Archives du mot-clé Prostitution

La fin de la masculinité (extrait de l’intro au livre de Robert Jensen)

éditions Libre, 17€ (trad. Tristan Lefort-Martine, Pierre Peruch & Nicolas Casaux)

[merci au éditions Libre pour l’autorisation de répercussion sur le blog]

LA MASCULINITÉ

[Andrea et Jim]

« Sois un homme. »

Depuis leur plus tendre enfance, les hommes s’entendent sempiternellement répéter cet impératif simple. Généralement, cette expression est liée au fait qu’un homme exige d’un autre qu’il soit « plus fort », c’est-à-dire qu’il se montre capable de supprimer ses réactions émotionnelles et de canaliser cette énergie afin de contrôler la moindre situation et d’établir sa domination.

« Sois un homme » signifie donc, en règle générale, « aban­donne ton humanité ».

Être un homme n’est donc pas une bonne affaire. Lorsque nous devenons des hommes, c’est-à-dire lorsque nous acceptons l’idée selon laquelle nous devrions nous conformer à ce qu’on appelle la « masculinité », nous échangeons ceux de nos traits de caractère qui rendent la vie digne d’intérêt contre une quête de pouvoir infinie, qui se révèle, au bout du compte, illusoire et destructrice, non seulement pour les autres, mais aussi pour nous-mêmes.

Face à cette masculinité toxique, une tentative de réponse a consisté à redéfinir ce que signifie le fait d’être un homme, à façonner une masculinité plus tendre et bienveillante, moins menaçante envers les femmes et les enfants, et plus supportable pour les hommes. Une telle entreprise est toutefois inappropriée : notre objectif ne devrait pas être de redéfinir la masculinité mais de l’éradiquer. L’objectif devrait consister à nous libérer du piège de la masculinité.

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Oser dire la vérité sur la prostitution (une intervention de 1971)

par SUSAN BROWNMILLER

Susan Brownmiller est écrivaine, critique et membre active de l’association New York Radical Feminists[1]. Le texte suivant a été prononcé dans le cadre d’une journée d’audition devant une assemblée d’élus de l’État de New York, intitulé « La prostitution, un crime sans victime ».

SUSAN BROWNMILLER : Messieurs, vous déclarez que le but de votre audition aujourd’hui est d’écouter des témoignages au sujet de la prostitution, ce que vous décrivez comme « un crime sans victime ». La prostitution est un crime, messieurs, mais elle n’est pas sans victime. Il y a une victime, et c’est la femme.

J’ai cru comprendre qu’au cours de la semaine dernière, vous avez reçu des appels téléphoniques pressants de plusieurs femmes qui se considèrent comme vos pairs – des femmes de la New Democratic Coalition [Nouvelle Coalition Démocratique], dont une ou deux cheffes de district – et qu’elles vous ont demandé de suspendre l’audience. Elles vous ont dit que le mouvement de libération des femmes considère la prostitution comme une problématique féminine, au même titre que la garde des enfants, au même titre que le salaire égal pour un travail égal, au même titre que le mariage, l’avortement, la contraception et le viol. Ces femmes vous ont dit qu’elles préparaient une conférence sur la prostitution en commun avec les féministes radicales, et que cette conférence, en amont de la session législative, permettrait d’élaborer une nouvelle approche, une approche du point de vue des femmes, sur la question de la prostitution. Mais vous avez refusé d’annuler cette audition, ce qui prouve bien, je pense, le poids que vous accordez au pouvoir politique des femmes. Et donc, contre notre gré, nous sommes contraintes d’utiliser votre journée d’audition comme tribune. Nous le faisons à regret, sur le tas et dans la précipitation, sans la profondeur appropriée, l’examen et l’esprit démocratique d’analyse tel que notre propre conférence de femmes se déroulera.

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« L’enfer des passes » un compte-rendu par Sandrine Goldschmidt

[Compte-rendu publié dans le n°210 de la revue Prostitution et société]

L’essai majeur de Rachel Moran, « Paid For », est enfin traduit en français, sous le titre « L’enfer des passes ». Il paraît le 12 novembre aux Editions Libre.

C’est peu dire que ce livre essai-témoignage de la survivante irlandaise Rachel Moran, « L’enfer des passes, mon expérience de la prostitution » est importante, et qu’on attendait depuis des années sa traduction. Reconnu par de nombreuses personnalités (Gloria Steinem, Catherine Mac Kinnon, Ashley Judd) comme l’un des plus importants jamais écrits sur la prostitution, il n’a, sept ans après, rien perdu de sa clairvoyance. 

La fondatrice de Space international, association de survivantes de la prostitution, commence le livre en racontant ce qui l’a menée à être prostituée : la maladie mentale de ses parents, la maltraitance, la rue, les foyers, puis le « petit copain proxénète ». « Différents éléments s’emboîtèrent parfaitement de sorte que la prostitution se présenta à moi comme étant la seule option qui me paraît viable »dit-elle. 

L’enfer des passes, un système fait pour les hommes

Tout au long de l’ouvrage, elle décortique à merveille le système qui l’a menée et maintenue en prostitution, et qui ne pénalisait pas les hommes prêts à payer une gamine de 15 ans pour du sexe. Elle refuse d’abord, pendant deux ans, autre chose que la masturbation et la fellation. Ce qui ne la protégea ni de la violence de la prostitution, ni du viol.  Puis, elle a accepté la pénétration et a connu toutes les formes de prostitution, de la rue au bordel en passant par le strip-tease. 

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Geneviève Duché : Etre victime

Cette expression [être victime] que des néo féministes voudraient supprimer au grand profit des auteurs de violences.

Dans ce blog, l’article « Ce n’est pas juste une blague » publié le 5 octobre 2021 annonce un guide pour lutter contre le harcèlement sexuel rédigé par l’association CLASHES (collectif de lutte contre le harcèlement sexuel dans l’enseignement supérieur).

Cette association créée en 2002 a recueilli, depuis, de nombreux témoignages de personnes et surtout de femmes à l’université, étudiantes, doctorantes, vacataires et parfois enseignantes titulaires, administratives ayant subi du harcèlement sexuel, effectivement non rare dans cette institution.

Merci donc pour ce guide et ce travail de prise de conscience dans un milieu qui préfère dans la plupart des cas, se taire, couvrir ces violences d’un voile d’une quasi complaisance, protéger l’agresseur plutôt que l’agressée.

Il est urgent d’intervenir ! Il est urgent que ça cesse !

Ce milieu se construit sur des dominations insupportables que j’ai pu observer en tant qu’enseignante chercheuse et en tant que chargée de mission au début des années 2000 pour l’égalité entre les femmes et les hommes à l’université. Il y avait du boulot et il y en a, hélas, encore. Exercice aisé de la domination par des enseignants sur des jeunes ou des administratives qu’ils dirigent en partie par statut, domination exercée vis-à-vis de celles et parfois de ceux qui ont un statut précaire, des études à réussir, des postes à obtenir ; ces possibilités, ces avenirs étant dans les mains de potentats jouissant de leur pouvoir. Le harcèlement moral est aussi fréquent dans ce milieu. A l’époque je n’ai jamais pu obtenir une reconnaissance complète des faits de harcèlement sexuel de la part des autorités dans une institution machiste où trop souvent le pouvoir syndical, le pouvoir de nommer, le pouvoir de donner une promotion sont utilisés pour agresser. Et les victimes, devant le chemin re-traumatisant et risqué, à parcourir, pour obtenir la reconnaissance des faits et des sanctions, finissent par abandonner ou n’osent pas parler. Une étudiante gravement atteinte par le harcèlement de son directeur de thèse a fini par obtenir un changement de directeur, mais le harceleur a conservé tous ses pouvoirs et ainsi peut recommencer. D’une manière générale les autorités ne veulent ou ne savent pas entendre, ne savent pas écouter dans une ambiance où finalement il semble normal que des enseignants et des chefs de service puissent utiliser leur lieu de travail comme lieu banalisé de drague et de marché sexuel et pour un certain nombre comme un dû à leur puissance et « grande intelligence ». J’ai connu une étudiante qui ne voulait pas dire à son directeur de thèse qu’elle vivait avec son compagnon pour ne pas le rendre jaloux. Pouvez-vous me dire ce que cela vient faire dans un accompagnement pédagogique et intellectuel ?

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Osez le féminisme ! : Pornocriminalité – Pornhub, « Jacquie et Michel », Dorcel, la fin de l’impunité

 

Alors qu’aux Etats-Unis et au Canada, PornHub, l’un des géants du système pornocriminel est ébranlé, suite à la publication d’un article fouillé du New-York Times, nous demandons que des mesures soient prises en France, où les deux plus grandes plateformes de contenus pornocriminels “Jacquie et Michel” et “Dorcel” sont visées, directement ou indirectement par des enquêtes judiciaires.
Une enquête sur PornHub parue dans le New-York Times le 4 décembre dernier met en lumière ce que nous dénonçons depuis longtemps : le site diffuse des vidéos de viols, de viols pédocriminels, de torture de femmes inconscientes, étouffées avec des sacs plastique… Comme nous l’avons expliqué dans notre campagne contre la pornocriminalité sur les réseaux sociaux, les contenus pornographiques sont misogynes et le plus souvent racistes, lesbophobes, pédocriminels et incestueux. Lire la suite

« Francine Sporenda : Survivre à la prostitution » (note de lecture par Claudine Legardinier)

[Note de lecture de Claudine Legardinier sur l’ouvrage de Francine Sporenda : Survivre à la prostitution – Les voix qu’on ne veut pas entendre, témoignages

Cette note est tirée du n°205 de la revue trimestrielle du Mouvement du Nid, Prostitution et Société

L’ouvrage de Claudine Legardinier sur le système prostitutionnel, Prostitution : une guerre contre les femmes, est lui aussi indispensable.]

M Editeur, Québec. Parution en France en novembre 2020

 

Francine Sporenda a longtemps été la femme de l’ombre. Elle recueillait les paroles des autres : femmes prostituées ou sortant de prostitution, intellectuelles, militantes que la question de la prostitution prenait à la gorge, comme elle.

La force de la matière collectée, cette parole explosive que personne ne veut entendre, mais aussi le caractère politique du sujet, ont fini par la pousser à rassembler, en un seul livre de trois cents pages, la somme de son travail d’intervieweuse. La parole des premières concernées y occupe une place centrale : une parole sans filtre, une dénonciation magistrale des réalités de cette activité qui reste pourtant parée, dans la société, des dehors affriolants du fantasme. Au détour des pages, on retrouve d’ailleurs Rosen Hicher et Laurence Noëlle, les deux fondatrices du mouvement français des Survivantes ; et des femmes de plusieurs pays, dont certaines jetées dans la prostitution dès l’âge de 11 ou 12 ans.

Leurs mots sont leur force

Pour dire les ficelles du proxénétisme qui poussent à y entrer, les difficultés qui retiennent d’en sortir, leurs mots sont leur force. Lire la suite

Gail Dines : Dans une société juste, il n’y a pas de place pour le porno (chronique de Pornland)

Le libéralisme sexuel est cette idéologie qui exonère les exploiteurs de toute responsabilité à l’égard des personnes qu’ils violentent et exploitent sexuellement. C’est une idéologie qui est particulièrement véhiculée par l’industrie du porno, n’en déplaise à quelques adeptes libertariens qui voient dans ce secteur un apprentissage à la sexualité, un travail, ou un empowerment.

Pour répondre à ces fantasmes ou au mythe d’une pornographie sans impacts sociaux nocifs, le livre de Gail Dines, Pornland – comment le porno a envahi nos vies, est crucial.

L’ouvrage comprend un avant-propos de Cécilia Lépine – blogueuse de Racine Rouge –, une préface de Robert Jensen – universitaire et activiste proféministe – et une postface de Tom Farr – spécialiste des droits humains. Dines pour sa part est une sociologue féministe radicale américaine. Elle a travaillé de nombreuses années sur l’industrie du porno : consultation des films et des sites, échanges avec des producteurs, intégration des études sur le sujet, dialogues avec des consommateurs, des délinquants sexuels ou des étudiant-es. Lire la suite

Osez le féminisme : Mise en examen de 4 pornocriminels (communiqué de presse)

Alors que quatre pornocriminels sont mis en examen pour « viol, proxénétisme aggravé et traite d’être humain aggravé », nous espérons qu’il s’agit là du point de départ de la fin de l’impunité des violences misogynes, pédocriminelles, lesbophobes et racistes du système porno-criminel.

Nous apprenons dans 20 minutes que quatre pornocriminels, dont Mathieu Lauret, alias Mat Hadix, et Pascal Aullitraut, alias Pascal OP, ont été mis en examen pour viols, proxénétisme aggravé et traite d’être humain aggravé. Deux sont aujourd’hui en détention provisoire, deux sont sous contrôle judiciaire. Pascal Aullitraut est également poursuivi pour « blanchiment de proxénétisme aggravé et blanchiment de fraude fiscale » ainsi que pour « travail dissimulé »

Ceci intervient seulement un mois après l’ouverture d’une enquête à l’encontre de « Jacquie et Michel » pour proxénétisme aggravé et viols par le parquet de Paris suite à nos signalements. Nous nous félicitons du fait que la justice commence à écouter, enfin, les très nombreuses victimes de l’industrie pornographique et à condamner les violences inhérentes à celle-ci.

Dans cette deuxième affaire, tous les individus mis en examen travaillent pour l’entreprise « Jacquie et Michel » et/ou l’entreprise Dorcel, qui sont les deux leaders dans l’ “industrie pornographique” française, avec des dizaines -voire des centaines- de millions de vues. En particulier, Mathieu Lauret, dit Mat Hadix, est décrit par le milieu comme “le parrain”, principal producteur de « Jacquie et Michel », qui va même jusqu’à représenter l’entreprise à la place de Michel Piron, le PDG de « Jacquie et Michel », dans les médias. Il produit également trois vidéos par mois pour Dorcel, et multiplie les labels, alimentant toutes les plateformes pornographiques. Lire la suite

Osez le féminisme ! : Des femmes, des survivantes de la prostitution, agressées lors des manifestations du 8 mars !

Osez le Féminisme ! dénonce fermement les violences contre des militantes féministes dont 3 survivantes de la prostitution, au sein même des manifestations le 8 mars pour la journée internationale de lutte pour les droits des femmes. Menaces de mort, violences physiques, arrachage de pancartes et de banderoles… les “pro-prostitution” redoublent de violences, pour confisquer la parole des survivantes qui témoignent héroïquement des violences prostitutionnelles subies. 

  • À Toulouse, une survivante d’inceste et de prostitution, a été attaquée par 3 personnes pour lui arracher sa pancarte abolitionniste.
  • A Paris, 15 personnes organisées ont arraché et volé une banderole, et ont frappé violemment des militantes féministes abolitionnistes, dont une survivante de la prostitution et de viols pédocriminels. Elles ont déposé plainte et passé la nuit aux urgences.

« Tout s’est passé très vite. J’ai vu arriver en courant, derrière mon amie, une quinzaine de personnes vêtues de noir. Elles ont crié « c’est là, c’est elles ! ». Mon amie s’est pris un coup de pied dans le dos et s’est effondrée par terre. On nous a arraché notre banderole. J’ai voulu me relever pour la retenir, mais une femme m’a frappée au visage. S’en est suivi une mêlée, je prenais des coups sans savoir si j’avais une, deux ou trois personnes sur moi. J’ai repris mes esprits maintenue au sol, dans une flaque, par l’un des CRS qui a stoppé l’agression. D’autres amies du collectif qui se trouvaient un peu plus loin avaient suivi la scène, choquées. Quelqu’un est venu leur demander « C’est ici l’assaut contre les abolos ? » [1]

  • À Marseille, une bénévole du Mouvement du Nid a été menacée, et sa pancarte brutalement arrachée et détruite.
  • À Bruxelles, des militantes ont été menacées par des  « morts aux fachos ! mort aux abolos ! ».
  • À Barcelone, des féministes abolitionnistes ont été attaquées violemment ainsi qu’à Lisbonne, Caracas (Venezuela), Monterrey et Puebla (Mexique), tout comme à Berlin.

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Charles Derry : Misandrie

[Le texte suivant constitue un des chapitres du livre Oppression and Social Justice, coordonné par Julie Andrzejewski et publié en 1993]

Note : Cet article s’attache à dépeindre précisément les comportements masculins dans leurs relations aux femmes. Des propos crus et injurieux sont souvent tenus dans ces échanges. Bien que l’auteur ait essayé de limiter ce type de propos, les éliminer complètement réduirait ou brouillerait sa tentative de révéler le soutien masculin aux violences contre les femmes.

Au premier abord, il semblerait que les hommes ne se sentent pas concernés quand les femmes sont violées, battues, blessées, bousculées, frappées, giflées, cognées, mordues, fauchées, attachées, enfermées, suivies, harcelées, humiliées, mutilées, torturées, terrorisées, tuées, frappées, étranglées et matraquées à mort par leurs maris, petits-amis et ex. A première vue, c’est comme si on s’en moquait tout simplement. Mais si on regarde de plus près, on s’aperçoit que le silence ou l’apathie généralisée dont font preuve la plupart des hommes concernant la violence masculine envers les femmes n’est qu’une façade. C’est un masque qui tombe au premier soupçon de résistance des femmes. Dès la moindre suggestion que les hommes ne devraient pas attaquer ou terroriser les femmes, la fine couche de désintérêt silencieux qui protège le privilège des hommes à abuser des femmes disparait.

A la place, se déploie tout un arsenal de résistance masculine souvent assez ahurissant par son envergure, non seulement par le simple nombre de tactiques employées mais également par la sophistication avec laquelle elles sont exécutées. Ce qui semblait de prime abord être du désintérêt masculin s’avère alors être plutôt l’opposé. Les appels au secours passionnés et plein de colère lancés par les femmes se heurtent à un mur. Les hommes s’intéressent vraiment à la violence contre les femmes. Mais ils s’y intéressent d’une façon dont ils préfèrent ne pas parler. Les hommes ont intérêt à ce que la violence se produise et ils ont intérêt à ce qu’elle continue. Et franchement, ils en ont marre d’avoir à en entendre parler. Quand le sujet est abordé, les hommes se mettent en colère, peut-être pas immédiatement mais toujours à la fin, car en dernière instance ce sujet est un défi moral qui implique que nous abandonnions les privilèges qui découlent de notre position de pouvoir. Cela signifie que le sexisme doit cesser et peu d’hommes soutiendront cette idée. Le sexisme, après tout, est une bonne affaire pour les hommes.

Quand j’avais 17 ans, j’ai commencé à sérieusement me demander ce que cela signifierait si les femmes étaient vraiment mes égales. Au bout de deux minutes de réflexion j’ai atteint le cœur du problème. « J’aurais à renoncer à des trucs ». J’ai considéré cette éventualité pendant environ 30 secondes et puis j’ai décidé que « Nan, pourquoi je ferais ça ? ». En faisant ça, je décidais de continuer à adopter les attitudes, comportements et croyances culturellement acceptés chez les hommes et dans lesquelles j’avais déjà été complètement et confortablement endoctriné. Personne ne m’a vu prendre cette décision. Personne n’a questionné la justesse ou l’erreur de celle-ci. Je n’ai d’aucune manière été identifié comme criminel ou déviant. J’ai repris le cours normal de ma vie en ayant un peu plus conscience qu’il valait mieux être un gars qu’une fille. On me faisait peu de reproches. Les femmes étaient des femmes et j’étais un jeune gars cherchant d’abord un accès sous leurs jupes. (Je voulais aussi apprendre à les connaître, bien sûr. Moi je n’étais pas un « animal », après tout, contrairement à certains types que je connaissais). En gros, je me considérais comme un « type bien ».

Mais comment expliquons-nous les données suivantes ?

– La violence se produit au moins une fois dans deux tiers de l’ensemble des mariages (Roy, 1982).

– A peu près 95 % des victimes de violence domestique sont des femmes (Ministère de la Justice, 1983).

– 50 % des femmes seront battues par leur amant ou mari plus d’une fois dans leur vie (Walker, 1979).

– Des études montrent que la violence conjugale a pour conséquence davantage de blessures nécessitant un traitement médical que dans les cas de viol, les accidents de voiture et les vols avec agression cumulés (Stark & Flitcraft, 1987).

– Aux États-Unis, une femme a plus de chances d’être agressée, blessée, violée ou tuée par son compagnon que par n’importe quel autre type d’agresseur. (Browne & Williams, 1987).

– On estime qu’il y a 3 à 4 millions de femmes américaines violentées chaque année par leurs maris ou conjoints (Stark et al, 1981).

– Entre 21 et 30 % des étudiantes déclarent des violences de la part de leur petits amis (Wolf, 1991).

– Aux États-Unis, on estime qu’une femme est violée toutes les 1,3 minutes. 75 % des victimes de viol connaissent leur agresseur (Centre national des victimes et Centre de recherche et de traitement des victimes de crime, 1992).

– Dans une étude, entre 25 et 60 % des étudiants hommes ont reconnu qu’ils violeraient probablement une femme s’ils pouvaient s’en tirer sans conséquence (Russell, 1988).

Qui agresse ces femmes ? Elles sont agressées par des millions d’hommes qui se considèrent toujours comme des « types bien ». Ce sont des pères et des grands-pères, des patrons et des collègues, des prêtres et des curés, des amis et des connaissances, des juges et des députés, des maris et des petits amis. Ce sont des hommes qui connaissent les femmes qu’ils agressent. Alors que 75% des femmes sexuellement agressées connaissent leur agresseur, 100% des victimes d’agressions domestiques connaissent le leur. Si tous les « types bien » se sortaient de leur canapé et faisaient quelque chose pour faire cesser leur violence et celle des autres hommes, la violence masculine s’arrêterait. Le sexisme vacillerait puis s’effondrerait, un peu comme le bloc soviétique s’est effondré au début des années 90 quand ils ont cessé d’écraser leur population avec des tanks. Si tous les hommes qui battent et violent actuellement des femmes arrêtaient, est-ce que tous les hommes qui jusqu’alors n’avaient pas été violents commenceraient à l’être pour maintenir le sexisme et laisser intact le pouvoir masculin avec tous ses privilèges ? Lire la suite

NON, MERCI !

Lettre ouverte d’hommes adressée aux membres du Conseil constitutionnel

 

NON, MERCI !

Nous, les hommes, ne tenons pas du tout

à nous voir reconnu un statut d’agresseur sexuel.

Mesdames et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel, vous allez examiner une Question prioritaire de constitutionnalité visant à abroger la pénalisation des clients-prostitueurs prévue par la loi du 13 avril 2016, c’est-à-dire à rendre de nouveau légal l’achat d’actes sexuels.

Nous, les hommes, sommes l’immense majorité des clients de la prostitution. Avant la loi « visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées », nous jouissions librement et sans complexes du droit, contre paiement, de disposer sexuellement de personnes dites prostituées. C’est ce même droit que certains voudraient aujourd’hui graver dans le marbre constitutionnel au nom de curieux principes : est-ce à dire que nos éventuelles difficultés sociales ou relationnelles, nos fantasmes, nos pulsions prétendument irrépressibles, ou notre simple statut d’homme nous autoriseraient à louer un être humain, le plus souvent une femme, sans aucune considération pour elle et pour son propre désir ?

Ce privilège archaïque nous permettant de contraindre une personne à un acte sexuel contre de l’argent, nous n’en voulons pas !  Lire la suite

Zéromacho – des hommes disent non à la prostitution (des extraits du livre de Florence Montreynaud)

[J’avais il y a quelques années été confronté au fait que, selon des défenseurs du « travail du sexe »,  les abolitionnistes était tenu-es pour responsable de la loi sécurité intérieure de Sarkozy et de la répression des prostitué-es, l’extrait du livre Zéromacho reproduit plus bas témoigne qu’il n’en est rien.

L’extrait est composé de passages des chapitres 3 et 4 : « Que faire contre le système prostitueur ? » et  « La vérité libère ».

Ce livre est un appel à la résistance contre la colonisation des esprits par le marché. Non, le corps humain est ni à vendre ni à louer. Non, la sexualité n'est pas une marchandise.

Accepterons-nous que l’ordre marchand s’impose dans tous les domaines ? Laisserons-nous ceux qui ont déjà le pouvoir de l’argent consommer le corps des pauvres ?

Contre l’approche fataliste — « il y aura toujours de la prostitution » - ou prétendument pragmatique - mieux vaut réglementer ce qu’on ne peut empêcher —, nous sommes beaucoup à parier sur la capacité d’invention : imaginons ensemble un monde sans prostitution!

Depuis le passage de la loi abolitionniste en avril 2016 jusqu’à juin 2017, ce sont 1 164 prostitueurs qui ont été interpellés – rappelons par ailleurs que les amendes à leur encontre sont dérisoires pour des actes qui devraient légalement s’apparenter à des viols.

Les verbalisations des prostitué-es, auxquelles les abolitionnistes s’opposent, continuent quant à elles du fait d’arrêtés municipaux, particulièrement à Toulouse et Lyon. Il y a soit dit en passant une coïncidence troublante car c’est justement là où des assos cherchent à banaliser le « travail du sexe »  (Cabiria à Lyon et Grisélidis à Toulouse) que la répression des prostituées perdure, contrairement aux prostitueurs qui eux restent exceptionnellement peu inquiétés.  A ma connaissance aucune explication n’est donnée à ce phénomène. On peut émettre seulement des hypothèses :  des prostitueurs hauts placés se protègent pour continuer à « consommer/consummer » des prostitué-es, celles et ceux dont ils sont proches et réguliers,  et ils orientent ainsi le travail des flics vers d’autres personnes ? les flics protègent leur balance de proxénètes ? … Le « cher client », pour reprendre une formule de Cabiria, devrait rester Roi ?… ? Quoi qu’il en soit, dans ces 2 villes, les agissements des prostitueurs ne semblent pas un enjeux prioritaire auquel s’attaquer.

Les passages choisis du livre de Florence Montreynaud offrent aussi des éléments historiques et linguistiques permettant de recadrer les enjeux du système prostitutionnel, là où par contre certains se contentent de prêts-à-penser insultant du type « putophobe ! putophobe ! », qui ne servent qu’à laisser leur confort et la domination masculine indemnes. J’espère qu’ils liront ces extraits.

Vous rencontrerez dans son livre des témoignages de zéromachos aux profils variés : catholiques, écologistes, ou antispécistes ; mais aussi des prostitueurs ou ex-prostitueurs, parfois repentis, eux aussi divers.

Je remercie vivement Florence Montreynaud pour m’autoriser à reproduire ces passages, tirés de son dernier ouvrage Zéromacho – des hommes disent non à la prostitution (éd. M. , 2018). ] Lire la suite

« 11 façons dont les hommes peuvent répondre de manière productive au mouvement #MoiAussi » par Feminist Current

Le hashtag #MoiAussi a encouragé certains hommes à faire allusion sur Internet à leurs comportements misogynes, mais ils doivent aller au-delà de confessions sur les médias sociaux.

publié le 22 OCTOBRE 2017, par l’équipe de FEMINIST CURRENT

Plus tôt cette semaine, Meghan Murphy a proposé quelques suggestions sur ce que nous pourrions demander aux hommes, à la lumière du hashtag viral #MoiAussi, qui visait à rappeler aux hommes béatement ignorants (ou obstinés) l’omniprésence de l’agression sexuelle et du harcèlement perpétrés par des hommes contre des femmes partout.

Certains hommes ont répondu en reconnaissant qu’ils participent à la misogynie. Certains hommes ont admis être coupables de harcèlement ou d’agression sexuelle. Certains hommes ont présenté des excuses pour avoir laissé d’autres hommes agir ainsi. Mais, même si ces hommes peuvent être bien intentionnés, ce type de réponses sur les médias sociaux ne constitue pas nécessairement une action productive. C’est pourquoi, l’équipe de Feminist Current a compilé une liste (partielle) de suggestions à l’intention des hommes qui voudraient réagir d’une manière productive face au problème de la violence masculine contre les femmes, au-delà d’un étalage de vertu personnelle (virtue signalling) sur Internet.

1) Prenez conscience du nombre de femmes qui sont dans votre vie et qui ont révélé publiquement cette semaine avoir été agressées ou harcelées sexuellement, et laissez cette conscience vous mettre mal à l’aise. Évitez la réaction défensive du « Pas tous les hommes ». Même si vous n’avez pas personnellement agressé sexuellement une femme, ce comportement fait partie de notre culture ; vous devez donc vous attaquer au fait (pour le changer) qu’à l’échelle internationale, une femme sur trois a été exposée à de la violence physique ou sexuelle et que presque toute cette violence est perpétrée par des hommes.

2) Arrêtez de traiter les femmes et les filles comme avant tout « jolies ». Cela signifie éviter de complimenter d’abord et avant tout les filles et les femmes sur leur apparence. Beaucoup d’entre nous faisons cela sans même réfléchir (nous commençons tôt, aussi, en disant aux fillettes qu’elles sont « jolies » ou en commentant leurs tenues), mais de tels commentaires renforcent l’idée qu’être considérée comme attrayante ou désirable est la chose la plus importante qu’une femme ou une fille peut espérer.

3) De même, commencez à prêter attention à la façon dont vous regardez/considérez les femmes. Si la première chose que vous faites quand vous voyez une femme dans la rue est de la mater de haut en bas pour évaluer si elle est « baisable », arrêtez ça. Lire la suite

John Stoltenberg : Sexualité masculine — ce qui rend sexy la possession d’autrui.

John Stoltenberg : Sexualité masculine — ce qui rend sexy la possession d’autrui.     

 

Il semble que les hommes, en général, préfèrent utiliser leur raison à justifier les préjugés qu’ils ont assimilés sans trop savoir comment, plutôt qu’à les déraciner.

– Mary Wollstonecraft, Défense des droits de la femme[1]

Je soupçonne que si Mary Wollstonecraft vivait encore, elle trouverait ses propres mots écrits en 1792 d’une déconcertante actualité. Après tout, Wollstonecraft était une pionnière dans la recherche de l’égalité sexuelle — et aucun d’entre nous n’a encore atteint cette égalité. À vrai dire, il semble que la justification par les hommes de leurs préjugés soit toujours la tendance dominante du discours social. Ainsi, en hommage à l’héritage de Wollstonecraft, je voudrais essayer de déraciner un des préjugés qui subsistent dans la suprématie et la sexualité masculines — un préjugé précis et bien intégré sans lequel le viol et la prostitution seraient inimaginables.

J’appelle ce préjugé l’érotisme de possession.

Nous avons beaucoup d’indices indirects de l’existence de cet érotisme. Par exemple, à travers les témoignages des femmes qui sont ou ont été appropriées sexuellement dans le mariage, forcées dans le viol, et/ou sexuellement utilisées contre de l’argent dans la prostitution, il s’avère que pour beaucoup d’hommes, la possession est un élément central de leur comportement sexuel. Beaucoup d’hommes peuvent à peine éprouver de sentiment érotique s’il n’est pas associé à la possession du corps d’autrui.

En anglais, comme dans beaucoup d’autres langues, le verbe posséder signifie à la fois « être propriétaire de » et « baiser », et cette coïncidence sémantique n’est visiblement pas un hasard. Beaucoup d’hommes mettent apparemment dans le même sac le comportement sexuel normal « masculin » et l’appropriation littérale du corps d’un autre être humain. Lire la suite

Défaire les idées toutes faites…

Juste pour information, je signale la publication d’un « nouveau » livre de Claudine Legardinier dans la collection Nouvelles Questions Féministes de chez Syllepse.

C’est un ouvrage qui mérite d’être largement diffusé et connu pour la mine d’informations et les analyses précieuses qu’il développe.

Un outil excellent pour défaire nos idées toutes faites sur le système prostitueur et les « débats » qui l’entoure !  

 

Prostitution et engagement proféministe

[J’avais proposé une version de l’article suivant à une revue papier, de tendance plutôt marxiste, matérialiste – d’où certaines préoccupations dans le contenu de mon texte – comme finalement il n‘y sera pas publié, je l’affiche ici. Je tiens à remercier pour leur relecture attentive : quelques anonymes, Mélanie Jouitteau, Martin Dufresne, Pierre-Guillaume Prigent et plus particulièrement Gloria Casas Vila, qui est à l’origine de ce texte. Cet article leur doit énormément. Le contenu reste de ma seule responsabilité. (L’article en format pdf: prostitution-engagement proféministe)

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L’abolition de la prostitution est un projet défendu depuis des décennies par de nombreuses féministes. Il n’a cependant pas eu bonne presse ces dernières temps, y compris à gauche (Chollet, 2014). Les féministes abolitionnistes ont obtenu très peu d’espaces pour exprimer leurs analyses dans la plupart des revues de critique sociale, contrairement aux adeptes du « travail du sexe ». Malgré tout, certains présupposés de ces adeptes commencent à voler en éclats.

Le rôle des hommes de gauche a rarement été analysé par d’autres hommes de gauche, « proféministes » ou « antimasculinistes ». Cet article souhaite partiellement combler ce manque. La méthode consistera ici a revenir sur certains arguments avancés par des hommes qui défendent le « travail du sexe » et plus particulièrement certains arguments d’un ouvrage récent : Les luttes des putes de Thierry Schaffauser. Je me sers de ce livre car il me semble représentatif d’un certain militantisme, dirigé par la classe des hommes1. L’auteur connaît le féminisme et s’oppose à une supposée « morale puritaine » qui y sévirait. Il s’agira de voir si son approche s’inscrit dans une démarche proféministe. Je n’ignore pas qu’une partie destéléchargement féministes s’inscrit dans une démarche « pro-travail du sexe » et que Schaffauser peut s’en inspirer. J’utilise son ouvrage comme prétexte pour dessiner en creux des pistes pour un « engagement proféministe ».

L’auteur se range au côté de ceux qu’il nomme très sérieusement les « garçons transpédégouine » et s’attribue le qualificatif de « pute »2. Son travail prioritaire consiste à défendre vertement le groupe dont il est un des représentants, le Strass – lobby mixte qui défend la notion de « travail sexuel »3.

Mes propos pour l’ensemble répéteront nombre d’arguments des féministes radicales. Je ne prétends pas leur apporter du neuf. Cependant, je trouve important de les réitérer auprès d’un lectorat qui professe ou entend régulièrement des affirmations comme : « Le féminisme est devenu un pouvoir aussi tyrannique que le patriarcat qu’il combat » (Berréby et Vaneigem, 2014: 290).

En fin d’article, c’est en tant que professionnel du soin – aide-soignant – que je discuterai un aspect particulier défendu dans son livre : le fait que l’activité prostitutionnelle relèverait d’une forme de care.

Le refus du système prostitutionnel comme disemporwerment (perte de pouvoir) des hommes

L’approche défendue ici est qu’un engagement « proféministe », c’est à dire un engagement d’hommes contre le pouvoir individuel et collectif des hommes, implique un activisme contre le système prostitutionnel. Je précise néanmoins que j’ai longtemps été empêtré dans des approches que je qualifie désormais de libérales : des approches qui s’attachent à militer contre les normes plutôt que contre les hiérarchies, qui confortent le spectacle de représentations consommables, et qui favorisent l’illusion d’avoir détaché l’individu de la société par la performativité individuelle. Je les qualifie de libérales car elles promeuvent une idée de la liberté qui nie les rapports de forces existants et renforcent ainsi les dominants. La liberté n’y est pas pensée en rapport avec l’égalité. Cette approche libérale me semble aujourd’hui incompatible avec l’engagement proposé ici, qui coïncide plutôt avec ce que Francis Dupuis-Déri a désigné sous le nom de disempowerment :

« Le disempowerment des hommes (…) [implique de réduire notre capacité d’agir] en tant qu’hommes et donc en tant que membres de la classe dominante et privilégiée dans le patriarcat. L’engagement des hommes dans un processus individuel et collectif de disempowerment consiste à réduire le pouvoir que nous exerçons individuellement et collectivement sur les femmes, y compris les féministes ». Lire la suite

La prostitution et la valeur commerciale des jeunes

par Rachel Moran

[L’article suivant est extrait du livre: Elles ont fait reculer l’industrie du sexe ! Le modèle nordique, sous la direction de Trine Rogg Korsvick et Ane Stø. C’est une co-édition M-éditions (2014) et Syllepse, collection Nouvelles Questions Féministes (début 2015). Je remercie ces deux éditions et le traducteur pour l’autorisation de republication.]elles ont fait reculer...

Les gens qui affirment que la prostitution serait libre de toute coercition, traite, exploitation des mineures, bref, de tout ce qui l’empêche d’être une sorte de bacchanale licensieuse et transparente n’impliquant que des adultes consentants,  passent sous silence un aspect réel et essentiel du système prostitutionnel: la question de la valeur commerciale des jeunes.

Tout comme dans certains véritables secteurs d’emploi, comme la mode ou la danse professionnelle, la jeunesse est un attribut hautement prisé. Or, contrairement au travail de mannequin ou à la danse, la jeunesse en prostitution est valorisée beaucoup plus que la beauté et la fluidité de mouvement. Pour être la plus recherchée dans cette industrie, vous n’avez pas besoin d’être la plus jolie fleur du parterre – il vous suffit de faire partie des plus fraîches. Et ce que vous pouvez faire ou pas avec votre corps ne compte pas. La seule chose qui importe, c’est qu’il n’a pas été de ce monde bien longtemps.

L’une des questions les plus fréquemment posées par les hommes qui font appel à un bordel, c’est « Quel âge a la plus jeune de vos filles? » Je ne peux pas vous dire combien de fois on m’a posé cette question. Je défie quiconque ayant été préposé à l’accueil d’un bordel d’oser me mentir en soutenant que ce n’est pas la question la plus fréquente qu’on lui ait posée, à elle aussi.

La valeur commerciale des jeunes fait si profondément partie du système prostitutionnel que les femmes mentent régulièrement sur ​​leur âge pour essayer de racoler plus de clients. Ceux-ci le savent, bien sûr, et si les femmes se rajeunissent de quelques années, de leur côté, les clients en rajoutent : « J’ai vingt-six ans, je vais lui dire vingt-trois » / « Vingt-trois ans ? Cela veut dire vingt-six. »

Personne ne trompe personne ici, et cette pathétique mascarade ne sert qu’à révéler le sens de ces petits mensonges. Ce que cela démontre, bien sûr, c’est que les hommes qui achètent des corps pour du sexe veulent habituellement acheter les corps les plus jeunes possible.

L’année dernière, la BBC a signalé que des prostituées de 13 ans faisaient le trottoir à Swindon, dans le comté du Wiltshire. « Revenez durant le week-end et vous trouverez ici des filles de 13 à 19 ans », a déclaré une femme prostituée aux journalistes.

Quand je lis de tels comptes rendus, je ne peux que soupirer, imaginant d’avance l’indignation des gens. Cette indignation me tue, qu’elle soit authentique ou pas. Parce que si elle l’est, cela prouve que nous avons du chemin à faire pour éduquer les gens à la réalité de la prostitution. Et si elle ne l’est pas, eh bien, c’est une preuve de plus à ajouter au tsunami d’informations sur cette question: jusqu’où certaines personnes sont-elles prêtes à aller pour contrecarrer tout examen réaliste du système prostitutionnel ? Lire la suite

L’antiféminisme (extraits)

[Plus bas, un extrait du livre Les femmes de droite d’Andrea Dworkin, publié par les éditions du remue-ménage. indexC’est à ce jour le seul ouvrage de cette féministe radicale américaine traduit. Il est en vente ici: Violette & Co. Les extraits qui suivent sont tirés du dernier chapitre intitulé « L’antiféminisme ».

Les femmes de droite est un livre d’autant plus puissant qu’il est précédé d’une préface où Christine Delphy explicite entre autres les divergences entre le queer et le féminisme radical.

Un ouvrage, riche, à lire.

Des articles d’Andrea Dworkin ont été aussi publiés dans l’anthologie Pouvoir et violence sexiste (Éditions Sisyphe). ]

Le féminisme est une philosophie politique qui suscite beaucoup de haine. C’est vrai dans tout le spectre politique reconnaissable défini par les hommes, de l’extrême-droite à l’extrême-gauche. Le féminisme est haï parce que les femmes sont haïes. L’antiféminisme est une expression directe de la misogynie ; c’est l’argumentaire politique de la haine des femmes. Il en est ainsi parce que le féminisme est le mouvement de libération des femmes. L’antiféminisme, dans l’une ou l’autre de ses familles politiques, soutient que la condition sociale et sexuelle des femmes incarne essentiellement (d’une manière ou d’une autre) leur nature, que la façon dont les femmes sont traitées dans le sexe et dans la société est conforme à ce que sont les femmes, que la relation fondamentale entre les hommes et les femmes – dans le sexe, la reproduction et la hiérarchie sociale – est à la fois nécessaire et inévitable. L’antiféminisme soutient la conviction que la violence infligée aux femmes par les hommes, en particulier dans le sexe, possède une logique implicite qu’aucun programme de justice sociale ne peut ou ne devrait éliminer; et que puisque l’utilisation que les hommes font des femmes découle de leurs natures distinctes et opposées qui convergent dans ce qu’on appelle « le sexe », les femmes ne sont pas violentées quand on les utilise en tant que femmes, mais simplement utilisées pour ce qu’elles sont par les hommes en tant qu’hommes. On reconnaît qu’il existe certains excès de sadisme masculin – commis par des individus dérangés, par exemple – mais en général, l’avilissement massif des femmes n’est pas perçu comme une violation de la nature des femmes en tant que telles. Par exemple, la nature d’un homme serait violée si quelqu’un pénétrait son corps de force. Mais le même incident ne transgresse pas la nature d’une femme, même si cela lui a fait mal. La nature d’un homme ne provoquerait pas qui que ce soit à pénétrer son corps de force. Mais la nature d’une femme provoque une telle pénétration – en outre, une blessure ne prouve pas qu’elle ne voulait pas cette pénétration ou même cette blessure, puisqu’il est dans sa nature de femme de désirer être pénétrée de force et blessée de force. Une femme est violée toutes les trois minutes aux États-Unis, selon des estimations conservatrices, et dans chacun de ces viols, c’est la nature de la femme et non l’acte de l’homme qui est mise en cause. Il n’y a assurément aucune reconnaissance sociale ou juridique du viol comme acte de terrorisme politique. Lire la suite

Bienvenue à La profémiliste !

[Voici l’ouverture d’une nouvelle liste]

 La PROFÉMILISTE regroupe des personnes qui souhaitent interagir en vue de l’éradication de la domination masculine. Lancée par des hommes proféministes et ouverte aux femmes, cette liste de discussion internet affirme notre reddition de comptes aux luttes anti-patriarcales en cours. Nous nous retrouvons sur les bases du féminisme radical, à savoir les analyses et les propositions de Christine Delphy, Audre Lorde, Colette Guillaumin, Monique Wittig, Patricia Hill Collins, Andrea Dworkin, etc., ainsi que­ d’alliés comme John Stoltenberg et Léo Thiers-Vidal.

Nous prenons pour cibles l’exploitation, l’appropriation, la domination, dont le système prostitutionnel,…. et autres violences imposées aux femmes. Notre démarche est à la fois collective et individuelle. Lire la suite

Un entretien avec Christine Delphy – Politis

[Publié en octobre dernier et effectué par Ingrid Merckx, l’entretien suivant est extrait du n°1272 de la revue Politispolitis. Je le reproduis avec l’aimable autorisation de Christine Delphy et d’Ingrid Merckx – merci à toutes deux.]

Le Lieu-dit, à Paris, était comble le 28 septembre pour la conférence organisée avec Christine Delphy à l’occasion de la réédition de son ouvrage phare. «L’Ennemi principal est un document de référence dans les études féministes. Ses deux tomes retracent l’évolution d’une pensée en mouvement», a souligné la sociologue Sylvie Tissot. Exemple : à propos du mariage pour tous, où Christine Delphy est passée du manque d’intérêt – «Ma génération était plutôt pour la suppression du mariage pour tout le monde» – au soutien. Une fracture s’est dessinée entre cette féministe « marxiste matérialiste et radicale » et plusieurs jeunes auditrices à propos de la transsexualité. « Je ne vois pas en quoi soutenir une femme qui veut devenir un homme, et donc passer dans le camp de l’oppresseur, est un combat féministe », a-t-elle déclaré.

Environ trente ans se sont écoulés entre le premier article, éponyme, de l’Ennemi principal et le dernier article. Quelle différence d’impact entre alors et maintenant ?
delhpy1bChristine Delphy: Il n’y en a pas tant que ça. L’article le plus connu, « L’ennemi principal », porte sur les grandes structures du patriarcat et l’exploitation économique des femmes. Cela n’a, malheureusement, pas beaucoup changé. Le non-partage du travail dit  domestique est quasi le même. Le travail paraprofessionnel – que les femmes font pour leur mari sans recevoir de rétribution (comptabilité, accueil des clients, travaux en tous genres…) – a un peu diminué, notamment avec le déclin de l’agriculture. Mais de nouveaux métiers indépendants se sont créés. Et, dans ce domaine, on ne sait rien des inégalités. Lire la suite