : votre privilège masculin, votre privilège blanc, votre privilège cis, votre privilège de classe, votre privilège de personne mince, votre privilège merdique de crâne non-dégarni. Quel qu’il soit – vous l’avez répertorié. Pas un ne manque. Vous les avez tous mis sur votre profil Twitter. On comprend que vous avez compris. Félicitations, vous êtes radicaux.

Et si vous faisiez preuve de solidarité?

Je demeure choquée par le peu d’importance de la vie des femmes aux yeux des progressistes. Vous semblez capables de vous situer intellectuellement par rapport à tout (ou du moins, c’est ce que vous prétendez)… sauf l’oppression des femmes. Maintes et maintes fois, je remarque que des femmes quittent des conjoints agresseurs, pour voir tout de même ceux-ci acclamés comme progressistes et radicaux par d’autres hommes et femmes, en conservant le soutien de leurs communautés. Les femmes sont continuellement trahies par ceux qui sont censés être leurs alliés. Et ça fait mal, bordel !

Je ne pense pas que la plupart des hommes savent ce que ça fait. Lire la suite

Prendre le Droit : Sous-tenez / adhérez à nos combats féministes !

Prendre le Droit – Féministes pour un monde sans viol[s]*est une association indépendante qui a pour champ d’action et de réflexion la lutte contre les violences masculines exercées à l’encontre des femmes.

Elle dénonce et combat en priorité les violences « sexuelles » en puisant dans les compétences, savoir-faire, analyses et outils conçus ou inspirés par le mouvement féministe. Les moyens de ce combat sont notamment :

 *

La mise à nu du caractère patriarcal du droit français et la critique du traitement judiciaire des violences masculines exercées à l’encontre des femmes

 *

L’intervention aux côtés des victimes, majeures et mineures, quel que soit leur sexe

 *

La sensibilisation, la formation, le transfert et l’échange de compétences et savoir-faire sur l’accueil et l’accompagnement des victimes de violences « sexuelles » avec les professionnel.les concerné.es

 *

La sensibilisation au respect du désir et de la volonté de sa/son partenaire et de soi-même.

 *

* Englobe ici toute forme d’atteintes physiques et psychiques à caractère sexuel même sans pénétration

 *

Prendre le droit est une association résolument féministe qui lutte contre le violarcat, système de domination exercé par les hommes en soumettant les femmes et les enfants aux violences « sexuelles ».

Lire la suite

L’antiféminisme (extraits)

[Plus bas, un extrait du livre Les femmes de droite d’Andrea Dworkin, publié par les éditions du remue-ménage. indexC’est à ce jour le seul ouvrage de cette féministe radicale américaine traduit. Il est en vente ici: Violette & Co. Les extraits qui suivent sont tirés du dernier chapitre intitulé « L’antiféminisme ».

Les femmes de droite est un livre d’autant plus puissant qu’il est précédé d’une préface où Christine Delphy explicite entre autres les divergences entre le queer et le féminisme radical.

Un ouvrage, riche, à lire.

Des articles d’Andrea Dworkin ont été aussi publiés dans l’anthologie Pouvoir et violence sexiste (Éditions Sisyphe). ]

Le féminisme est une philosophie politique qui suscite beaucoup de haine. C’est vrai dans tout le spectre politique reconnaissable défini par les hommes, de l’extrême-droite à l’extrême-gauche. Le féminisme est haï parce que les femmes sont haïes. L’antiféminisme est une expression directe de la misogynie ; c’est l’argumentaire politique de la haine des femmes. Il en est ainsi parce que le féminisme est le mouvement de libération des femmes. L’antiféminisme, dans l’une ou l’autre de ses familles politiques, soutient que la condition sociale et sexuelle des femmes incarne essentiellement (d’une manière ou d’une autre) leur nature, que la façon dont les femmes sont traitées dans le sexe et dans la société est conforme à ce que sont les femmes, que la relation fondamentale entre les hommes et les femmes – dans le sexe, la reproduction et la hiérarchie sociale – est à la fois nécessaire et inévitable. L’antiféminisme soutient la conviction que la violence infligée aux femmes par les hommes, en particulier dans le sexe, possède une logique implicite qu’aucun programme de justice sociale ne peut ou ne devrait éliminer; et que puisque l’utilisation que les hommes font des femmes découle de leurs natures distinctes et opposées qui convergent dans ce qu’on appelle « le sexe », les femmes ne sont pas violentées quand on les utilise en tant que femmes, mais simplement utilisées pour ce qu’elles sont par les hommes en tant qu’hommes. On reconnaît qu’il existe certains excès de sadisme masculin – commis par des individus dérangés, par exemple – mais en général, l’avilissement massif des femmes n’est pas perçu comme une violation de la nature des femmes en tant que telles. Par exemple, la nature d’un homme serait violée si quelqu’un pénétrait son corps de force. Mais le même incident ne transgresse pas la nature d’une femme, même si cela lui a fait mal. La nature d’un homme ne provoquerait pas qui que ce soit à pénétrer son corps de force. Mais la nature d’une femme provoque une telle pénétration – en outre, une blessure ne prouve pas qu’elle ne voulait pas cette pénétration ou même cette blessure, puisqu’il est dans sa nature de femme de désirer être pénétrée de force et blessée de force. Une femme est violée toutes les trois minutes aux États-Unis, selon des estimations conservatrices, et dans chacun de ces viols, c’est la nature de la femme et non l’acte de l’homme qui est mise en cause. Il n’y a assurément aucune reconnaissance sociale ou juridique du viol comme acte de terrorisme politique. Lire la suite

Une justice masculiniste : le cas des affaires d’inceste

[IncesteBilanDesSavoirsJe reproduis plus bas un article de Dorothée Dussy, tiré du livre qu’elle a coordonné: L’inceste, bilan des savoirs. Cet ouvrage,  qui comprend une douzaine d’articles de fond, a été publié en 2013 aux éditions La discussion . Je vous invite vivement à envoyer la modique somme de 8€ par chèque, à l’adresse des éditions, afin de recevoir un exemplaire: Editions La Discussion // 39 rue Léon Bourgeois // 13001 Marseille. Je signale par ailleurs que Dorothée Dussy a également publié aux mêmes éditions le premier volume de sa trilogie consacré à l’inceste. Le berceau des dominations, LeBerceauDesDominationsc’est son titre, est une étude profonde et incisive sur les incesteurs, un travail remarquable et très utile. Il a été publié également chez La Discussion (8€ port compris, aussi).

Je remercie beaucoup les éditions La Discussion pour me permettre de reproduire l’article qui suit. (Un pdf  est dispo en bas de page.)  ]

Dans les affaires d’inceste1, le système judiciaire profite indubitablement au délinquant. C’est une exception aux systèmes de justices des pays occidentaux qui, tous, ont été marqués ces dernières décennies par l’amélioration de la reconnaissance des préjudices subis par les victimes d’actes criminels. On montrera ici qu’une telle exception a été rendue possible car le droit n’est pas neutre, et les délais de prescription des dépôts de plainte, l’administration de la preuve, ainsi que le quantum des peines infligées, sont indexés à une conception masculiniste de la sexualité, de la personne et de la famille. Au bout du compte, malgré une répression croissante des crimes sexuels sur le papier, les recours à la justice aboutissent rarement à la reconnaissance des abus sexuels. Selon les statistiques du Ministère de la Justice2, aux assises, 50 % des procès pour meurtres sont suivis d’une condamnation, et seulement 2 % des procès pour viol. Les affaires judiciaires (Boltanski, Claverie, Offenstadt et Van Damme, 2007) étant des moments de crise où magistrats et justiciables doivent justifier leurs paroles et leurs positions, les propos échangés autour des procès pour inceste sont des révélateurs de réel qui permettent, on le verra, de comprendre où s’enracine le décalage entre théorie et pratique de la justice. Lire la suite

Je parie que tu penses ne pas être un violeur.

Par : FeministBorgia

Je parie que tu penses ne pas être un violeur. Pour toi, pas de cachette dans une ruelle sombre… mais rappelle-toi cette fille qui était tellement ivre qu’elle pouvait à peine se tenir debout. Tu sais que sobre, elle n’aurait pas dit oui.

Je parie que tu penses ne pas être un violeur. Tu sais que « non, veut dire non »… ou du moins, que ça signifie « persuade-moi ». Elle cédera en fin de compte.

 Je parie que tu penses ne pas être un violeur. Mais tu te souviens de cette fois où ta copine ne voulait pas faire quelque chose que tu *savais* qu’elle avait fait pour d’autres personnes. Tu ne trouvais pas ça juste. Donc tu l’as harcelée et tu lui as crié après jusqu’à ce qu’elle cède. Lire la suite

Pour en finir avec quelques faussetés au sujet d’Andrea Dworkin

(traduction modifiée et mise à jour le 12-5-2015)

Andrea Dworkin est antisexe.

FAUX. Ses premières œuvres de fiction sont particulièrement riches en relations amoureuses, aussi bien lesbiennes qu’hétérosexuelles – par exemple A simple story of a lesbian girlhood et First Love.

Andrea Dworkin considère que « le coït est une punition ».

FAUX. Cette phrase est simplement dite par un personnage dans son roman Ice and fire. Le personnage paraphrase Franz Kafka.

Andrea Dworkin est anti-lesbienne et vit avec un homme.

A MOITIE VRAI. Elle a vécu dès 1974 avec l’écrivain John Stoltenberg, dont l’article « Living with Andrea » (Vivre avec Andrea) est paru dans Lambda Book Report en 1994. Leur homosexualité était publique dès les années 19701. Dans un discours prononcé en 1975 lors d’un rassemblement pour la Semaine de la fierté lesbienne, Andrea a appelé son amour des femmes « le terreau dans lequel s’enracine ma vie ».

Andrea Dworkin considère que les femmes battues ont le droit de tuer leur agresseur. Lire la suite