Archives du mot-clé Féminisme radical

Susan Hawthorne : est-il acceptable que des hommes gays exploitent des mères porteuses confrontées à la pauvreté, au racisme, aux forces eugénistes et à la misogynie ?

par Susan Hawthorne

Document présenté à Broken Bonds and Big Money : Une conférence internationale sur la grossesse pour autrui[1] . Storey Hall, RMIT, Melbourne, 16 mars 2019.

Je suis lesbienne. Au cours de mes quarante années d’activisme politique, j’ai dénoncé à plusieurs reprises l’homophobie, tout en luttant contre la misogynie, le validisme, le racisme et la discrimination de classe, entre autres oppressions. Aujourd’hui, dans mon intervention, je vais critiquer les hommes gays qui engagent des femmes comme mères porteuses afin de satisfaire leur « désir » d’enfant. Ma critique s’adresse à toute personne – hétéro ou gay – qui se procure des enfants par le biais d’une mère porteuse. Je m’oppose à la violence contre les femmes et je suis intervenue particulièrement au sujet de la violence contre les lesbiennes. Comme il n’est pas recevable que les hommes accusent les femmes de chauvinisme, parce que les hommes sont le groupe dominant, de la même manière, lorsqu’une lesbienne critique la politique de certains gays, nous devons nous rappeler que les gays ont plus de pouvoir dans les structures patriarcales que les lesbiennes.

Mon opinion selon laquelle les gays ne devraient pas avoir recours à la grossesse pour autrui n’est pas une haine des hommes gays, mais plutôt une différence politique : une différence que j’exposerai dans mon intervention. Je ne suis pas la première personne à critiquer les hommes gays, en effet d’autres lesbiennes et gays l’ont également fait (voir Klein, 2017 ‘ Solis, 2017 ‘ Bindel et Powell, 2018).

J’approuve les mots de Julie Bindel et Gary Powell qui écrivent :

Nous sommes un gay et une lesbienne engagées depuis de nombreuses années dans la lutte pour l’égalité des gays et des lesbiennes et sur des questions plus larges de droits humains. Nous nous opposons sans équivoque à toutes formes de grossesse pour autrui, car celle-ci est contraire à l’éthique, dangereuse sur le plan juridique, médical et psychologique, et constitue une marchandisation violente des femmes et des bébés, sans parler des risques sanitaires importants et à peine signalés pour les femmes et les bébés concernés (Bindel et Powell, 2018).

POUVOIR

Le pouvoir est au cœur de la grossesse pour autrui, et ce dont nous parlons ici concerne un abus de pouvoir. Lorsqu’une personne dispose et peut exercer plus de pouvoir qu’une autre, il s’agit d’une relation de pouvoir inégal.

Arrêtons-nous sur les phrases suivantes :

Kim Kardashian West a eu un bébé grâce à une mère porteuse. Kim Kardashian est très riche. Qui a-t-elle « choisi » pour être sa « mère porteuse ». Une femme riche ? Probablement pas.

J’ai détesté être enceinte, … Mais autant j’ai détesté ça, autant j’aurais malgré tout aimé le porter moi-même. Le contrôle est difficile au début. Une fois que vous ne vous occupez plus de ça, c’est la meilleure expérience. Je recommanderais la grossesse pour autrui à n’importe qui (Fisher, 2018).

Mais, comme le montrent clairement les contributrices de Broken Bonds (Lahl, Tankard Reist et Klein, 2019), il est difficile de renoncer au contrôle et le fait de le maintenir est plus fréquent chez les parents commanditaires, avec des conséquences désastreuses pour les mères biologiques.

Bien qu’elle ait souffert de placenta accreta[2] lors de sa propre grossesse, Kim Kardashian a néanmoins considéré qu’il serait normal qu’une autre femme mette sa santé en danger afin qu’elle, Kardashian, puisse avoir un troisième enfant.

Une autre citation :

Elton John paie 20 000 £ à une mère porteuse pour avoir un deuxième fils (Daily Mail Reporter, 2013).

La femme reste sans nom, non seulement pour le public mais même sur le certificat de naissance. Et à la place, David Furnish (le mari d’Elton John) est identifié comme étant la mère.

Lire la suite

Andrea Dworkin : Introduction de son ouvrage Pornographie

1

Je n’hésitai pas à faire courir le bruit que tout homme blanc qui se proposerait de me fustiger aurait aussi à me tuer.

Vie d’un esclave américain, écrite par lui-­même,
Frederick Douglass (1845)

En 1838, à l’âge de 21 ans, Frederick Douglass devint un esclave en cavale, un fugitif pourchassé. Même si plus tard il devait acquérir sa renommée en tant que puissant orateur politique, il prononça ses premières paroles publiques avec trépidation lors d’une réunion d’abolitionnistes de race blanche au Massachusetts en 1841. Le leader abolitionniste William Lloyd Garrison décrivit ainsi l’évènement :

« Il s’approcha de l’estrade avec une certaine hésitation et gêne, sans aucun doute les pendants d’un esprit sensible dans une situation aussi peu familière. Après s’être excusé de son ignorance, et avoir rappelé à l’auditoire que l’esclavage est une bien pauvre école pour l’intelligence et le cœur humains, il fit le récit de certains épisodes de sa propre histoire en tant qu’esclave […]. Dès qu’il eut regagné sa place, je me levai, empli d’espoir et d’admiration, et rappelai à l’auditoire les risques auxquels s’exposait dans le Nord ce jeune homme émancipé par lui-­même — même au Massachusetts, sur la terre des pèlerins fondateurs, au milieu des descendants des Pères de la révolution ; et je leur demandai s’ils accepteraient jamais de voir celui-­ci ramené de force en esclavage — quoi qu’en dise la loi, quoi qu’en dise la Constitution[1]. »

Constamment en danger dans son état de fugitif, Douglass devint tout à la fois organisateur dans le camp abolitionniste ; éditeur de son propre journal qui plaidait en faveur de l’abolition et des droits des femmes ; chef de gare au sein du « chemin de fer clandestin » ; un proche camarade du célèbre John Brown ; et, lors de la convention de Seneca Falls en 1848, il fut la seule personne à seconder la résolution d’Élizabeth Cady Stanton réclamant le droit de vote pour les femmes. De mon point de vue, il était un héros politique ; une personne dont la passion pour les droits humains était à la fois visionnaire et ancrée dans l’action ; quelqu’un qui a pris des risques réels et non rhétoriques et dont l’endurance dans sa quête pour l’égalité a établi une norme en ce qui concerne l’honneur en politique. Ses écrits, aussi éloquents que ses discours, exprimaient son rejet catégorique de toute subjugation. Son intelligence politique, à la fois analytique et stratégique, était imprégnée d’émotions : l’indignation face à la douleur humaine, l’affliction face à l’avilissement, l’angoisse face aux souffrances, et la fureur face à l’apathie et à la collusion. Il détestait l’oppression. Son empathie pour celles et ceux qui souffraient de l’injustice dépassait les frontières de la race, du genre et de la classe parce qu’elle était animée par son propre vécu — l’expérience de l’humiliation et celle de sa dignité.

Lire la suite

Notre sang, d’Andrea Dworkin – un compte rendu de Claudine Legardinier

andreadworkin

« Notre sang » d’Andrea Dworkin vient d’être réédité aux Editions des femmes dans une traduction de Camille Chaplain et Harmony Devillard. Essentiel !

Radical. Explosif. Eclairant de bout en bout. Lire Andrea Dworkin, c’est un peu comme mettre les doigts dans la prise électrique. Le patriarcat, ce « système suprémaciste masculin  qui nous opprime et menace de détruire toute vie sur cette planète » y est passé au crible à travers neuf discours tenus dans les années 1970 par une grande féministe américaine dont Kate Millett, sœur de combat, pourra dire qu’ils contiennent «  la fureur de générations de femmes silencieuses  ».

Nation sexiste, nation raciste, Dworkin traque aux Etats-Unis et partout sur la planète une pathologique volonté de domination dont elle appelle les femmes à se libérer. Jetée sur les routes suite à ce qu’elle appelle le blocus des éditeurs (qui lui reprochent son manque de « féminité »), elle devient une brillante oratrice qui taille ses formules au couteau : « Les hommes sont possesseurs de l’acte sexuel, de la langue qui décrit le sexe, des femmes qu’ils chosifient »« Le viol n’est en rien un excès, ni une aberration, ni un accident, ni une erreur – il incarne la sexualité telle que la définit la culture ».

Lire la suite

Francine Sporenda : POURQUOI LES HOMMES ONT PEUR (de la sexualité libre) DES FEMMES

Francine Sporenda a étudié en licence et maîtrise à l’université Paris 3. Après un passage dans le journalisme, elle a repris ses études aux Etats-Unis pour un Master et un Ph.D.(doctorat), avec une spécialisation en histoire des idées politiques. Franco-américaine, elle a enseigné comme maître de conférences à l’école de sciences politiques (School of Advanced International Studies) de la Johns Hopkins University. Ex-membre du bureau des Chiennes de garde, elle est responsable rédactionnelle du site « Révolution féministe ». Elle vient de publier Survivre à la prostitution, ces voix qu’on ne veut pas entendre chez M éditeur.

 Les dominants ont peur des dominés

On sait que les hommes conventionnellement socialisés à la virilité ont peu de considération pour les femmes – sexisme bienveillant ou sexisme hostile –voire les détestent – misogynie. Mais derrière ces attitudes visibles, il y a un sentiment plus profond, caché, la peur qu’elles leur inspirent. Ils pourront, quand ils sont entre eux, admettre qu’ils les méprisent et les détestent mais ils ne peuvent pas reconnaître qu’ils en ont peur : un homme, censé être fort, courageux, indépendant, ne peut avouer sa peur des femmes sans ruiner son image virile. Et les hommes étant la classe de sexe qui détient le pouvoir, pourquoi auraient-ils peur de la catégorie qu’ils ont asservie et à laquelle ils se considèrent comme supérieurs ?

En fait, c’est justement pour cela qu’ils ont peur : en règle générale, les dominants ont toujours peur de ceux qu’ils ont asservis. Les maîtres avaient peur des esclaves, les colons se méfiaient des colonisés, les patrons craignaient les prolétaires. Et les hommes ont peur des femmes. Exemples :

Peur des propriétaires d’esclaves du Sud des Etats-Unis : sur leurs plantations, les Blancs étaient beaucoup moins nombreux que les esclaves, désavantage numérique expliquant leur hantise des conspirations et révoltes serviles. Des règles strictes étaient édictées pour empêcher autant que possible ces rebellions : interdiction faites aux esclaves de se réunir en « non-mixte » hors de la surveillance des Blancs, interdiction de sortir de la plantation, interdiction de posséder des armes, interdiction d’apprendre à lire et écrire, etc. On note que, pendant des siècles, les femmes ont été soumises à des interdictions similaires. Et cette peur était d’autant plus obsédante que les maîtres vivaient côte à côte avec leurs « esclaves de maison » et qu’à leur crainte d’être massacrés s’ajoutait celle d’être empoisonnés par leurs cuisinières et valets. Les colonisateurs vivaient pareillement dans la hantise des révoltes indigènes, et des mesures strictes, stipulées dans les codes indigènes, étaient également prises pour contrôler les colonisés et s’assurer de leur docilité.

La raison pour laquelle les dominants ont peur de ceux qu’ils ont réduits en servitude est évidente : ils savent obscurément que leur domination n’existe et ne se perpétue que par la coercition, la manipulation et la violence, et ils redoutent à juste titre que les dominé.es ne se rebellent contre leur tyrannie voire emploient pour s’en libérer les mêmes moyens qu’eux-mêmes ont employés pour l’imposer : l’arroseur arrosé. Ils ont pour habitude de représenter ceux-ci comme stupides, fourbes et cruels pour justifier leur asservissement et étouffer tout scrupule éthique : racisme et sexisme. On note que les peuples réduits en esclavage et colonisés sont souvent féminisés symboliquement : les caractéristiques qu’on leur attribue – fourberie, animalité, stupidité, infériorité biologique – sont celles stéréotypiquement attribuées aux femmes.

La peur des hommes vis-à-vis des femmes relève d’explications du même ordre – peur d’autant plus forte qu’entre les sexes l’intimité est exceptionnellement étroite. Cette proximité est ressentie comme rendant la perfidie féminine spécialement dangereuse : plus les relations sont intimes, plus grand est le risque de trahison. Et comme elles savent tout des faiblesses des hommes qu’elles côtoient, notamment sexuelles, les femmes sont régulièrement accusées d’en jouer pour les asservir : dans les mythologies et les textes religieux, les récits de héros guerriers « castrés » car devenus le jouet docile de femmes séduisantes sont nombreuses et enseignent aux hommes à se défier de ces dangereuses tentatrices – Hercule et Omphale, Samson et Dalila, etc. C’est aussi une histoire d’arroseur arrosé : ce que les hommes craignent au fond, c’est le retour de bâton, la vengeance kharmique des femmes – si elles venaient à se libérer de leur joug, ne les traiteraient-elles pas comme ils les ont traitées ? Et – fantasme d’un matriarcat triomphant – ne pourraient-elles pas un jour prendre le pouvoir, tant ils ne peuvent concevoir une organisation non-hiérarchique des relations sociales, hors du schéma patriarcal dominant-dominé ?

Lire la suite

Geneviève Duché : Etre victime

Cette expression [être victime] que des néo féministes voudraient supprimer au grand profit des auteurs de violences.

Dans ce blog, l’article « Ce n’est pas juste une blague » publié le 5 octobre 2021 annonce un guide pour lutter contre le harcèlement sexuel rédigé par l’association CLASHES (collectif de lutte contre le harcèlement sexuel dans l’enseignement supérieur).

Cette association créée en 2002 a recueilli, depuis, de nombreux témoignages de personnes et surtout de femmes à l’université, étudiantes, doctorantes, vacataires et parfois enseignantes titulaires, administratives ayant subi du harcèlement sexuel, effectivement non rare dans cette institution.

Merci donc pour ce guide et ce travail de prise de conscience dans un milieu qui préfère dans la plupart des cas, se taire, couvrir ces violences d’un voile d’une quasi complaisance, protéger l’agresseur plutôt que l’agressée.

Il est urgent d’intervenir ! Il est urgent que ça cesse !

Ce milieu se construit sur des dominations insupportables que j’ai pu observer en tant qu’enseignante chercheuse et en tant que chargée de mission au début des années 2000 pour l’égalité entre les femmes et les hommes à l’université. Il y avait du boulot et il y en a, hélas, encore. Exercice aisé de la domination par des enseignants sur des jeunes ou des administratives qu’ils dirigent en partie par statut, domination exercée vis-à-vis de celles et parfois de ceux qui ont un statut précaire, des études à réussir, des postes à obtenir ; ces possibilités, ces avenirs étant dans les mains de potentats jouissant de leur pouvoir. Le harcèlement moral est aussi fréquent dans ce milieu. A l’époque je n’ai jamais pu obtenir une reconnaissance complète des faits de harcèlement sexuel de la part des autorités dans une institution machiste où trop souvent le pouvoir syndical, le pouvoir de nommer, le pouvoir de donner une promotion sont utilisés pour agresser. Et les victimes, devant le chemin re-traumatisant et risqué, à parcourir, pour obtenir la reconnaissance des faits et des sanctions, finissent par abandonner ou n’osent pas parler. Une étudiante gravement atteinte par le harcèlement de son directeur de thèse a fini par obtenir un changement de directeur, mais le harceleur a conservé tous ses pouvoirs et ainsi peut recommencer. D’une manière générale les autorités ne veulent ou ne savent pas entendre, ne savent pas écouter dans une ambiance où finalement il semble normal que des enseignants et des chefs de service puissent utiliser leur lieu de travail comme lieu banalisé de drague et de marché sexuel et pour un certain nombre comme un dû à leur puissance et « grande intelligence ». J’ai connu une étudiante qui ne voulait pas dire à son directeur de thèse qu’elle vivait avec son compagnon pour ne pas le rendre jaloux. Pouvez-vous me dire ce que cela vient faire dans un accompagnement pédagogique et intellectuel ?

Lire la suite

Andrea Dworkin : La haine des femmes (présentation)

couverture-1re-Dworkin-Haine

Avec l’aimable autorisation de M éditeur

Ce livre est un acte, un acte politique dont la révolution est l’objectif. Il n’a pas d’autre fonction. Ce n’est pas une quelconque sagesse cérébrale ou une foutaise universitaire, ou des idées gravées dans le granit ou destinées à l’immortalité. Il fait partie d’un processus et son contexte est le changement. Il fait partie d’un mouvement planétaire visant à refondre les us communautaires et la conscience humaine pour que les gens acquièrent le pouvoir sur leurs vies, participent entièrement à la communauté et vivent dans la dignité et la liberté.

La volonté de mettre fin à la domination masculine comme fondement réel psychologique, politique et culturel sur nos vies sur Terre est l’engagement révolutionnaire de base. C’est un engagement pour la transformation du soi et de la réalité sociale à tous les échelons. Le cœur de cet ouvrage est une analyse du sexisme comme système de domination masculine, ce qu’il est, comment il fonctionne sur nous et en nous. Je veux aussi aborder brièvement deux problèmes, tangents à cette analyse, mais néanmoins cruciaux à l’élaboration du programme et de la conscience révolutionnaires. Le premier est la nature du mouvement des femmes en tant que tel et le deuxième a à voir avec le travail de l’écrivain·e.

Jusqu’à l’apparition de la brillante anthologie Sisterhood Is Powerful et de l’extraordinaire ouvrage de Kate Millett, La politique du mâle, les femmes ne se percevaient pas comme une population opprimée. Il faut admettre que la plupart des femmes n’ont toujours pas cette conscience. Mais le mouvement des femmes, comme mouvement radical de libération des femmes en Amérique, date de la parution de ces deux livres. Nous apprenons, en nous réappropriant notre hystoire, qu’il y a eu un mouvement des femmes qui s’est mobilisé en vue d’atteindre le droit de vote pour les femmes. Nous apprenons que ces féministes étaient aussi d’ardentes abolitionnistes. Les femmes ont fait leur coming out à titre d’abolitionnistes – sortant des placards, des cuisines et des chambres à coucher pour investir des réunions publiques, des journaux et les rues. Les héroïnes militantes du mouvement abolitionniste ont été des femmes noires, Sojourner Truth et Harriet Tubman, et elles demeurent des prototypes de modèles révolutionnaires.

Ces premières féministes amérikaines considéraient le suffrage comme la clé d’une participation à la démocratie et que, libres et affranchies, les ex-esclaves seraient réellement libres et affranchies. Ces femmes n’imaginaient pas que le suffrage serait, dans les faits, refusé aux Noir·es au prétexte de tests en compétence linguistique, de critères de propriété et de mesures de répression policière par des Blancs racistes. Elles n’imaginaient pas non plus la doctrine des « distincts, mais égaux » et l’usage qui en serait fait.

Lire la suite

Aucun aménagement personnel dans le système du patriarcat ne mettra fin au gynocide (Compte-rendu du livre Notre sang d’Andrea Dworkin)

couverture-1re-Dworkin-Notre-sang
[le livre n’est pas distribué en france, mais quelques exemplaires sont cependant commandables ; pour cela merci de m’écrire via la page contact de Scènes de l’avis quotidien ]

Je reproduis les deux « encarts » ouvrant le livre.

« Pour Barbara Deming

Je considère que si nous sommes prêtes à affronter nos colères qui nous semblent les plus personnelles, dans leur état brut, et nous nous donnons la tâche de traduire cette colère brute en une colère destinée à rechercher un changement, nous nous trouverons dans une position beaucoup plus persuasive pour interpeller les camarades sur la nécessité d’extirper de toute colère la volonté de meurtre. Barbara Deming, On Anger et We Cannot Live Without Our Lives »

« À la mémoire de Sojourner Truth

Alors, les femmes ne réclament pas la moitié d’un royaume, mais leurs droits, et elles ne les obtiennent pas. Quand elles viennent les exiger, n’entendez-vous pas comment les fils houspillent leurs mères comme des serpents, parce qu’elles réclament leurs droits ; et peuvent-elles demander quoi que ce soit de moins ? [] Mais nous aurons nos droits ; regardez voir si nous n’y arrivons pas ; et vous ne pouvez pas nous en empêcher ; regardez voir si vous en êtes capable. Vous pouvez houspiller autant que vous le voulez, mais c’est en train d’arriver. Sojourner Truth, 1853 »

Les grands éditeurs n’aiment pas le radicalisme des féministes. Une puissante autrice comme Andrea Dworkin n’a pas trouvé place dans leurs collections. Il a donc fallu plus de quarante ans pour que ce livre trouve enfin un petit éditeur québecois engagé pour que nous puissions en lire une traduction en français. Merci aussi à Yeun et à Martin.

« J’ai donc pris la parole en public – non pas avec l’étalage improvisé de pensées ou l’effusion de sentiments, mais avec une prose façonnée pour informer, persuader, perturber, provoquer la reconnaissance, autoriser la rage ».

Dans sa préface, preface-dandrea-dworkin-a-son-livre-notre-sang-predictions-et-discours-sur-la-politique-sexuelle/, publiée avec l’aimable autorisation de M éditeur, Andrea Dworkin aborde, entre autres, l’absence d’édition de ses travaux, ses conférences, la réception de son livre Woman Hating. Elle présente les contextes et les textes ici rassemblés. L’autrice parle aussi du travail d’écriture, de « la présomption systématique d’appropriation masculine du corps et du travail des femmes, la réalité matérielle de cette possession, la dévalorisation économique du travail des femmes », d’écriture « pour une voix humaine »…

Un ensemble de conférences et de textes publiés en 1974 et 1975 :

  • Le féminisme, l’art et ma mère Sylvia
  • Renoncer à l’« égalité » sexuelle
  • Se souvenir des sorcières
  • L’atrocité du viol et le gars d’à côté
  • La politique sexuelle de la peur et du courage
  • Redéfinir la non-violence
  • Fierté lesbienne
  • Notre sang : l’esclavage des femmes en Amérike
  • La cause première
Lire la suite

« Francine Sporenda : Survivre à la prostitution » (note de lecture par Claudine Legardinier)

[Note de lecture de Claudine Legardinier sur l’ouvrage de Francine Sporenda : Survivre à la prostitution – Les voix qu’on ne veut pas entendre, témoignages

Cette note est tirée du n°205 de la revue trimestrielle du Mouvement du Nid, Prostitution et Société

L’ouvrage de Claudine Legardinier sur le système prostitutionnel, Prostitution : une guerre contre les femmes, est lui aussi indispensable.]

M Editeur, Québec. Parution en France en novembre 2020

 

Francine Sporenda a longtemps été la femme de l’ombre. Elle recueillait les paroles des autres : femmes prostituées ou sortant de prostitution, intellectuelles, militantes que la question de la prostitution prenait à la gorge, comme elle.

La force de la matière collectée, cette parole explosive que personne ne veut entendre, mais aussi le caractère politique du sujet, ont fini par la pousser à rassembler, en un seul livre de trois cents pages, la somme de son travail d’intervieweuse. La parole des premières concernées y occupe une place centrale : une parole sans filtre, une dénonciation magistrale des réalités de cette activité qui reste pourtant parée, dans la société, des dehors affriolants du fantasme. Au détour des pages, on retrouve d’ailleurs Rosen Hicher et Laurence Noëlle, les deux fondatrices du mouvement français des Survivantes ; et des femmes de plusieurs pays, dont certaines jetées dans la prostitution dès l’âge de 11 ou 12 ans.

Leurs mots sont leur force

Pour dire les ficelles du proxénétisme qui poussent à y entrer, les difficultés qui retiennent d’en sortir, leurs mots sont leur force. Lire la suite

Gail Dines : Dans une société juste, il n’y a pas de place pour le porno (chronique de Pornland)

Le libéralisme sexuel est cette idéologie qui exonère les exploiteurs de toute responsabilité à l’égard des personnes qu’ils violentent et exploitent sexuellement. C’est une idéologie qui est particulièrement véhiculée par l’industrie du porno, n’en déplaise à quelques adeptes libertariens qui voient dans ce secteur un apprentissage à la sexualité, un travail, ou un empowerment.

Pour répondre à ces fantasmes ou au mythe d’une pornographie sans impacts sociaux nocifs, le livre de Gail Dines, Pornland – comment le porno a envahi nos vies, est crucial.

L’ouvrage comprend un avant-propos de Cécilia Lépine – blogueuse de Racine Rouge –, une préface de Robert Jensen – universitaire et activiste proféministe – et une postface de Tom Farr – spécialiste des droits humains. Dines pour sa part est une sociologue féministe radicale américaine. Elle a travaillé de nombreuses années sur l’industrie du porno : consultation des films et des sites, échanges avec des producteurs, intégration des études sur le sujet, dialogues avec des consommateurs, des délinquants sexuels ou des étudiant-es. Lire la suite

Gail Dines : Pornland – comment le porno a envahi nos vies (préface)

[sortie d’un livre important, à commander et lire !!! aux Editions Libre]

Préface de Gail Dines :

Howard Stern propose régulièrement du porno dans son émission, ce qui lui a notamment valu d’être la deuxième célébrité la mieux payée au monde en 2006 ; la vie de Hugh Hefner, avec ses « petites amies » jeunes, blondes et pathétiquement naïves, a été l’objet de la très célèbre série télé Les Girls de Playboy diffusée sur la chaîne E! News ; la célébrissime star du porno Jenna Jameson, autrice d’un best-seller, est régulièrement mentionnée,  interviewée ou citée dans de nombreux magazines people ; l’actrice porno Sasha Grey apparaît dans un article de quatre pages du numéro de mai 2009 du célèbre magazine Rolling Stone, et joue dans un film de Steven Soderbergh ; le film Zack et Miri font un porno, de Kevin Smith, a été bien accueilli par les critiques ; la pole-dance est désormais une forme d’exercice très populaire ; des étudiants de l’université du Maryland ont diffusé un film pornographique sur leur campus ; l’université d’Indiana a proposé à Joanna Angel, actrice, productrice et réalisatrice de porno, d’intervenir lors d’un cours sur la sexualité. Je pourrais continuer, encore et encore. Mais ces quelques exemples devraient suffire à illustrer à quel point le porno s’est immiscé dans notre quotidien, jusqu’à devenir une partie normale de nos vies, comme si de rien n’était. Qu’en résulte-t-il ? Quelles sont les conséquences de cette saturation pornographique sur notre culture, notre sexualité, notre identité et nos relations ? Nous n’y pensons pas vraiment. Nous ne savons pas. Cela dit, nous pouvons être sûrs d’une chose : nous sommes au cœur d’une expérience d’ingénierie sociale à grande échelle dont notre société tout entière est le laboratoire, et dont les effets sont imposés à des participants non volontaires.

Les architectes de cette expérience sont les pornographes, un groupe d’hommes (principalement) qui cherchent à faire du profit, à créer des marchés, à trouver des produits qui se vendent, à investir dans la recherche et le développement, et à déployer des plans commerciaux sur le long terme. En résumé, ainsi que ce livre l’expose, il s’agit seulement d’hommes d’affaires – et certainement pas d’innovateurs au service de notre liberté sexuelle. Lire la suite

Robert Jensen : Les hommes, la pornographie et le féminisme radical

Les hommes, la pornographie et le féminisme radical : la lutte en faveur de l’intimité dans le patriarcat

Par Robert Jensen

Les critiques féministes radicales de la pornographie ont été, depuis leur première formulation, prolongées.

La critique féministe radicale de la pornographie reste à ce jour l’analyse la plus convaincante des contenus sexuellement explicites, mais elle est régulièrement marginalisée dans la culture dominante et dans les groupes féministes. Pourquoi ? Le patriarcat est profondément enraciné dans nos vies, et le déni ou l’évitement du caractère mortifère du patriarcat est courant. Dans la deuxième partie, j’expliquerai en quoi cette critique, et le féminisme radical plus généralement, n’est pas une menace mais un cadeau pour les hommes.

Depuis que je défends la critique féministe radicale de la pornographie, c’est-à-dire depuis plus de 30 ans, la question la plus courante que m’ont posé des femmes est : « Pourquoi les hommes aiment-ils tant la pornographie ? »

Bien sûr, tous les hommes ne consomment pas de la pornographie, et certaines femmes en consomment aussi. Mais l’industrie pornographique sait que l’immense majorité de ses clients sont des hommes, et la majorité de la pornographie reflète donc ce que les pornographes imaginent que les hommes visionneront – et reviendront visionner à nouveau – ce qui contribue à modeler l’imaginaire sexuel contemporain. Beaucoup de femmes considèrent que cette pornographie, et la consommation qui en est faite par les hommes, est affligeante. Elles veulent savoir pourquoi les hommes – y compris les hommes qui leur sont proches, en particulier leurs compagnons et leurs fils – trouvent la pornographie si plaisante, en consomment si régulièrement et ignorent leurs demandes pour qu’ils arrêtent.

La réponse simple est : « Parce que la pornographie fonctionne. » C’est-à-dire que les contenus visuels sexuellement explicites provoquent une excitation sexuelle intense qui facilite la masturbation. En clair : la pornographie produit des orgasmes, de manière fiable et efficace.

« Mais il n’y a pas d’intimité dans ce genre d’expérience sexuelle », soulignent les femmes. Je réponds : « Tout à fait ». « La pornographie offre aux hommes un plaisir sexuel, avec ce qui est ressenti comme un contrôle total sur soi et les femmes. La pornographie offre aux hommes la quintessence de l’expérience sexuelle sous le régime patriarcal – le plaisir sans la vulnérabilité. »

Mais les apparences sont trompeuses : ce sentiment de contrôle, sur soi et les autres, est à la fois illusion et hallucination. Les hommes gagneraient à comprendre cela. J’y ai gagné, et cette compréhension m’est parvenue grâce au féminisme radical. Lire la suite

Être « allié des féministes »

[J’ai été invité à l’Université des femmes de Bruxelles le 14 mars dernier pour participer à la table-ronde « Abattre la maison du maître avec ses outils ? Autodéfense et transgression », dans le séminaire « Violences et oppression des femmes : stratégies des institutions et revendications féministes ». Voici plus bas la version écrite de mon intervention. Elle devrait être publiée dans l’année 2020 dans la collection « Pensées féministes » de l’Université des femmes. L’article en PDF est dispo ici : interv’-Bruxelles

Yeun Lagadeuc-Ygouf] (mise à jour le 26-03-2019)

 

Être « allié des féministes ».

Je remercie vivement les organisatrices de m’avoir invité pour intervenir sur mon travail d’ « allié ». L’invitation a été une surprise pour moi car je produis très peu en termes d’écriture. C’est pour moi un honneur d’être considéré par vous comme un allié ; même si je n’ai pas la prétention de me penser indemne de sexisme.

Quand bien même j’essaye de travailler contre le pouvoir des hommes sur les femmes, j’en bénéficie, voire même hélas j’ai exercé ce pouvoir et je peux toujours l’exercer involontairement. Je suis convaincu d’avoir à questionner toujours ma position d’homme. Je considère donc mon engagement comme acrobatique et délicat, mais néanmoins nécessaire. J’y reviendrai. Je précise quand même que cette tension entre le fait d’être un dominant et votre qualificatif d’ « allié » a pour effet d’attiser mes efforts et mes exigences.

On m’a demandé d’intervenir pour parler de mes activités et d’expliciter ma démarche. Je vais donc faire des développements sur mon implication en tant qu’« auxiliaire des féministes » (Dupuis-Déri, 2014) au sein d’une association féministe rennaise, qui hélas n’existe plus, Questions d’égalité ; mon implication dans la collective de traduction Tradfem ; et la tenue de mon blog Scènes de l’avis quotidien. Donc, même si le féminisme influence ma manière de vivre et ma manière d’appréhender mon métier, je ne vais pas faire de développement à ce sujet. Je vais me concentrer sur mes activités qui, je le précise dès maintenant, ne s’attachent pas à une thématique particulière comme la prostitution ou les politiques antiféministes. Mes activités consistent en gros en de la propagande, de l’agitation politique et de l’appui aux initiatives féministes. Dans mon intervention, je vais les replacer au préalable dans un cadre plus large concernant l’engagement des hommes sur les questions féministes.

Je ne suis ni formateur, ni professeur d’université, mon métier est celui d’aide-soignant. Mon quotidien professionnel est dans des relations inter-individuelles, d’attention et d’écoute. Et malgré un parcours « militant » et un court passage à l’université qui me sont utiles ici, je me lance dans le « challenge » d’intervenir car je considère comme une obligation politique que d’essayer de répondre aux demandes des féministes.

Je suis persuadé que tout homme qui remet en question sa place dans le patriarcat et cherche à faire changer la structure sociale doit s’habituer à sortir de son propre confort. illustration1L’inconfort de l’engagement proféministe a plusieurs dimensions mais il est bien évidemment mineur et ridicule pour les questions qui nous concernent ; à savoir les conditions de vie des femmes, qui rappelons-le consistent en de l’exploitation domestique, salariale, sexuelle, des violences, entre autres sexuelles, ou des meurtres. Ça ne se résout pas avec quelques politiciens qui, pour exprimer leur solidarité à une journée de luttes féministes, posent et « transgressent le genre » sur une affiche avec du rouge à lèvres.[1] Lire la suite

Dworkin aujourd’hui.

[Texte publié dans le volume 37, n°1 de Nouvelles Questions féministes.]

coits800b
Photo de couverture : la Coit Tower dominant la baie de San Francisco avec vue sur la prison d’Alcatraz

Après Woman Hating et Pornography : Men Possessing Women, Intercourse (Coïts) complète la trilogie d’essais rédigés par Andrea Dworkin sur les figures centrales de l’idéologie patriarcale : misogynie, pornographie, sens donnés au coït. Coïts paraît cette année aux Éditions Syllepse et du Remue-ménage.

Dworkin a rédigé la Préface que publie aujourd’hui NQF huit ans après la première publication d’Intercourse, pour dissiper les calomnies diffusées sur un texte que presque personne n’avait eu l’occasion de lire aux États-Unis. Cette présentation du livre donne la mesure de l’audace de l’autrice, revendiquant son traitement de textes masculins pour révéler leurs outrances en leurs propres mots, qu’il s’agisse de grands maîtres ou d’auteurs moins cotés : « La voix de chaque auteur est intégrée à la construction même du livre », écrit Dworkin. « Je me sers de Tolstoï, Kôbô Abé, James Baldwin, Tennessee Williams, Isaac Bashevis Singer et Flaubert, non comme autorités mais comme exemples. Je les utilise ; je les entaille et les dissèque pour les exposer ; mais l’autorité fondatrice du livre, celle qui sous-tend chacun de ses choix, est la mienne. En termes formels, Intercourse est donc arrogant, froid et dénué de remords. Ce n’est pas moi, la fille, que vous allez examiner, mais eux. J’ai créé avec Intercourse un univers intellectuel et imaginatif où vous pouvez les observer. »

Dworkin est relativement peu connue en Europe francophone, contrairement à d’autres écrivaines encadrées par les pouvoirs de l’université et de la grande presse. Sa praxis a très tôt été celle d’une journaliste militante indépendante et d’une oratrice fougueuse, vivant de sa plume et de conférences livrées sans texte lors de manifestations, d’assemblées populaires et de congrès, à la manière de Louise Michel et Victoria Woodhull. Aujourd’hui encore, des femmes étudient ses textes dans des clubs de lecture, ses aphorismes sont omniprésents sur internet, et plusieurs sites du web rediffusent ses intuitions fulgurantes. Lire la suite

Leonard Schein : Les dangers des groupes de conscientisation masculins

couverture[En 1977, Jon Snodgrass coordonnait et faisait publier l’anthologie For Men Against Sexism, avec une trentaine de contributions – inégales – en provenance d’Amérique du Nord. Un des articles a déjà été mis en ligne : « Vers la justice de genre » de John Stoltenberg. L’article proposé ici, de Leonard Schein (traduit avec son accord), a donc lui aussi plus de 40 ans. Il a été écrit dans un contexte particulier où des mobilisations d’hommes proféministes se développaient. D’une certaine façon, ces mobilisations semblaient répondre à l’approche de Christine Delphy lorsqu’elle critiquait en 1977 « le militantisme traditionnel » gauchiste. Elle écrivait alors :

« « Mais alors, les hommes ne peuvent rien faire dans le cadre de la lutte antipatriarcale ? » (…) À cette question, c’est une autre pratique qui répond ; celle de certains hommes qui, au lieu de nous donner des conseils, travaillent sur eux, sur leurs problèmes sexistes ; qui, au lieu de nous interpeller, s’interrogent, au lieu de prétendre nous guider, cherchent leur voie, qui parlent d’eux et non pas pour nous. Ceux-là cherchent en quoi la lutte antipatriarcale les concerne directement, dans leur vie quotidienne. Et ils le trouvent sans difficulté, inutile de le dire. Car c’est pour l’ignorer qu’il faut se donner du mal. Quel aveuglement, quelle mauvaise foi ne faut-il pas prendre le point de vue d’Uranus – de Dieu –, pour se prétendre en dehors et au-dessus de la mêlée, quelle aliénation, au sens propre d’absence à sa propre expérience : en langue vulgaire, « être à côté de ses pompes ». C’est pourtant le point de vue du militantisme traditionnel. »1

Régulièrement, au fil des ans, des envies de non-mixité masculine sur les questions du patriarcat fleurissent. Par mimétisme avec les féministes, les hommes se lancent souvent dans de telles initiatives avec un arrière fond de symétrisation : si c’est bon pour l’émancipation et les féministes, alors ce sera aussi bon pour nous qui commençons à accepter leurs approches. Un tel mimétisme fait l’écueil sur les positionnements différents dans le système genre. Par exemple, la non-mixité masculine ne peut pas être une « condition logique et historique de la lutte contre la haine de soi »2 ; parce que nous, nous aimons bien notre situation, nous nous aimons plutôt bien comme on est – non ? À tel point que, quelle que soit notre orientation sexuelle, nous aimons notre non-mixité masculine ; elle nous confirme comme membre de la classe des hommes, elle nous sert à consolider notre identité d’homme, nous allons y puiser par dose plus ou moins abondante et fréquente, pour en définitive exclure, discriminer et opprimer les femmes. Et les groupes d’hommes sur le genre peuvent largement participer à cette logique, et l’ont fait : partager de la théorie pour satisfaire notre homosocialité, écraser les femmes par le savoir appris dans le groupe, éviter d’avoir à préparer la bouffe parce qu’on a notre réunion, trouver des oreilles attentives et arrangeantes à l’égard de nos actes foireux et des mascarades pour les justifier, nous satisfaire des « avancées énormes » produites par nos discussions, orienter une partie des maigres financements publics sur le genre à destination des hommes, etc, etc, avec une implication réelle en faveur de la justice et l’égalité qui frise le néant.

Les mobilisations proféministes américaines n’ont pas eu d’équivalent en France. À l’exception du récent Zéromacho, il n’a jamais existé de « National Oganization for Men Against Sexism », pas de « Men Against Rape », pas de « Men Against Pornography », ni de « Collectif masculin contre le sexisme ». On a certes pu voir un « Réseau européen d’hommes proféministes » à la fin des années 90, animé par Daniel Welzer-Lang, dont l’absence de reddition de compte avait déjà été critiquée. À ma connaissance, les activités du réseau auront consisté en au moins un week-end de réflexion entre hommes dans les Pyrénées et un bulletin plutôt confidentiel, édité sur papier glacé. Rétrospectivement, on peut dire qu’il manquait à ce réseau une clarté d’analyse et une pratique politique, à la hauteur des enjeux.

Si des rencontres entre hommes ne sont pas explicitement cadrées par des féministes, et elles le sont rarement3, le fait de se retrouver entre dominants ne va pas produire un commun susceptible de remettre en question l’exploitation et la domination qu’on exerce. Je parle en connaissance de cause puisque j’ai moi-même participé à divers dynamiques non-mixtes aux intentions proféministes : décortiquer et refuser notre sexisme, être solidaires des féministes. Nos déclarations du début sont généralement restées des lettres mortes. La force d’inertie masculine – classique – à l’égard des problèmes du patriarcat fonctionnait très bien en nous, entre nous et ralentissait ainsi les plus volontaires.

L’article qui suit aborde en partie ces questions, y répond et propose quelques garde-fous. En particulier : le refus d’une réflexion désincarnée, l’importance d’une pratique concrète et l’acceptation sincère de l’analyse féministe radicale (la revue Questions féministes est un exemple de ce corpus d’analyse). C’est pourquoi nous l’avons traduit ; non pas pour inviter à de telles initiatives non-mixtes masculines, mais pour tenter de les cadrer lorsqu’elles font jour.

Yeun Lagadeuc-Ygouf]

Leonard Schein : Les dangers des groupes de conscientisation masculins

L’apparition de groupes de conscientisation masculins doit être vue comme une étape positive de la lutte contre le sexisme. De nos jours, il est important que les hommes commencent à travailler avec d’autres hommes à de nouvelles façons de détruire la traditionnelle « connivence masculine ». Que des hommes mettent au travail d’autres hommes est nécessaire et va dans le bon sens pour trois raisons principales.

Tout d’abord, les hommes ont depuis longtemps l’habitude, lorsqu’ils travaillent avec les femmes, de s’approprier leur travail, de traiter les femmes de manière sexiste, d’orienter l’énergie du mouvement vers des intérêts masculins, et de faire des problèmes des hommes une priorité. Quelques exemples permettent d’illustrer ce processus de détournement. Le mouvement de la Nouvelle Gauche a toujours crié haut et fort l’importance de combattre l’oppression des peuples à travers le monde. Mais cette même Nouvelle Gauche a mis beaucoup de temps à reconnaître l’oppression des femmes. Elle a par la suite développé une rhétorique creuse de soutien à la libération des femmes, mais dès qu’il fallait établir les priorités, les questions féministes étaient reléguées en dernière place. La Nouvelle Gauche ne s’intéresse qu’au bien-être de certaines catégories de populations opprimées. Ces populations sont celles qui s’accordent avec l’analyse marxienne traditionnelle : les travailleurs (masculins), les populations du Tiers-Monde (masculines) et les personnes de couleur du nord de l’Amérique (masculines). La lutte des femmes pour accéder au statut d’être humain n’a jamais été prise au sérieux par les militants de la Nouvelle Gauche. Nous sommes dans la situation où l’énergie militante est dévolue à la libération d’hommes opprimés.

Non seulement la Nouvelle Gauche n’a pas travaillé à être utile aux femmes, mais, de surcroît, sa logique collective masculine à la mode « Macho Marx » a perpétué et renforcé la pire division patriarcale des rôles. Le chauvinisme masculin a été le nouveau « petit livre rouge » de la Nouvelle Gauche ; le mouvement était complètement autoritaire et dominé par les hommes. Les hommes faisaient le travail important pendant que les femmes étaient coincées dans des tâches domestiques et de secrétariat merdiques. Les « leaders » masculins radicaux sont devenus des rock stars entourées de « groupies » chargées de les satisfaire sexuellement après leur rude journée à combattre l’impérialisme. Lire la suite

Un nouveau livre, The End of Patriarchy : Radical Feminism for Men, force les progressistes et la gauche à rendre des comptes aux femmes

par ERNESTO AGUILAR, le 2 janvier 2017, sur le site FeministCurrent.com

Aujourd’hui éloignées dans le rétroviseur, les années (de Bill) Clinton ressemblent à un tournant pour la stratégie contemporaine des mouvements sociaux. À partir de cette génération de jeunes, la politique progressiste a été reformulée pour sembler plus « inclusive », sans toutefois résoudre certaines contradictions, au milieu d’une succession de pertes subies par la Maison Blanche. Cela a fonctionné, mais peut-être trop bien. Le pays conclut aujourd’hui huit ans d’une première présidence afro-américaine, avec une politique d’évitement des enjeux raciaux et de lourdes interventions militaires à l’étranger aussi bien que de déportations au pays. Et, comme le fait remarquer Jodi Dean dans The Communist Horizon, des idées comme la diversité et le dialogue font maintenant partie de la culture d’entreprise internationale. C’est un changement. Est-ce une victoire? Le verdict à ce titre demeure ambigu.

cover-end-of-patriarchyIl est impossible de lire le livre de Robert Jensen, The End of Patriarchy, sans tenir compte de cette incohérence politique. Désireux de présenter le féminisme radical aux hommes et au mouvement progressiste plus large, qui y sont souvent opposés (comme d’ailleurs le mouvement féministe général et les études de genre), Jensen rame à contre-courant d’une tendance vieille de 30 ans. En effet, dans son aspiration à simplifier à l’extrême son message, la politique de gauche, qu’elle soit modérée ou orthodoxe, a rejeté le féminisme radical au profit de toutes sortes de concepts à la mode et de postures affichées sur des médiaux sociaux comme Tumblr, pour faire aujourd’hui des choix individuels l’enjeu primordial. Néanmoins, Jensen, en progressiste de longue date dont les vues sur la justice raciale et de genre lui ont mis à dos une foule de gens, allant des anarchistes à l’extrême-droite, continue de soulever des questions complexes auxquelles le gauchisme n’a pas de réponse claire, même une génération et demie après les années Clinton.

Une partie de l’inconsistance du libéralisme a sans doute été d’assujettir les notions naissantes de choix et d’identité à un libertarisme radical qui s’avère subjectif à l’extrême, voire destructeur. À l’instar de l’incident Rachel Dolezal aux yeux des personnes de couleur, on constate qu’un résultat du laxisme dont font preuve entre eux les hommes de gauche est une idéologie qui privilégie le désir, le regard et les caprices des hommes, sans égard pour leur impact sur les femmes et les filles. Dans notre langage quotidien, cela se traduit par n’importe quel mec relou qui peut se dire « conscientisé » en milieu étudiant, à Donald Trump arguant qu’il est partisan du mariage homosexuel, ou à des avatars anonymes qui vantent le féminisme sur Twitter tout en affichant leur haine et pire encore pour les SWERFs et les TERFs. Lire la suite

Violences sexuelles commises par des professionnels de santé : Hippocrate phallocrate ?

[L’article plus bas est de Marilyn Baldeck, déléguée générale de l’Association européennebando_home contre les Violences faites aux Femmes au Travail (AVFT). Cette association organise régulièrement des campagnes de solidarité pour des victimes de violences, on peut y participer ici. Merci à l’auteure pour l’autorisation à republier son article. Source : ici]

par Marilyn Balbeck

Le 5 novembre 2013, la Dre Muriel Salmona m’avait invitée, dans le cadre du colloque « Violences et soins » organisé par l’association Mémoire Traumatique et Victimologie, à présenter les analyses de l’AVFT sur le thème des violences, notamment sexuelles, commises par les professionnels de santé.

Le 29 novembre 2013, lors du colloque sur la santé des femmes organisé par l’association Gynécologie Sans Frontières au Palais du Luxembourg, j’ai été invitée à répondre à la question : « Les violences sexistes au travail, qu’attend-on des soignants ? ». J’en avais profité pour rappeler que le secteur médical était parmi ceux dans lequel on retrouvait le plus d’agresseurs sexuels et pour dire, en substance, qu’on attendait a minima des médecins qu’ils n’agressent pas sexuellement leurs patientes et ne couvrent pas les violences commises par leurs confrères, avant même de leur demander de détecter les victimes et de les soigner. Cette présentation avait été diversement appréciée par un public essentiellement composé de soignant.es. Mme Irène Kahn-Bensaude, pédiatre, vice-présidente du Conseil National de l’Ordre des Médecins et présidente du Conseil de l’Ordre de Paris avait déclaré, sans craindre d’être totalement indécente vis-à-vis des femmes réellement victimes de violences qui étaient au cœur de ce colloque et dont certaines étaient dans la salle, qu’elle avait « subi des violences ce matin, en tant qu’ordinal(e)1 ». Elle faisait référence aux propos que j’avais tenus sur la prévalence des violences sexuelles dans le secteur de la santé et sur la protection des médecins agresseurs par leur ordre professionnel. Le Professeur Henrion (Rapport Henrion, 2001), qui était mon voisin de gauche à la tribune, avait salué mon intervention… mais en aparté, tout de même pas au micro.

En 2014, l’AVFT a été sollicitée par les membres de la mission, chargée par Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, de préconiser des améliorations sur la prise en charge médicale des femmes victimes de violences. Une nouvelle occasion d’évoquer la question des violences sexuelles commises par les professionnels de santé à l’encontre de patientes ou de salariées.

J’ai enfin eu le plaisir de participer à une conférence du cycle de formation de l’Université des femmes sur « les femmes, leurs soins, leurs médecins », le 5 décembre 2014 à Bruxelles, spécifiquement sur les violences sexuelles exercées dans le cadre de la relation médecin/patientes2.

Les lignes qui suivent synthétisent ces différentes interventions.

Les soignants ont la double particularité d’être des maillons essentiels de la chaîne du dévoilement des violences – ils sont régulièrement les premiers à qui les femmes victimes de violences parlent – et d’être trop souvent des acteurs du « système agresseur », quand ils ne sont pas eux-mêmes les agresseurs. Ceci est loin d’être un paradoxe. Les agresseurs ont en effet tout intérêt à avancer masqués pour éviter d’être dénoncés et, quand ils le sont, à ce que les plaignantes ne soient pas crues. Le statut de médecin est un camouflage presque parfait et l’exercice de la médecine offre des « opportunités » idéales d’emprise, d’accès au corps permettant une confusion volontairement entretenue entre gestes médicaux et agressions sexuelles, de création d’une dépendance et de manipulation, qui s’ajoutent aux stratégies habituelles des agresseurs.

Dans les « dossiers » de l’AVFT, les victimes sont des patientes, des salariées de ces soignants (secrétaires médicales, assistantes dentaires…), et peuvent parfois être les deux à la fois, ce qui pose déjà de notre point de vue un sérieux problème déontologique. Certaines sont des étudiantes en médecine et accusent un « professeur des universités – praticien hospitalier ». Elles peuvent aussi être des consœurs, et dans cette hypothèse sont souvent de nationalité étrangère avec un statut précaire. Lire la suite

Défaire les idées toutes faites…

Juste pour information, je signale la publication d’un « nouveau » livre de Claudine Legardinier dans la collection Nouvelles Questions Féministes de chez Syllepse.

C’est un ouvrage qui mérite d’être largement diffusé et connu pour la mine d’informations et les analyses précieuses qu’il développe.

Un outil excellent pour défaire nos idées toutes faites sur le système prostitueur et les « débats » qui l’entoure !  

 

À propos du genre

[L’article qui suit provient du site féministe Sisyphe, dispo en 2 parties ici et encore ici. Je le republie parce qu’il complète une série, déjà longue, de critiques féministes trop méconnues du queer. Par exemple: Nicole-claude Mathieu et Danielle Charest, Christine Delphy (dans sa préface à Les femmes de droite), Léo Thiers-vidal/Sabine Masson, Louise Turcotte, Catharine MacKinnon (avec « Féminisme marxisme et postmodernisme »). L’intérêt, avec le texte suivant, est toujours de rompre avec le statu-quo, favorisé par le système de genre et ses bénéficiaires (les hommes). Et force est de constater que  sur ces points, le queer présente des lacunes profondes qu’il s’agit d’expliciter. (L’article est reproduit avec l’autorisation des traducteur-es et du site Sisyphe: merci !) ]

Lors d’un « féminaire » organisé à l’intention des membres du London Feminist Network (Réseau féministe de Londres) en mai 2010, Debbie Cameron et Joan Scanlon, éditrices de la revue britannique Trouble & Strife, ont animé un atelier au sujet du concept de genre et de sa signification pour le féminisme radical. On trouvera ci-dessous une transcription révisée de leurs propos informels.

I. Qu’est-ce que le genre ? D’où vient la confusion qui l’entoure ?

Debbie Cameron : Le but de la discussion d’aujourd’hui est de tenter de déblayer une partie de la confusion théorique et politique qui entoure présentement le concept de genre. Il est probablement utile de commencer par se demander d’où vient cette confusion.

De nos jours, les conversations au sujet du « genre » achoppent souvent sur des problèmes parce que les personnes qui en parlent emploient le même mot en lui donnant en gros la même signification, alors qu’en y regardant de plus près, elles ne parlent pas des mêmes questions à partir de la même approche. Par exemple, quand nous avons lancé l’anthologie The Trouble & Strife Reader1 à la Foire du livre radical d’Edimbourg, des étudiantes sont venues nous dire leur satisfaction de voir ce livre publié, mais aussi leur surprise qu’il y soit si peu question du genre. Pourtant, ce livre ne parle que de cela, du genre, au sens féministe radical du mot, soit les relations de pouvoir entre femmes et hommes, de sorte qu’à nos yeux, cette réaction était assez surprenante. Joan ne la comprenait tout simplement pas au départ. Pour ma part, j’ai compris ce qu’elles voulaient sans doute dire car je suis toujours universitaire, et à l’université on entend beaucoup le mot « genre » utilisé de cette manière. Voici la clé de l’énigme : pendant les années 90, les théoricien.ne.s et activistes queer ont élaboré une nouvelle façon de parler du genre. Leur approche présentait bien sûr des points communs avec le vocabulaire féministe plus établi, mais elle présentait un accent différent ; elle était sous-tendue par une théorie différente. Il s’agissait au fond de la théorie postmoderniste de l’identité associée à la philosophe Judith Butler, bien que je doute que Butler elle-même dirait que les féministes n’avaient pas d’analyse critique du genre. Il découla de cette nouvelle approche des choix de politiques très différents. Pour les gens qui ont alors tiré leur formation soit en côtoyant la théorie féministe universitaire, soit en s’impliquant dans le système de pensée et l’activisme queer, c’est le sens que prit le concept de « genre ». Ces personnes crurent ce qu’on leur avait dit, à savoir que les féministes des années 70 et 80 n’avaient pas d’analyse critique du genre, ou qu’elles n’avaient pas la bonne analyse, dans la mesure où leurs idées sur le genre relevaient de « l’essentialisme » plutôt que de « la construction sociale » de l’identité. Lire la suite

Andrea n’était pas transphobe

par John Stoltenberg

andrea-dworkin*

Quand Andrea et moi avons fait connaissance en 1974, son premier livre, Woman Hating, était sous presse. Elle a rédigé tous ses écrits ultérieurs dans la maison où nous avons vécu ensemble jusqu’en 2005, quand le monde et moi l’avons perdue.

Un passage de Woman Hating a changé ma vie à jamais :

« La découverte est, bien sûr, que « le masculin » et « le féminin » sont des fictions, des caricatures, des construits culturels. En tant que modèles, ils sont réducteurs, totalitaires, inadaptés au devenir humain. En tant que rôles, ils sont statiques, méprisants pour chaque femme : des impasses tant pour les hommes que pour les femmes. »

Cette interpellation radicale du genre est devenue entre nous une assise commune. C’est sur cette base que nous nous connaissions et aimions. Nous savions venir tous deux d’une culture genrée – elle en tant que femme, moi en tant qu’homme – mais jamais nous n’étions plus proches et n’allions plus loin que lorsque cela cessait de compter, quand nous communiquions simplement de soi à soi. Ou d’âme à âme. Ou de Moi à Toi. Lire la suite

L’antiféminisme (extraits)

[Plus bas, un extrait du livre Les femmes de droite d’Andrea Dworkin, publié par les éditions du remue-ménage. indexC’est à ce jour le seul ouvrage de cette féministe radicale américaine traduit. Il est en vente ici: Violette & Co. Les extraits qui suivent sont tirés du dernier chapitre intitulé « L’antiféminisme ».

Les femmes de droite est un livre d’autant plus puissant qu’il est précédé d’une préface où Christine Delphy explicite entre autres les divergences entre le queer et le féminisme radical.

Un ouvrage, riche, à lire.

Des articles d’Andrea Dworkin ont été aussi publiés dans l’anthologie Pouvoir et violence sexiste (Éditions Sisyphe). ]

Le féminisme est une philosophie politique qui suscite beaucoup de haine. C’est vrai dans tout le spectre politique reconnaissable défini par les hommes, de l’extrême-droite à l’extrême-gauche. Le féminisme est haï parce que les femmes sont haïes. L’antiféminisme est une expression directe de la misogynie ; c’est l’argumentaire politique de la haine des femmes. Il en est ainsi parce que le féminisme est le mouvement de libération des femmes. L’antiféminisme, dans l’une ou l’autre de ses familles politiques, soutient que la condition sociale et sexuelle des femmes incarne essentiellement (d’une manière ou d’une autre) leur nature, que la façon dont les femmes sont traitées dans le sexe et dans la société est conforme à ce que sont les femmes, que la relation fondamentale entre les hommes et les femmes – dans le sexe, la reproduction et la hiérarchie sociale – est à la fois nécessaire et inévitable. L’antiféminisme soutient la conviction que la violence infligée aux femmes par les hommes, en particulier dans le sexe, possède une logique implicite qu’aucun programme de justice sociale ne peut ou ne devrait éliminer; et que puisque l’utilisation que les hommes font des femmes découle de leurs natures distinctes et opposées qui convergent dans ce qu’on appelle « le sexe », les femmes ne sont pas violentées quand on les utilise en tant que femmes, mais simplement utilisées pour ce qu’elles sont par les hommes en tant qu’hommes. On reconnaît qu’il existe certains excès de sadisme masculin – commis par des individus dérangés, par exemple – mais en général, l’avilissement massif des femmes n’est pas perçu comme une violation de la nature des femmes en tant que telles. Par exemple, la nature d’un homme serait violée si quelqu’un pénétrait son corps de force. Mais le même incident ne transgresse pas la nature d’une femme, même si cela lui a fait mal. La nature d’un homme ne provoquerait pas qui que ce soit à pénétrer son corps de force. Mais la nature d’une femme provoque une telle pénétration – en outre, une blessure ne prouve pas qu’elle ne voulait pas cette pénétration ou même cette blessure, puisqu’il est dans sa nature de femme de désirer être pénétrée de force et blessée de force. Une femme est violée toutes les trois minutes aux États-Unis, selon des estimations conservatrices, et dans chacun de ces viols, c’est la nature de la femme et non l’acte de l’homme qui est mise en cause. Il n’y a assurément aucune reconnaissance sociale ou juridique du viol comme acte de terrorisme politique. Lire la suite

Bienvenue à La profémiliste !

[Voici l’ouverture d’une nouvelle liste]

 La PROFÉMILISTE regroupe des personnes qui souhaitent interagir en vue de l’éradication de la domination masculine. Lancée par des hommes proféministes et ouverte aux femmes, cette liste de discussion internet affirme notre reddition de comptes aux luttes anti-patriarcales en cours. Nous nous retrouvons sur les bases du féminisme radical, à savoir les analyses et les propositions de Christine Delphy, Audre Lorde, Colette Guillaumin, Monique Wittig, Patricia Hill Collins, Andrea Dworkin, etc., ainsi que­ d’alliés comme John Stoltenberg et Léo Thiers-Vidal.

Nous prenons pour cibles l’exploitation, l’appropriation, la domination, dont le système prostitutionnel,…. et autres violences imposées aux femmes. Notre démarche est à la fois collective et individuelle. Lire la suite

Pirouettes rhétoriques, concepts farfelus, inversion des rôles, travestissement des réalités, et toujours le refus de l’égalité

[Voici plus bas, la recension du livre Contre le masculinisme, écrit par le collectif Stop masculinisme et dont j’avais déjà annoncé la sortie il y a quelques semaines.  Je remercie Didier Epsztajn pour tout son travail.]

Voici un petit livre qui mériterait une très large diffusion. Bien écrit, bien argumenté, sans simplisme ni évitement de questions dérangeantes, les auteur-e-s nous proposent des analyses et des contre-arguments face aux écrits et actions des masculinistes, de ceux qui refusent l’égalité réelle entre les êtres humains. Ces masculinistes entendent défendre leurs privilèges de dominants, les privilèges des hommes, dans les rapports sociaux de sexe (système de genre, patriarcat).couv Lire la suite

Un entretien avec Christine Delphy – Politis

[Publié en octobre dernier et effectué par Ingrid Merckx, l’entretien suivant est extrait du n°1272 de la revue Politispolitis. Je le reproduis avec l’aimable autorisation de Christine Delphy et d’Ingrid Merckx – merci à toutes deux.]

Le Lieu-dit, à Paris, était comble le 28 septembre pour la conférence organisée avec Christine Delphy à l’occasion de la réédition de son ouvrage phare. «L’Ennemi principal est un document de référence dans les études féministes. Ses deux tomes retracent l’évolution d’une pensée en mouvement», a souligné la sociologue Sylvie Tissot. Exemple : à propos du mariage pour tous, où Christine Delphy est passée du manque d’intérêt – «Ma génération était plutôt pour la suppression du mariage pour tout le monde» – au soutien. Une fracture s’est dessinée entre cette féministe « marxiste matérialiste et radicale » et plusieurs jeunes auditrices à propos de la transsexualité. « Je ne vois pas en quoi soutenir une femme qui veut devenir un homme, et donc passer dans le camp de l’oppresseur, est un combat féministe », a-t-elle déclaré.

Environ trente ans se sont écoulés entre le premier article, éponyme, de l’Ennemi principal et le dernier article. Quelle différence d’impact entre alors et maintenant ?
delhpy1bChristine Delphy: Il n’y en a pas tant que ça. L’article le plus connu, « L’ennemi principal », porte sur les grandes structures du patriarcat et l’exploitation économique des femmes. Cela n’a, malheureusement, pas beaucoup changé. Le non-partage du travail dit  domestique est quasi le même. Le travail paraprofessionnel – que les femmes font pour leur mari sans recevoir de rétribution (comptabilité, accueil des clients, travaux en tous genres…) – a un peu diminué, notamment avec le déclin de l’agriculture. Mais de nouveaux métiers indépendants se sont créés. Et, dans ce domaine, on ne sait rien des inégalités. Lire la suite

Le 2ème livre chez Bambule : CONTRE LE MASCULINISME – guide d’autodéfense intellectuelle.

Par le collectif Stop masculinisme

Des hommes divorcés, perchés en haut d’une grue, qui se disent lésés par une justice qui  leur confisquerait leurs enfants ; des associations défendant les hommes battus et criant à la manipulation des chiffres sur les violences conjugales ; des groupes de parole destinés à des hommes en perte de repères et en quête d’une nouvelle identité masculine.
« Droits des pères », « violences et discriminations à l’encontre des hommes », « crise de la masculinité », tels sont les thèmes chers aux masculinistes. Associations, psychologues, militants, figures médiatiques ou simples quidams, ils sont un certain nombre à affirmer qu’aujourd’hui ce sont les hommes qui souffrent, qu’ils sont victimes des femmes qui auraient pris le pouvoir, des féministes qui seraient allées trop loin, bref d’une société «matriarcale ».couv
Adeptes de la victimisation et de l’inversion des rôles, les masculinistes militent pour la défense de l’ordre patriarcal et des privilèges masculins. Leur idéologie s’inscrit dans un contexte politique réactionnaire où l’on voit se renouveler les formes de la domination masculine. Lire la suite

Sporenda interviewe John Stoltenberg

Sporenda nous offre une nouvelle interview de FEMINISME SANS FRONTIERES. Elle a choisi de poser ses pertinentes questions au représentant d’une espèce en voie d’apparition: l’homme féministe. À première vue, le féminisme d’un homme semble aussi cohérent que l’antiracisme d’un blanc, la solidarité d’un goy contre l’antisémitisme ou les convictions de gauche d’un riche. Sauf que nous savons toutes que ce n’est pas si simple.  De même qu’on « ne nait pas femme, on le devient », on ne nait pas homme, on le devient. John Stoltenberg, nous explique en quoi les hommes aussi seront bénéficiaires de la déconstruction des rôles.  Le titre de son dernier livre publié en France, « REFUSER D’ÊTRE UN HOMME », peut paraître déconcertant, mais soyons claire: ce que Stoltenberg refuse est non pas l’appartenance biologique mais l’injonction à un statut de dominant qui finalement, comme toutes les oppressions,  n’empoisonne pas seulement la vie des dominés mais aussi celle de ses bénéficiaires.https://encrypted-tbn1.gstatic.com/images?q=tbn:ANd9GcSOQdb0bX87UqiCirgB8_NEhC9YRP9S1jJ9NxKB1OzDQ7s_5ijO

REFUSER D’ÊTRE UN HOMME, interview de John Stoltenberg par Sporenda.

John Stoltenberg est un activiste engagé contre les violences sexistes et dans une critique culturelle  des questions de genre et d’éthique ; il est l’auteur pro-féministe radical de “Refusing to Be a Man: Essays on Sex and Justice” (2000), “The End of Manhood: Parables on Sex and Selfhood” (2000) et “What Makes Pornography Sexy?” (1994). Dans les années 80,  il a participé avec Andrea Dworkin et Catharine MacKinnon à des campagnes des droits civiques contre la pornographie et depuis 2000, il a assure la direction conceptuelle d’une campagne de prévention des agressions sexuelles sur le thème « My strength is not for hurting ».

Ex-éditeur de magazine, il continue à écrire sur les questions de genre et d’éthique, blogue sur le théâtre à Washington DC, où il habite, et est consultant en communication pour des groupes à but non-lucratif. En 2013, il a publié un roman, « Gonerz », dans lequel il projette une vision féministe radicale dans un futur post-apocalyptique.

Il a été le compagnon de la féministe radicale Andrea Dworkin de 1974 jusqu’à sa mort en 2005.

Il tweete sur @JohnStoltenberg et @media2change.

 La traduction française de son livre « Refusing to Be a Man » vient de paraître aux éditions Syllepse sous le titre « Refuser d’être un homme, pour en finir avec la virilité » (avant-propos de Christine Delphy, Mickaël Merlet, Yeun L-Y et Martin Dufresne).

 S : « Refuser d’être un homme » (Refusing to be a Man) a été initialement  publié il y a 23 ans (1990) . Pensez-vous que, depuis sa publication, le message de ce livre a pénétré dans le grand public, ou est-ce qu’il est resté marginal ?

JS : Je suis très réconforté par le nouvel intérêt manifesté pour le féminisme radical qui – comme je peux le constater  sur les medias sociaux – est international. J’ai toujours voulu que le cadre éthique de « Refuser d’être un  homme » soit en accord avec la critique du genre comme hiérarchie faite par le féminisme radical, et cette critique semble résolument progresser, en particulier chez les jeunes activistes. Lire la suite

Pour en finir avec quelques faussetés au sujet d’Andrea Dworkin

(traduction modifiée et mise à jour le 12-5-2015)

Andrea Dworkin est antisexe.

FAUX. Ses premières œuvres de fiction sont particulièrement riches en relations amoureuses, aussi bien lesbiennes qu’hétérosexuelles – par exemple A simple story of a lesbian girlhood et First Love.

Andrea Dworkin considère que « le coït est une punition ».

FAUX. Cette phrase est simplement dite par un personnage dans son roman Ice and fire. Le personnage paraphrase Franz Kafka.

Andrea Dworkin est anti-lesbienne et vit avec un homme.

A MOITIE VRAI. Elle a vécu dès 1974 avec l’écrivain John Stoltenberg, dont l’article « Living with Andrea » (Vivre avec Andrea) est paru dans Lambda Book Report en 1994. Leur homosexualité était publique dès les années 19701. Dans un discours prononcé en 1975 lors d’un rassemblement pour la Semaine de la fierté lesbienne, Andrea a appelé son amour des femmes « le terreau dans lequel s’enracine ma vie ».

Andrea Dworkin considère que les femmes battues ont le droit de tuer leur agresseur. Lire la suite

Le sexisme de la gauche radicale et les femmes

par Ben Barker

Le critère qui définit une personne radicale est sa volonté d’examiner de façon honnête et critique le pouvoir, et plus particulièrement, les déséquilibres de pouvoir. Nous nous demandons: Pourquoi un groupe dispose-t-il de plus de pouvoir qu’un autre? Pourquoi un groupe peut-il nuire à un autre en toute impunité ? Pourquoi un groupe est-il libre tandis que l’autre ne l’est pas? Ce genre de questions a longtemps été utilisé par des radicaux afin d’identifier des situations d’oppression et de prendre des mesures à leur encontre.
Cette démarche semblait à la fois claire et efficace, jusqu’à ce que soit soulevée l’oppression des femmes. Autant la gauche radicale a su nommer avec persistance les nombreuses manifestations dégueulasses de la culture dominante, autant elle a ignoré, minimisé et nié celle que constitue le patriarcat. Bien qu’il soit généralement admis que le racisme a pour effet de terroriser les personnes de couleur, que l’hétérosexisme a pour effet de terroriser les lesbiennes et les gais, que le colonialisme a pour effet de terroriser les communautés traditionnelles et indigènes, que le capitalisme a pour effet de terroriser les pauvres du monde entier, et que l’industrialisation constitue de fait un terrorisme à l’égard de la terre, les radicaux de gauche ne peuvent, pour une raison ou une autre, concevoir que le patriarcat constitue un terrorisme à l’égard des femmes. S’il arrive parfois que la question de l’oppression des femmes émerge, elle est édulcorée au point de ressembler davantage à un amas de circonstances désagréables, mais temporaires et isolées, plutôt qu’à ce qu’elle est vraiment : une guerre permanente menée contre la liberté, l’égalité et les droits humains de plus de la moitié de la population mondiale.
La façon dont le sexisme, le privilège masculin et le patriarcat sont passés sous silence entre radicaux est à la hauteur de la façon dont ils nous paralysent. Lire la suite