Ou
Le coût de la vente de votre âme pour survivre? Il est sans prix.
Source: Site Web de l’organisation Northern Model Now, le 8 septembre 2022
Une femme, qui souhaite rester anonyme, a envoyé ce texte puissant et déchirant par l’intermédiaire de notre page « Share Your Sex Work Story » (Partagez votre récit de la prostitution), qui offre un espace aux femmes pour raconter en leurs propres mots leur vécu de la prostitution.
Quand je ferme les yeux, je m’en souviens. Je ne vais pas mâcher mes mots. Ma vie était un enfer. Il n’y a jamais eu de moment où je n’étais pas malheureuse, ou déprimée.
Ma propre famille a fait de moi un bouc émissaire et m’a appris que ma valeur dépendait de la façon dont je leur faisais plaisir – que non seulement je ne devais pas m’attendre à l’amour ou au bonheur, mais bien à de la douleur et de la cruauté. En raison de mon handicap, j’étais une cible de choix pour les brimades : je n’ai jamais été encouragée à être quelque chose de plus que ce que les autres pensaient de moi. On me répétait sans cesse à quel point j’étais inutile.
Quand on passe son enfance et son adolescence à se faire rabâcher cela, vous n’aspirez plus à être autre chose que douce et humble. Vous n’apprenez pas à établir des limites. Vous n’apprenez pas à vous défendre. Vous apprenez seulement à éviter de souffrir davantage.
Étant handicapée, on attendait de moi que j’agisse normalement. Ma famille m’a laissée me débrouiller et je suis tombée dans le piège du « travail du sexe ». Je suis tombée dedans à cause d’un ex qui se comportait comme mes deux parents en un. C’était un sentiment familier, que je détestais et craignais à la fois et vers lequel je me sentais attirée, parce que c’est tout ce que je connaissais à l’époque. Personne ne m’a aidée ou a pris soin de moi. Personne ne s’est soucié de ce que je ressentais.
Je ne peux pas parler en détail de ce qui m’est arrivé, car j’ai tout oublié. Je ne veux pas m’en souvenir. Parfois, ça m’envahit en un instant, et je me retrouve dans cette pièce. Je peux parfois sentir l’odeur de la vodka bon marché et du parfum, mélangée à la fumée de cigarette.
Et même si je devais m’en souvenir… Quand j’ai demandé de l’aide à ma propre mère, elle m’a giflée et m’a dit que j’étais une fille facile. Sans savoir qu’au cours de mes premières années, ce sont ses leçons qui m’ont appris à croire au mensonge selon lequel douleur = amour.
Je n’avais nulle part où aller, pas de refuge, pas d’aide, rien, et si j’en parlais publiquement, les gens me dénonçaient en disant « ils ne sont pas tous comme ça… ».
C’est parce que personne ne veut reconnaître le cancer qu’est la prostitution pour notre société. Personne ne veut le faire, parce que ça procure du plaisir aux hommes.
Il n’y a pas que les passes; c’est cela plus le travail de cam-girl, plus OnlyFans, plus le tournage dans un motel miteux de vidéos à télécharger sur un site pornographique. Beaucoup de créatrices amateures de contenu que je connaissais sur PornHub travaillaient à d’autres choses que le tournage de vidéos, parce qu’un seul flux de revenus ne suffit pas pour vivre. À moins d’avoir de nombreux fans et d’avoir de l’argent au départ, vous devez faire plus d’une chose pour gagner de l’argent dans le travail du sexe.
Celles qui ne gagnent de l’argent que par une seule méthode, comme le web-camming ou OnlyFans, sont l’exception, pas la règle. Contrairement au passé où la prostitution se faisait en personne, il suffit de deux clics pour obtenir une proposition et un échange. Il suffit d’organiser un lieu de rencontre et ça y est.
Il n’existe plus qu’un seul moyen d’être prostituée ; c’est en ligne, c’est massif et c’est trop facile à faire.
Ma famille m’a laissée tomber, dès le début. La société m’a laissée tomber parce qu’elle n’a rien pour les personnes légèrement handicapées. Je ne suis pas assez fonctionnelle pour obtenir un emploi stable, mais je ne suis pas assez handicapée pour bénéficier d’allocations.
Lorsque je me suis prostituée, c’était pour subsister et survivre, pas pour vivre grassement. Je n’achetais pas de choses extravagantes et je ne vivais pas au mieux de ma forme.
Je mangeais tout ce que je trouvais dans des stations-service à 2 heures du matin et je le faisais descendre avec une bouteille de vodka bon marché, en espérant qu’un dieu quelconque sur cette terre me ferait une petite faveur et me tuerait par empoisonnement à l’alcool pour me libérer de l’enfer éveillé dans lequel je me trouvais. Je me retrouvais presque ivre morte et je priais un quelconque être bienveillant de mettre fin à ce cauchemar dans mon sommeil. Je me réveillais le lendemain matin, déçue d’être encore en vie.
Je ne me souciais plus de vivre à ce moment-là. Vivre était juste trop douloureux pour moi. La quantité de douleur que je ressentais, la souffrance que je devais taire, était trop lourde à porter pour moi. Pourtant, je n’ai jamais pu me faire du mal activement, au sens de me l’infliger personnellement. Je voulais juste partir.
J’étais en enfer. Un pur enfer. Je ne peux pas en parler publiquement, car personne ne connaît la vérité, mais au moins je peux le dire ici. Le travail sexuel est un enfer particulier que les hommes ont créé pour les femmes. Ce n’est pas une prise de pouvoir, je n’ai jamais eu l’impression d’avoir du pouvoir.
J’avais envie de mourir chaque jour où j’étais dans ce milieu. Je détestais tous les hommes impliqués. Je rêvais de les étrangler dans mon sommeil.
Oui, à tous les hommes qui lisent ceci et regardent du porno ou engagent des prostituées, je vous déteste. J’aimerais que dans un monde juste, vous soyez retirés de la société, parce que la personne que j’aurais pu être à ce moment de ma vie n’existe plus ; vous l’avez tuée, et maintenant son cadavre est là ; couvert de toutes les cicatrices, et imprégnée de toute la douleur, il se traîne sans vie, prétendant que la vie est normale.
Je ne suis pas la seule, mais des hommes comme vous m’ont tuée, dans le sens où tous les espoirs et les rêves sont morts, tout le bonheur a disparu, et vous l’avez fait pour votre plaisir. Je vous déteste.
Version originale : https://tradfem.wordpress.com/2022/09/08/la-prostitution-est-un-enfer-particulier-que-les-hommes-ont-cree-pour-les-femmes/