Archives du mot-clé Masculinité

Edouard Leport : Les dégâts du « syndrome d’aliénation parentale » (SAP) 

[Dans l'attente d'un compte-rendu du livre d'Edouard Leport, voici déjà un extrait reproduit avec son aimable autorisation]

L’un des outils les plus dangereux et les plus efficaces pour neutraliser l’opposition des enfants et des mères aux demandes des pères est le « syndrome d’aliéna­tion parentale », abrégé en SAP et parfois euphémisé en « aliénation parentale », « exclusion parentale » ou « emprise et manipulation mentale d’un parent sur l’enfant ».

Le « syndrome d’aliénation parentale » est décrit pour la première fois en 1985 par son inventeur, le psy­chiatre et psychanalyste étasunien Richard Gardner, comme « un trouble propre aux enfants, survenant quasi exclusivement dans les conflits de droit de garde, où un parent (habituellement la mère) conditionne l’enfant à haïr l’autre parent (habituellement le père). Les enfants se rangent habituellement du côté du parent qui se livre à ce conditionnement, en créant leur propre cabale contre le père[1]». Gardner a forgé cette définition à partir de pseudo-constats dont il ne donne jamais de preuves empiriques. Il affirme ainsi que 90 % des enfants dont les parents se disputent la résidence souffrent du syndrome d’aliénation parentale ; que la majorité des allégations de violences sexuelles sur enfant faites dans le cadre de conflits sur la garde des enfants sont fausses ; que 90 % des fausses allégations sont le fait des mères.

Il se propose alors de créer des outils pour déterminer si les accusations de violences sexuelles formulées par les enfants sont vraies ou fausses, tout en partant du principe qu’elles sont fausses à 90 % dans le contexte des séparations conjugales. Le fondement circulaire et autojustificatif du raisonnement est donc éclatant dès le départ.

Un autre aspect particulièrement problématique dans le raisonnement de Gardner est qu’il considère que les « paraphilies » (les comportements sexuels préda­teurs[2]) des êtres humains sont des mécanismes naturels d’adaptation qui favorisent la procréation et assurent donc la survie de l’espèce humaine[3]. Il avance également que les femmes seraient disposées à être traitées violem­ment, voire violées par des hommes, car ce serait le prix à payer pour « recevoir du sperme » et donc participer à la procréation. En plus de la misogynie qui transpire dans ces propos, la dimension tautologique du raisonne­ment est encore une fois évidente : si l’inceste, le viol et les violences sexuelles en général ne sont pas considérés comme des sévices intolérables, alors leur dénonciation n’est ni indispensable ni légitime. Ces actes, supposés être dans la nature humaine, ne justifient pas, selon Gardner, le rejet de leur père par les enfants qui en sont victimes.

Contrairement à ce qu’affirment les partisans du syndrome d’aliénation parentale, et comme le montrent de nombreuses sources répertoriées par la juriste états-unienne Jennifer Hoult[4], il n’y a jamais de vagues de fausses accusations contre des pères, ni pendant les procédures de divorce ou de séparation ni en dehors. À cet égard, il est intéressant de noter que Gardner formule sa théorie du syndrome d’aliénation parentale dans les années 1980 aux États-Unis – une période où de très nombreuses accusations de violences sexuelles sur les enfants ont été médiatisées et se sont révélées vraies pour leur immense majorité. Les dénonciations d’incestes et de violences intrafamiliales avaient alors commencées à être prises au sérieux et les auteurs de ces actes avaient dû en assumer les conséquences devant la justice. La théorie de Gardner permettait de préser­ver l’impunité des hommes auteurs de ces violences sexuelles sur leurs enfants en accusant les mères d’avoir manipulé ces derniers pour les faire mentir[5].

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Emmanuel Reynaud : La Sainte Virilité (éd. Syros, 1980) [extraits]

[Je mets plus bas 2 extraits d’un livre plutôt oublié. Ceux-ci figurent parmi les premières pages - à mon sens les meilleures. On trouve dans La Sainte Virilité des analyses qui s'approchent, avec moins de clarté, de celles de Stoltenberg avec son Refuser d'être un homme ; livre que je (re)conseille vivement. Hormis La Sainte Virilité et un article dans la revue Questions Féministes, je n'en sais pas vraiment plus sur Emmanuel Reynaud.]

Au lieu de reconnaître que les différences biologiques fondamentales entre hommes et femmes sont limitées aux fonctions différentes des sexes mâle et femelle dans le processus de la reproduction, certains scientifiques cherchent au contraire à les étendre à divers aspects du comportement et des aptitudes de chaque sexe.

Toute une série de travaux se basent sur la décou­verte qu’une imprégnation des structures nerveuses du fœtus par les hormones sexuelles détermine, à un moment donné, le fonctionnement définitif de l’hypothalamus, soit sur un mode stable assurant la production constante d’hormones mâles, soit sur un mode cyclique comman­dant la production alternée des deux types d’hormones femelles. A partir de cette meilleure compréhension du mécanisme de la différenciation sexuelle biologique, se développent de nombreuses expériences — sur les animaux — tendant à lier — chez les humains — hormo­nes et comportement. D’autres travaux s’attachent, dans le même ordre d’idées, à montrer qu’un développement et un fonctionnement différents des hémisphères céré­braux chez hommes et femmes impliqueraient des diffé­rences d’aptitude selon le sexe : une capacité verbale meilleure chez les femmes, et une orientation et un trai­tement des tâches globales meilleurs chez les hommes.

Ce genre de recherches, qui tentent de donner une justification biologique aux sexes sociaux, appellent quel­ques commentaires. En effet, bien qu’elles ne manquent pas d’associer au « déterminisme comportemental bio­logique » l’influence de « facteurs psychosociaux » dans la formation de l’individu(e), elles semblent par contre ignorer que la biologie elle-même n’est pas une donnée figée, mais le produit d’une relation à l’environnement ; et cela aussi bien au niveau de l’histoire individuelle (ontogénèse) que de l’histoire de l’espèce (phylogénèse). Les hommes et les femmes tels qu’ils sont aujourd’hui n’ont ainsi rien à voir avec une quelconque « nature humaine », ni avec des « natures masculine et fémi­nine », mais sont le résultat de la division sociale en deux sexes antagonistes.    

En ne remettant pas en cause la division en sexes, on ne peut qu’expliquer a posteriori des modes de compor­tement socialement constatés et historiquement déter­minés. Dans le même ordre d’idées, l’étude d’ « enfants sauvages » qui, isolés depuis leur naissance, sont inca­pables de parler, mettrait sûrement en lumière une inaptitude de ceux-ci au langage… cependant, quelles conclu­sions pourrait-on en tirer pour des humains élevés dans des conditions différentes ?

Quel intérêt y a-t-il à chercher à définir les aptitudes et potentialités de chaque sexe, alors que justement il est actuellement impossible aux individu(e)s de découvrir et développer leurs propres potentialités du fait de leur enfermement dans des catégories de sexe.

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Francine Sporenda : POURQUOI LES HOMMES ONT PEUR (de la sexualité libre) DES FEMMES

Francine Sporenda a étudié en licence et maîtrise à l’université Paris 3. Après un passage dans le journalisme, elle a repris ses études aux Etats-Unis pour un Master et un Ph.D.(doctorat), avec une spécialisation en histoire des idées politiques. Franco-américaine, elle a enseigné comme maître de conférences à l’école de sciences politiques (School of Advanced International Studies) de la Johns Hopkins University. Ex-membre du bureau des Chiennes de garde, elle est responsable rédactionnelle du site « Révolution féministe ». Elle vient de publier Survivre à la prostitution, ces voix qu’on ne veut pas entendre chez M éditeur.

 Les dominants ont peur des dominés

On sait que les hommes conventionnellement socialisés à la virilité ont peu de considération pour les femmes – sexisme bienveillant ou sexisme hostile –voire les détestent – misogynie. Mais derrière ces attitudes visibles, il y a un sentiment plus profond, caché, la peur qu’elles leur inspirent. Ils pourront, quand ils sont entre eux, admettre qu’ils les méprisent et les détestent mais ils ne peuvent pas reconnaître qu’ils en ont peur : un homme, censé être fort, courageux, indépendant, ne peut avouer sa peur des femmes sans ruiner son image virile. Et les hommes étant la classe de sexe qui détient le pouvoir, pourquoi auraient-ils peur de la catégorie qu’ils ont asservie et à laquelle ils se considèrent comme supérieurs ?

En fait, c’est justement pour cela qu’ils ont peur : en règle générale, les dominants ont toujours peur de ceux qu’ils ont asservis. Les maîtres avaient peur des esclaves, les colons se méfiaient des colonisés, les patrons craignaient les prolétaires. Et les hommes ont peur des femmes. Exemples :

Peur des propriétaires d’esclaves du Sud des Etats-Unis : sur leurs plantations, les Blancs étaient beaucoup moins nombreux que les esclaves, désavantage numérique expliquant leur hantise des conspirations et révoltes serviles. Des règles strictes étaient édictées pour empêcher autant que possible ces rebellions : interdiction faites aux esclaves de se réunir en « non-mixte » hors de la surveillance des Blancs, interdiction de sortir de la plantation, interdiction de posséder des armes, interdiction d’apprendre à lire et écrire, etc. On note que, pendant des siècles, les femmes ont été soumises à des interdictions similaires. Et cette peur était d’autant plus obsédante que les maîtres vivaient côte à côte avec leurs « esclaves de maison » et qu’à leur crainte d’être massacrés s’ajoutait celle d’être empoisonnés par leurs cuisinières et valets. Les colonisateurs vivaient pareillement dans la hantise des révoltes indigènes, et des mesures strictes, stipulées dans les codes indigènes, étaient également prises pour contrôler les colonisés et s’assurer de leur docilité.

La raison pour laquelle les dominants ont peur de ceux qu’ils ont réduits en servitude est évidente : ils savent obscurément que leur domination n’existe et ne se perpétue que par la coercition, la manipulation et la violence, et ils redoutent à juste titre que les dominé.es ne se rebellent contre leur tyrannie voire emploient pour s’en libérer les mêmes moyens qu’eux-mêmes ont employés pour l’imposer : l’arroseur arrosé. Ils ont pour habitude de représenter ceux-ci comme stupides, fourbes et cruels pour justifier leur asservissement et étouffer tout scrupule éthique : racisme et sexisme. On note que les peuples réduits en esclavage et colonisés sont souvent féminisés symboliquement : les caractéristiques qu’on leur attribue – fourberie, animalité, stupidité, infériorité biologique – sont celles stéréotypiquement attribuées aux femmes.

La peur des hommes vis-à-vis des femmes relève d’explications du même ordre – peur d’autant plus forte qu’entre les sexes l’intimité est exceptionnellement étroite. Cette proximité est ressentie comme rendant la perfidie féminine spécialement dangereuse : plus les relations sont intimes, plus grand est le risque de trahison. Et comme elles savent tout des faiblesses des hommes qu’elles côtoient, notamment sexuelles, les femmes sont régulièrement accusées d’en jouer pour les asservir : dans les mythologies et les textes religieux, les récits de héros guerriers « castrés » car devenus le jouet docile de femmes séduisantes sont nombreuses et enseignent aux hommes à se défier de ces dangereuses tentatrices – Hercule et Omphale, Samson et Dalila, etc. C’est aussi une histoire d’arroseur arrosé : ce que les hommes craignent au fond, c’est le retour de bâton, la vengeance kharmique des femmes – si elles venaient à se libérer de leur joug, ne les traiteraient-elles pas comme ils les ont traitées ? Et – fantasme d’un matriarcat triomphant – ne pourraient-elles pas un jour prendre le pouvoir, tant ils ne peuvent concevoir une organisation non-hiérarchique des relations sociales, hors du schéma patriarcal dominant-dominé ?

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Interview du Fou allié par Francine Sporenda : « Comment devenir un allié féministe »

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Les alliés du féminisme suscitent autant d’espoir et que de méfiance chez les féministes, le Fou allié s’explique

FS : Les alliés du féminisme ont assez mauvaise réputation dans le mouvement féministe. Pourquoi selon vous ?

FA : Je pense que les stéréotypes sexistes de genres appliqués aux hommes créent des individus sûrs de leur légitimité et de l’importance de leurs croyances ou de leurs avis. En groupe, cela nous donne une sensation de toute-puissance, sans doute légitimée par l’hyper représentation masculine des hommes dans tous les domaines de la société. Quel que soit notre champ de compétence, nous avons tendance à donner notre avis sur n’importe quel sujet. Je pense que dans le féminisme, nous nous comportons exactement de la même façon. Si on ajoute à cela les violences des hommes subies par les femmes, point central de leurs luttes, je comprends aisément que notre présence ne soit pas appréciée.

FS : Les féministes ont observé que certains alliés s’engagent dans des mouvements féministes mixtes pour des raisons qui ont peu à voir avec le soutien au féminisme. Qu’est-ce que viennent chercher ces hommes dans ces mouvements, pourquoi veulent-ils absolument y entrer ?

FA : Je pense que beaucoup d’hommes, de façon générale, ont du mal à accepter que certains domaines ne les concernent pas, et que les femmes puissent avancer sans eux. J’imagine qu’il y a une forme d’égocentrisme très forte là-dedans, voire une forme de manipulation et de violence à vouloir à tout prix d’essayer d’infiltrer ces milieux-là. J’avoue le voir d’un œil très négatif, c’est une démarche presque perverse, je vois ça comme une volonté de reprendre le pouvoir, les mouvements féministes représentent pour eux une sorte de défi, je ne sais pas si vous voyez ce que je veux dire…

FS : Je vois très bien ce que vous voulez dire : ils n’acceptent pas un « non » féminin, que des femmes leur disent : « vous n’avez pas le droit d’entrer », pour eux, c’est intolérable…

FA : Ils n’acceptent pas, c’est ça, cette impression qu’on les dépossède de leur pouvoir légitime à donner leur avis dans tous les domaines, y compris le féminisme, j’y vois une forme d’ego, voire de violence.  

FS : Etes-vous pour ou contre les mouvements féministes non-mixtes, et pourquoi ? Quels sont les problèmes que pose la présence d’hommes dans les groupes féministes ?

FA : La non-mixité me semble absolument essentielle sur les questions féministes. Un espace sain, sans agresseur potentiel, rassemblant des personnes qui ont un vécu commun en ce qui concerne les violences masculines, je pense qu’il faut le respecter absolument. Je suis persuadé que la présence des hommes engendre automatiquement une modification des comportements des femmes, de défense. S’en apercevoir, ne pas le prendre à cœur et le respecter paraît être la moindre des choses.

FS : Mais est-ce qu’il y a aussi une place, un rôle à jouer pour les mouvements mixtes, à côté des mouvements non-mixtes, et lequel ?

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On tue une femme (note de lecture par Didier Epsztajn)

Dans leur introduction, Féminicides, fémicides et violence de genre, Lydie Bodiou et Frédéric Chauvaud, abordent des crimes contre des filles et des femmes dans de nombreuses régions du monde. Elle et il parlent, entre autres, du meurtre d’une fillette de 8 ans en Inde, des mobilisations de femmes en Amérique centrale et du sud contre les « crimes à caractère sexiste », des mots employés, des législations…

I. Le féminicide : une « découverte récente. L’autrice et l’auteur reviennent l’histoire récente et discutent des termes employés, des analyses depuis le milieu des années 70, « des femmes ne sont pas tuées de la même que les hommes, ni avec la même intensité, ni avec une ampleur similaire », de crime commis « par des hommes contre des femmes parce qu’elles sont des femmes », de la notion de féminicide, « violence systémique commise contre les femmes » et de responsabilité des Etats « qui ne luttent pas contre l’enlèvement, la disparition et la mort de fillettes, d’adolescentes et de femmes », d’une autre définition possible, « le féminicide englobe l’infanticide contre les filles, notamment en Inde et en Chine, le crime d’honneur, la violence de masse mais aussi l’infection du sida », de l’occultation de la violence masculine,

Je souligne les paragraphes sur les filles « manquantes » dans certains pays d’Asie, une forme de féminicide non nommé mais d’une échelle et d’une ampleur inégalée, la culture de l’infériorité des femmes, le recours à la « tradition », la violence non considérée comme telle, « Mais le fléau contemporain qui redimensionne l’échelle des dommage à l’encontre du sexe féminin est celui qui les empêche de venir au monde », les effets du déficit démographique combiné au sentiment de propriété sur les femmes, la marchandisation des femmes, « prostitution, trafic, enlèvement, polyandrie, mariages forcées… »

II. De la violence au féminicide : de l’Amérique latine aux instances internationale. Lydie Bodiou et Frédéric Chauvaud abordent, entre autres, les tueries massives ou systémiques, les crimes de masses en lien avec les politiques contre-insurrectionnelles, « Eradiquer les femmes, c’est tarir la source : de la génération, de la tradition, des rites d’une culture autonome », la Convention de Belém do Pára, les violences dites intimes, la notion de féminicide et son inscription dans les législations nationales, « la reconnaissance de l’existence d’un crime spécifique couvre aujourd’hui onze pays d’Amérique latine », les évolutions des conventions internationales dont la Convention d’Istanbul…

III. Deux études de cas à propos du Canada. L’autrice et l’auteur reviennent sur Alek Minassian et son « acte idéologique », la tuerie de l’Ecole polytechnique de Montréal, « les interprétations féministes du massacre furent longtemps minimisées, niées, raillées », les Sœurs volées (je-nai-plus-peur-je-veux-me-battre-puisquon-ne-se-battra-pour-moi/), un « phénomène social qui s’inscrit dans l’héritage colonial canadien »… Lire la suite

Robert Jensen : La masculinité : est-elle toxique, saine ou humaine ?

Par Robert Jensen, sur Good Men’s Project / 2 décembre 2019

L’attention accrue portée à la violence des hommes à l’égard des femmes a mis en lumière non seulement le viol et le harcèlement sexuel, mais aussi les éléments culturels qui suscitent de tels comportements. Bien que seule une mince fraction des hommes enfreignent ouvertement la loi, beaucoup d’hommes adoptent des formes moins flagrantes d’actes agressifs et coercitifs qui blessent des femmes et minent leurs droits, et encore plus d’hommes agissent en spectateurs réticents à contester la violence de leurs congénères.

Cette conversation tourne souvent autour de la critique de la « masculinité toxique » et de la recherche d’une « saine masculinité », ce qui a l’avantage de jeter sur ces formes d’agressions un éclairage nécessaire. Mais nous devrions nous méfier de la façon dont ces phrases peuvent limiter notre compréhension des phénomènes et en venir à renforcer le patriarcat.

Je propose de remplacer l’expression « masculinité toxique » par celle de « masculinité dans le patriarcat », pour attirer l’attention sur le système dont émergent des problèmes. Lire la suite

« La responsabilité institutionnelle dans la mise en danger des enfants » par Le Réseau International des Mères en Lutte

(extrait du power point de Patrizia Romito, photographie réalisée à Ottawa le 11 avril 2017)

Les violences conjugales post-séparation sont de la même nature que les violences conjugales. Selon  la Professeure italienne Patrizia Romito, « il s’agit d’un ensemble de comportements caractérisé par la volonté de domination et de contrôle d’un partenaire sur l’autre, qui peuvent inclure brutalités physiques et sexuelles, abus psychologiques, menaces, contrôles, grande jalousie, isolement de la femme ainsi que l’utilisation des enfants à ces fins ».

Elle précise que les motivations à ces violences peuvent être regroupées en trois catégories : les représailles et la vengeance, le rétablissement de la situation de pouvoir et de contrôle, la tentative de forcer une réconciliation qui permet le rétablissement du contrôle. Les violences conjugales post-séparation affectent un nombre important de femmes et d’enfants et la séparation représente un risque accru de dangerosité.

De fait une absence de repérage des situations à risques ainsi qu’une mauvaise décision en matière de justice aux affaires familiales peuvent avoir des conséquences dramatiques, allant du transfert de résidence des enfants chez le parent violent, aux meurtres des femmes et des enfants.

Les violences létales après la séparation : tuer les enfants pour punir la mère

En Grande-Bretagne, l’analyse par Hilary Saunders de la situation de 29 enfants qui ont été tués par leur père après la séparation montre que ces homicides avaient eu lieu dans un contexte de négociations très conflictuelles entre les parents pour la garde des enfants ou le droit de visite. Dans les 13 familles analysées, la quasi totalité des mères avaient subi des violences conjugales. Pourtant le tribunal les avait obligées à accepter des contacts entre le père et les enfants.

Au Canada, lors du colloque Perspectives internationales sur la violence post-séparation organisé par FemAnVi, les 11 et 12 avril 2017, Patrizia Romito a illustré la responsabilité institutionnelle dans ces meurtres. Elle est notamment revenue sur la mort de Federiko Barakat en Italie.

Le 25 février 2009, ce petit garçon de huit ans est tué par son père dans les locaux des services sociaux de San Donato Milanese. Suite à la séparation qui intervient après des violences conjugales, sa mère Antonella Penati cherche à mettre en sécurité l’enfant mais elle est accusée d’aliénation parentale. Des contacts sont alors ordonnés et mis en place pour rétablir le lien entre le père et l’enfant. Le père tue Federiko lors d’une visite supervisée avec une arme à feu, puis s’acharne sur l’enfant en le frappant de plusieurs coups de couteau, avant de se suicider.

En Espagne, sur une période de 7 années, 29 enfants ont été tués par leur père pour se venger de leur mère. Ces meurtres sont comptabilisés à partir de 2013, puisque ces victimes sont considérés comme des victimes de violence de genre dans les statistiques officielles.

Dans une récente interview, le professeur en médecine légale à l’université de Grenade , Miguel Lorente Acosta, revient sur le cas des enfants tués. Il déplore qu’une personne condamnée avec injonction contre son ex- femme ou ex-conjointe puisse encore continuer à avoir accès aux enfants. Puis il ajoute :

« Un agresseur ne peut jamais être un bon père. Ils ont appris qu’il y a un moyen de faire encore plus de mal avec la mort des enfants. » Lire la suite

Charles Derry : Misandrie

[Le texte suivant constitue un des chapitres du livre Oppression and Social Justice, coordonné par Julie Andrzejewski et publié en 1993]

Note : Cet article s’attache à dépeindre précisément les comportements masculins dans leurs relations aux femmes. Des propos crus et injurieux sont souvent tenus dans ces échanges. Bien que l’auteur ait essayé de limiter ce type de propos, les éliminer complètement réduirait ou brouillerait sa tentative de révéler le soutien masculin aux violences contre les femmes.

Au premier abord, il semblerait que les hommes ne se sentent pas concernés quand les femmes sont violées, battues, blessées, bousculées, frappées, giflées, cognées, mordues, fauchées, attachées, enfermées, suivies, harcelées, humiliées, mutilées, torturées, terrorisées, tuées, frappées, étranglées et matraquées à mort par leurs maris, petits-amis et ex. A première vue, c’est comme si on s’en moquait tout simplement. Mais si on regarde de plus près, on s’aperçoit que le silence ou l’apathie généralisée dont font preuve la plupart des hommes concernant la violence masculine envers les femmes n’est qu’une façade. C’est un masque qui tombe au premier soupçon de résistance des femmes. Dès la moindre suggestion que les hommes ne devraient pas attaquer ou terroriser les femmes, la fine couche de désintérêt silencieux qui protège le privilège des hommes à abuser des femmes disparait.

A la place, se déploie tout un arsenal de résistance masculine souvent assez ahurissant par son envergure, non seulement par le simple nombre de tactiques employées mais également par la sophistication avec laquelle elles sont exécutées. Ce qui semblait de prime abord être du désintérêt masculin s’avère alors être plutôt l’opposé. Les appels au secours passionnés et plein de colère lancés par les femmes se heurtent à un mur. Les hommes s’intéressent vraiment à la violence contre les femmes. Mais ils s’y intéressent d’une façon dont ils préfèrent ne pas parler. Les hommes ont intérêt à ce que la violence se produise et ils ont intérêt à ce qu’elle continue. Et franchement, ils en ont marre d’avoir à en entendre parler. Quand le sujet est abordé, les hommes se mettent en colère, peut-être pas immédiatement mais toujours à la fin, car en dernière instance ce sujet est un défi moral qui implique que nous abandonnions les privilèges qui découlent de notre position de pouvoir. Cela signifie que le sexisme doit cesser et peu d’hommes soutiendront cette idée. Le sexisme, après tout, est une bonne affaire pour les hommes.

Quand j’avais 17 ans, j’ai commencé à sérieusement me demander ce que cela signifierait si les femmes étaient vraiment mes égales. Au bout de deux minutes de réflexion j’ai atteint le cœur du problème. « J’aurais à renoncer à des trucs ». J’ai considéré cette éventualité pendant environ 30 secondes et puis j’ai décidé que « Nan, pourquoi je ferais ça ? ». En faisant ça, je décidais de continuer à adopter les attitudes, comportements et croyances culturellement acceptés chez les hommes et dans lesquelles j’avais déjà été complètement et confortablement endoctriné. Personne ne m’a vu prendre cette décision. Personne n’a questionné la justesse ou l’erreur de celle-ci. Je n’ai d’aucune manière été identifié comme criminel ou déviant. J’ai repris le cours normal de ma vie en ayant un peu plus conscience qu’il valait mieux être un gars qu’une fille. On me faisait peu de reproches. Les femmes étaient des femmes et j’étais un jeune gars cherchant d’abord un accès sous leurs jupes. (Je voulais aussi apprendre à les connaître, bien sûr. Moi je n’étais pas un « animal », après tout, contrairement à certains types que je connaissais). En gros, je me considérais comme un « type bien ».

Mais comment expliquons-nous les données suivantes ?

– La violence se produit au moins une fois dans deux tiers de l’ensemble des mariages (Roy, 1982).

– A peu près 95 % des victimes de violence domestique sont des femmes (Ministère de la Justice, 1983).

– 50 % des femmes seront battues par leur amant ou mari plus d’une fois dans leur vie (Walker, 1979).

– Des études montrent que la violence conjugale a pour conséquence davantage de blessures nécessitant un traitement médical que dans les cas de viol, les accidents de voiture et les vols avec agression cumulés (Stark & Flitcraft, 1987).

– Aux États-Unis, une femme a plus de chances d’être agressée, blessée, violée ou tuée par son compagnon que par n’importe quel autre type d’agresseur. (Browne & Williams, 1987).

– On estime qu’il y a 3 à 4 millions de femmes américaines violentées chaque année par leurs maris ou conjoints (Stark et al, 1981).

– Entre 21 et 30 % des étudiantes déclarent des violences de la part de leur petits amis (Wolf, 1991).

– Aux États-Unis, on estime qu’une femme est violée toutes les 1,3 minutes. 75 % des victimes de viol connaissent leur agresseur (Centre national des victimes et Centre de recherche et de traitement des victimes de crime, 1992).

– Dans une étude, entre 25 et 60 % des étudiants hommes ont reconnu qu’ils violeraient probablement une femme s’ils pouvaient s’en tirer sans conséquence (Russell, 1988).

Qui agresse ces femmes ? Elles sont agressées par des millions d’hommes qui se considèrent toujours comme des « types bien ». Ce sont des pères et des grands-pères, des patrons et des collègues, des prêtres et des curés, des amis et des connaissances, des juges et des députés, des maris et des petits amis. Ce sont des hommes qui connaissent les femmes qu’ils agressent. Alors que 75% des femmes sexuellement agressées connaissent leur agresseur, 100% des victimes d’agressions domestiques connaissent le leur. Si tous les « types bien » se sortaient de leur canapé et faisaient quelque chose pour faire cesser leur violence et celle des autres hommes, la violence masculine s’arrêterait. Le sexisme vacillerait puis s’effondrerait, un peu comme le bloc soviétique s’est effondré au début des années 90 quand ils ont cessé d’écraser leur population avec des tanks. Si tous les hommes qui battent et violent actuellement des femmes arrêtaient, est-ce que tous les hommes qui jusqu’alors n’avaient pas été violents commenceraient à l’être pour maintenir le sexisme et laisser intact le pouvoir masculin avec tous ses privilèges ? Lire la suite

Être « allié des féministes »

[J’ai été invité à l’Université des femmes de Bruxelles le 14 mars dernier pour participer à la table-ronde « Abattre la maison du maître avec ses outils ? Autodéfense et transgression », dans le séminaire « Violences et oppression des femmes : stratégies des institutions et revendications féministes ». Voici plus bas la version écrite de mon intervention. Elle devrait être publiée dans l’année 2020 dans la collection « Pensées féministes » de l’Université des femmes. L’article en PDF est dispo ici : interv’-Bruxelles

Yeun Lagadeuc-Ygouf] (mise à jour le 26-03-2019)

 

Être « allié des féministes ».

Je remercie vivement les organisatrices de m’avoir invité pour intervenir sur mon travail d’ « allié ». L’invitation a été une surprise pour moi car je produis très peu en termes d’écriture. C’est pour moi un honneur d’être considéré par vous comme un allié ; même si je n’ai pas la prétention de me penser indemne de sexisme.

Quand bien même j’essaye de travailler contre le pouvoir des hommes sur les femmes, j’en bénéficie, voire même hélas j’ai exercé ce pouvoir et je peux toujours l’exercer involontairement. Je suis convaincu d’avoir à questionner toujours ma position d’homme. Je considère donc mon engagement comme acrobatique et délicat, mais néanmoins nécessaire. J’y reviendrai. Je précise quand même que cette tension entre le fait d’être un dominant et votre qualificatif d’ « allié » a pour effet d’attiser mes efforts et mes exigences.

On m’a demandé d’intervenir pour parler de mes activités et d’expliciter ma démarche. Je vais donc faire des développements sur mon implication en tant qu’« auxiliaire des féministes » (Dupuis-Déri, 2014) au sein d’une association féministe rennaise, qui hélas n’existe plus, Questions d’égalité ; mon implication dans la collective de traduction Tradfem ; et la tenue de mon blog Scènes de l’avis quotidien. Donc, même si le féminisme influence ma manière de vivre et ma manière d’appréhender mon métier, je ne vais pas faire de développement à ce sujet. Je vais me concentrer sur mes activités qui, je le précise dès maintenant, ne s’attachent pas à une thématique particulière comme la prostitution ou les politiques antiféministes. Mes activités consistent en gros en de la propagande, de l’agitation politique et de l’appui aux initiatives féministes. Dans mon intervention, je vais les replacer au préalable dans un cadre plus large concernant l’engagement des hommes sur les questions féministes.

Je ne suis ni formateur, ni professeur d’université, mon métier est celui d’aide-soignant. Mon quotidien professionnel est dans des relations inter-individuelles, d’attention et d’écoute. Et malgré un parcours « militant » et un court passage à l’université qui me sont utiles ici, je me lance dans le « challenge » d’intervenir car je considère comme une obligation politique que d’essayer de répondre aux demandes des féministes.

Je suis persuadé que tout homme qui remet en question sa place dans le patriarcat et cherche à faire changer la structure sociale doit s’habituer à sortir de son propre confort. illustration1L’inconfort de l’engagement proféministe a plusieurs dimensions mais il est bien évidemment mineur et ridicule pour les questions qui nous concernent ; à savoir les conditions de vie des femmes, qui rappelons-le consistent en de l’exploitation domestique, salariale, sexuelle, des violences, entre autres sexuelles, ou des meurtres. Ça ne se résout pas avec quelques politiciens qui, pour exprimer leur solidarité à une journée de luttes féministes, posent et « transgressent le genre » sur une affiche avec du rouge à lèvres.[1] Lire la suite

Les « mecs de gauche » – Réflexions sur nos amis dans l’ère #MeToo. Par Sylvie Tissot

[L’article de Sylvie Tissot a été publié sur le site Les Mots Sont Importants. Il est reproduit ici avec son aimable autorisation ; merci !]

#MeToo est comme une vague immense, qui ne cesse de se gonfler à partir des minuscules gouttes-d’eau-qui-font-déborder-le-vase, qui font qu’il n’est plus possible de se taire, que le spectacle d’hommes paradant dans leur coolitude, voire leur féminisme, à coup de rouge à lèvres comme D. Baupin, ou de ralliement bruyant et intéressé à la cause des femmes, est soudainement insupportable. Chacun ses moments[1].

La certitude feminist-friendly.

Avez-vous déjà passé un dîner entier à écouter votre interlocuteur, un ami cela va sans dire, vous expliquer à quel point il est féministe ? A quel point ses collègues hommes ne le sont pas. A détailler tout ce qu’il faudrait faire pour faire avancer la cause des femmes ? Tout ce que les femmes devraient faire aussi, et mieux ? Ses collègues notamment, si timorées. Et lui si courageux.

C’est long, très long, ce flot épais de contentement de soi. Et vos lèvres se crispent pour maintenir un sourire amical – de plus en plus poli, de moins en moins amical –, censé exprimer la gratitude que votre auto-proclamé allié attend de vous.

Ce qui me frappe dans le bain « de gauche » dans lequel je baigne, c’est le nombre d’hommes désormais acquis à la cause des femmes et qui le disent haut et fort. Les machos, c’est les autres : le beauf des campagnes, le musulman des banlieues, le bourge du 16ème arrondissement, les masculinistes organisés. Pas eux. La cause est entendue, quel plus beau remède au sexisme que le capital culturel. D’ailleurs n’ont-ils pas lu Judith Butler ? Lire la suite

Parler de « masculinité saine » est comme parler d’un « cancer sain ». Voici pourquoi.

Par John Stoltenberg

Je comprends – je le comprends vraiment – pourquoi beaucoup de personnes éduquées à devenir des hommes cherchent une identité personnelle genrée qui soit bien distincte de tout ce qui a été qualifiée, ces derniers temps, de masculinité toxique. De nos jours, une personne dotée d’un pénis* devrait vraiment faire l’autruche pour ne pas remarquer tous ces comportements visant à prouver sa virilité qui ont été critiqués comme contraires au bien-être (le nôtre et celui des autres). Cependant, autant la personne dotée d’un pénis accepte la critique croissante de la masculinité traditionnelle, autant il peut raisonnablement se demander quels sont les comportements authentifiant la masculinité qui échappent à cette critique. Quelles sont les manières d’ « agir comme un homme » qui permettent à chacun de se distinguer définitivement des« hommes qui se comportent mal » ? Ou, sur un mode plus personnel : Que faut-il faire exactement de nos jours pour habiter une identité de genre à la fois masculine et positive qui soit ressentie – et soit réellement – digne de respect (à nos yeux et à ceux des autres) ?

Au même moment – comme dans un univers parallèle – il existe des légions de personnes éduquées à être des hommes qui ont été exposés à la critique de la masculinité, mais qui la rejettent et y résistent de toutes leurs forces, quasiment au niveau cellulaire, de la même façon que le système immunitaire génère des anticorps pour repousser une infection envahissante. Pour ces personnes dotées d’un pénis, la critique de n’importe quelle masculinité est éprouvée comme une attaque contre toute masculinité. Bouillonnement d’amertume, colère explosive et retour du bâton (backlash) ne sont que quelques-uns des symptômes de leur crispation. Ce qui se passe à l’intérieur – là où ils ressentent leur authentique « Voila ce que je suis » – est une lutte à finir contre ce qu’ils perçoivent comme porteur de leur annihilation personnelle. Lire la suite

Vers la justice de genre

par John Stoltenberg

  (Ce texte est adapté d'une allocution faite par l'auteur lors d'une conférence du Gay Academic Union de New York, le 29 novembre 1974. Les notes de bas de page ont été ajoutées par l'auteur en juillet 2013. Copyright © 1975, 2013 de John Stoltenberg. D'abord publié dans les revues Win, le 20 mars 1975, et Social Policy, en mai/juin 1975 et aussi dans l'ouvrage For Men Against Sexism: A Book of Readings, assemblé par Jon Snodgrass. Traduit et reproduit ici avec la permission de l'auteur.)
Pdf de l'article ici : J.Stoltenberg-Vers la justice de genre

Le modèle hétérosexuel

J’aimerais commencer en décrivant certaines caractéristiques de la société patriarcale dans laquelle nous vivons, certaines caractéristiques de ce que j’appellerai le modèle hétérosexuel. Dans ce modèle, les hommes sont les arbitres de l’identité humaine. Dès qu’ils sont garçons, les hommes sont culturellement programmés à se référer exclusivement aux autres hommes pour conforter leur valeur individuelle. Le confort et le bien-être d’un homme dépendent du travail et de l’attention des femmes, mais son identité – sa « connaissance de qui il est » – ne peut être conférée et confirmée que par d’autres hommes.

Dans le patriarcat, les femmes ne sont pas des témoins fiables de la valeur d’un homme, sauf dans le lit – et là en tant que classe, pas en tant qu’individues. Ainsi, si une femme en particulier n’aime pas le fonctionnement génital d’un homme, il a le droit de se tourner vers une autre femme qui l’apprécie, sans perdre de sa valeur phallique.

Les femmes aussi sont programmées à se référer aux hommes pour leurs identités, mais le programme est lourdement biaisé contre elles. Dans le modèle hétérosexuel, pour une femme, « la connaissance de qui elle est » ne peut pas être distincte de sa relation avec un homme en particulier. La seule façon autorisée d’acquérir quelque identité pour valider sa valeur personnelle est d’appuyer un homme ou d’en devenir la propriété.

Dans le patriarcat, les hommes sont à la fois les arbitres de l’identité des hommes et des femmes, parce que la norme culturelle de l’identité humaine est, par définition, l’identité masculine – la masculinité. Et, dans le patriarcat, la norme culturelle de l’identité masculine comprend le pouvoir, le prestige, les privilèges et les prérogatives sur et contre la classe de genre des femmes. Voilà ce qu’est la masculinité. Ce n’est pas autre chose.

Des tentatives ont été faites de défendre l’idée que cette norme de la masculinité a une base naturelle dans la biologie sexuelle masculine. Il a été dit, par exemple, que le pouvoir masculin dans la société est une expression naturelle d’une tendance biologique à l’agression sexuelle chez les humains de sexe mâle. Mais je crois que ce qui est vrai, c’est l’inverse. Je crois que le comportement génital masculiniste est une expression du pouvoir masculin dans la société. Je crois que l’agression sexuelle masculine est un comportement entièrement acquis, enseigné par une culture que les hommes contrôlent entièrement. Je crois que, comme je vais l’expliquer, il existe un processus social par lequel le patriarcat confère le pouvoir, le prestige, des privilèges et des prérogatives aux gens nés avec une bite[1], et qu’il existe un projet sexuel promu par le patriarcat (pas par Mère Nature) pour déterminer comment ces bites sont censées fonctionner.

Le processus social par lequel les personnes nées avec une bite atteignent et perpétuent la masculinité passe par la connivence masculine [male bonding]. Il s’agit d’un comportement acquis institutionnalisé par lequel les hommes reconnaissent et renforcent leur appartenance respective et de bonne foi à la classe de sexe masculine et où les hommes se rappellent les uns aux autres qu’ils ne sont pas nés femmes. La connivence masculine est politique et omniprésente. Elle a lieu dès que deux hommes se rencontrent. Elle ne se limite pas aux grands groupes exclusivement masculins. C’est la forme et le contenu de toute rencontre entre deux hommes. Les garçons apprennent très tôt qu’ils ont intérêt à être capables de former ce type de liens. Ce qu’ils apprennent pour trouver cette connivence est un code de comportement complexe fait de gestes, de paroles, d’habitudes et d’attitudes qui ont pour effet d’exclure les femmes de la communauté des hommes. La connivence masculine est la façon dont les hommes apprennent les uns des autres qu’ils ont droit, dans le patriarcat, au pouvoir dans la société. La connivence masculine est la façon dont les hommes acquièrent ce pouvoir, et c’est la façon dont il est conservé. Par conséquent, les hommes imposent un tabou contre tout détachement de cette connivence – un tabou fondamental pour la société patriarcale. Lire la suite

Petit guide de «disempowerment» pour hommes proféministes

[L’article qui suit a été publié par la revue québecoise Possibles dans le n° Le féminisme d’hier à aujourd’hui. Il est mis à disposition ici avec l’autorisation de l’auteur.]

par Francis Dupuis-Déri

Plus souvent qu’on pourrait s’y attendre, des féministes suggèrent qu’il faudrait que plus d’hommes se joignent à leur lutte pour la liberté des femmes et l’égalité entre les sexes. Certaines féministes appellent aussi les hommes à s’engager dans leur mouvement car elles considèrent que le féminisme est bon pour les hommes et pourrait même les libérer des contraintes psychologiques et culturelles que leur imposeraient le patriarcat et le sexisme (c’est, entre autres, la position de bell hooks [2004]). D’autres restent sceptiques face aux hommes qui se disent sympathiques au féminisme, puisque tous les hommes tirent avantage, d’une manière ou d’une autre, du patriarcat et que ces « alliés » ne font souvent que reproduire la domination masculine au sein des réseaux féministes (Blais 2008; Delphy 1998).

Du côté des hommes qui s’identifient comme «proféministes» ou même «féministes», nous nous contentons le plus souvent de nous déclarer pour l’égalité entre les sexes et de déployer quelques efforts pour être respectueux envers les femmes et pour effectuer un peu plus de tâches domestiques et parentales que les autres hommes. Peu nombreux sont ceux qui se mobilisent activement dans les réseaux militants et féministes. Ainsi, trop souvent, les hommes proféministes parlent au nom des féministes, tirent avantage de leur engagement (notoriété, légitimité, etc.) et peuvent aussi harceler et agresser sexuellement des militantes (comme le révèlent des exemples historiques et contemporains, dont des cas survenus lors de la grève étudiante au Québec en 2012). On comprend alors que des féministes peuvent accueillir les hommes proféministes avec méfiance.

D’autres mouvements d’émancipation ont connu cette figure paradoxale et problématique du compagnon de route, membre de la classe privilégiée et dominante. Du côté de la lutte contre le racisme, par exemple, le mouvement contre l’Apartheid en Afrique du Sud et contre la ségrégation aux États-Unis, pour ne nommer que ceux-là, ont dû composer avec des activistes antiracistes membres de la majorité dite «blanche». D’ailleurs, Stokely S. Carmichaël (1968 : 100), un militant afro-américain, rappelait que «[l]’une des choses les plus troublantes avec presque tous les sympathisants blancs du mouvement a été leur peur d’aller dans leur propre communauté, là où sévit le racisme, et de travailler à le supprimer. Ce qu’ils veulent, c’est […] nous dire quoi faire dans le Mississipi», alors qu’il aurait été plus utile qu’ils s’engagent contre le racisme dans leur communauté d’origine européenne (Carmichaël 1968 : 100 ; voir aussi McAdam 2012 : 203-208). Lire la suite

Le 2ème livre chez Bambule : CONTRE LE MASCULINISME – guide d’autodéfense intellectuelle.

Par le collectif Stop masculinisme

Des hommes divorcés, perchés en haut d’une grue, qui se disent lésés par une justice qui  leur confisquerait leurs enfants ; des associations défendant les hommes battus et criant à la manipulation des chiffres sur les violences conjugales ; des groupes de parole destinés à des hommes en perte de repères et en quête d’une nouvelle identité masculine.
« Droits des pères », « violences et discriminations à l’encontre des hommes », « crise de la masculinité », tels sont les thèmes chers aux masculinistes. Associations, psychologues, militants, figures médiatiques ou simples quidams, ils sont un certain nombre à affirmer qu’aujourd’hui ce sont les hommes qui souffrent, qu’ils sont victimes des femmes qui auraient pris le pouvoir, des féministes qui seraient allées trop loin, bref d’une société «matriarcale ».couv
Adeptes de la victimisation et de l’inversion des rôles, les masculinistes militent pour la défense de l’ordre patriarcal et des privilèges masculins. Leur idéologie s’inscrit dans un contexte politique réactionnaire où l’on voit se renouveler les formes de la domination masculine. Lire la suite

Enseigner sur le fait d’être oppresseur: Quelques considérations personnelles et politiques

par Steven P. Schacht

  • Je crois que la vérité sur n’importe quel sujet n’apparaît que lorsque toutes les facettes de l’histoire sont mises ensemble, et lorsque leurs différentes significations s’éclairent mutuellement. Chaque écrivain rédige les parties qui manquent à l’histoire d’un autre écrivain. Et l’entière vérité, c’est ce que je suis après.

Walker 1983

 Des programmes de Women’s studies, d’études sur le sexe et le genre, ont été créés dans la grande majorité des écoles supérieures et des universités des États-Unis au cours des vingt-cinq dernières années. Bien que la création et la pérennité de ces programmes ont rencontré des résistances,ils ont également obtenu d’innombrables succès. Dans toutes les disciplines universitaires, les programmes de Women’s studies ont sérieusement remis en question les conceptions du genre, de l’ethnicité, de la classe et de la sexualité. Ils ont également revigoré des dialogues entre plusieurs champs d’études – dont beaucoup étaient depuis longtemps fatigués et pollués. En conséquence, il a été l’un des champs académiques qui s’est développé le plus vite. À bien des égards, les études de genre ont changé à jamais le visage du monde universitaire.

 Sans doute, une conséquence quelque peu latente mais néanmoins importante de cette transformation a été l’impact que ces Women’s studies (et du féminisme en général) ont eu sur des gens comme moi. Lire la suite

Sporenda interviewe John Stoltenberg

Sporenda nous offre une nouvelle interview de FEMINISME SANS FRONTIERES. Elle a choisi de poser ses pertinentes questions au représentant d’une espèce en voie d’apparition: l’homme féministe. À première vue, le féminisme d’un homme semble aussi cohérent que l’antiracisme d’un blanc, la solidarité d’un goy contre l’antisémitisme ou les convictions de gauche d’un riche. Sauf que nous savons toutes que ce n’est pas si simple.  De même qu’on « ne nait pas femme, on le devient », on ne nait pas homme, on le devient. John Stoltenberg, nous explique en quoi les hommes aussi seront bénéficiaires de la déconstruction des rôles.  Le titre de son dernier livre publié en France, « REFUSER D’ÊTRE UN HOMME », peut paraître déconcertant, mais soyons claire: ce que Stoltenberg refuse est non pas l’appartenance biologique mais l’injonction à un statut de dominant qui finalement, comme toutes les oppressions,  n’empoisonne pas seulement la vie des dominés mais aussi celle de ses bénéficiaires.https://encrypted-tbn1.gstatic.com/images?q=tbn:ANd9GcSOQdb0bX87UqiCirgB8_NEhC9YRP9S1jJ9NxKB1OzDQ7s_5ijO

REFUSER D’ÊTRE UN HOMME, interview de John Stoltenberg par Sporenda.

John Stoltenberg est un activiste engagé contre les violences sexistes et dans une critique culturelle  des questions de genre et d’éthique ; il est l’auteur pro-féministe radical de “Refusing to Be a Man: Essays on Sex and Justice” (2000), “The End of Manhood: Parables on Sex and Selfhood” (2000) et “What Makes Pornography Sexy?” (1994). Dans les années 80,  il a participé avec Andrea Dworkin et Catharine MacKinnon à des campagnes des droits civiques contre la pornographie et depuis 2000, il a assure la direction conceptuelle d’une campagne de prévention des agressions sexuelles sur le thème « My strength is not for hurting ».

Ex-éditeur de magazine, il continue à écrire sur les questions de genre et d’éthique, blogue sur le théâtre à Washington DC, où il habite, et est consultant en communication pour des groupes à but non-lucratif. En 2013, il a publié un roman, « Gonerz », dans lequel il projette une vision féministe radicale dans un futur post-apocalyptique.

Il a été le compagnon de la féministe radicale Andrea Dworkin de 1974 jusqu’à sa mort en 2005.

Il tweete sur @JohnStoltenberg et @media2change.

 La traduction française de son livre « Refusing to Be a Man » vient de paraître aux éditions Syllepse sous le titre « Refuser d’être un homme, pour en finir avec la virilité » (avant-propos de Christine Delphy, Mickaël Merlet, Yeun L-Y et Martin Dufresne).

 S : « Refuser d’être un homme » (Refusing to be a Man) a été initialement  publié il y a 23 ans (1990) . Pensez-vous que, depuis sa publication, le message de ce livre a pénétré dans le grand public, ou est-ce qu’il est resté marginal ?

JS : Je suis très réconforté par le nouvel intérêt manifesté pour le féminisme radical qui – comme je peux le constater  sur les medias sociaux – est international. J’ai toujours voulu que le cadre éthique de « Refuser d’être un  homme » soit en accord avec la critique du genre comme hiérarchie faite par le féminisme radical, et cette critique semble résolument progresser, en particulier chez les jeunes activistes. Lire la suite

Rendre des comptes – un choix politique

par Jonathan Cohen, National Organization for Men Against Sexism (NOMAS)

La reddition de comptes est devenue un mot d’ordre dans le mouvement pour mettre fin à la violence conjugale. Il est presque impossible d’exercer un métier qui traite de la violence conjugale sans entendre parler de la reddition de comptes. Mais si certains soupirent à entendre ces mots, pour les femmes battues, celles qui les défendent et leurs allié-es, c’est un principe essentiel dans le mouvement pour la liberté.

La reddition de comptes, en ce qui concerne le travail contre les violences conjugales, est un terme souvent mal compris. Traditionnellement, la reddition de comptes renvoie au fait que des gens avec moins de pouvoir et d’autorité doivent répondre de leurs agissement à ceux qui ont plus de pouvoir et d’autorité. Nous voyons ceci sur le lieu de travail. Les salarié-es doivent rendre des comptes à leurs employeurs.

Mais dans les mouvements pour la justice sociale et la liberté, la signification et la pratique de la reddition de comptes sont tout à fait différentes. En fait, c’est un retournement de la signification traditionnelle et s’interprète dans le contexte d’une théorie politique de l’oppression. Lire la suite