[Cet article de Francis Dupuis-Déri, que je reproduis avec son autorisation, a été publié dans la revue Possibles (printemps 2015).
L’auteur est responsable du Groupe interdisciplinaire de recherche sur l’antiféminisme (GIRAF) associé à l’Institut de recherches et d’études féministes (IREF) à l ’Université du Québec à Montréal (UQAM) et au Réseau québécois en études féministes (REQEF). Il tient à remercier Louise Cossette pour ses commentaires à la lecture d’une version préliminaire de ce texte, et Mélissa Blais pour de nombreuses discussions sur ce sujet. Cela dit, les idées qui y sont exprimées n’engagent que l’auteur. Enfin, ce texte reprend quelques éléments de l’article «Le mythe de la caverne conjugale : d ’une justification contemporaine de l’inégalité dans les couples hétérosexuels», Argument, vol. 10, n° 1, 2008, et certaines idées présentées ailleurs, par exemple dans l’ouvrage collectif Le mouvement masculiniste au Québec : L’antiféminisme démasqué (Montréal, Remue-ménage, 2015 — 2ème édition).]
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Lausanne, octobre 2014. Un collectif militant féministe — Les Pires & associé-e-s — a perturbé une séance de formation de psychosexologie appliquée, offerte par le psychologue québécois Yvon Dallaire (et Iv Psalti), scandant des slogans et distribuant un tract (Le Courrier, 2014). En commentaire sur le site du journal Le Courrier, John Goetelen explique, à propos du collectif Les Pires et associé-e-s qu’il « s’agit d’un groupe anarcho-féministe de Grenoble1 ». Sur son blogue Les hommes libres, hébergé sur le site Web de La Tribune de Genève, il « appelle les groupes d’hommes et de femmes concernés par la condition masculine à se défendre plus activement contre ces agressions », les encourageant à ne pas « hésiter à user de la force contre les facho-féministes » (Goetelen 2014). Goetelen est auteur du livre Féminista : ras-le-bol ! et il se présente comme un « passionné de l’humain et des relations hommes-femmes » et un «[a]ntiféministe convaincu et réfléchi2».
Qui est Yvon Dallaire et comment expliquer l’attaque du collectif féministe Les Pires et associés à l’endroit de sa séance de formation? Afin de répondre à la première partie de cette question, précisons qu’Yvon Dallaire est né en 1947, et qu’il est membre de l’Ordre des psychologues du Québec. Il a enseigné la psychologie au Collège de Sainte-Foy (près de Québec) et il est à la fois éditeur (Les Éditions Option santé), thérapeute pour couples, formateur et conférencier. Il se présente comme l’inventeur de l’Approche psychosexuelle, qui propose de recourir à des thèses biologiques pour expliquer des phénomènes psychologiques. Ajoutons qu’Yvon Dallaire est régulièrement invité en Belgique et en France pour y prononcer des conférences ou offrir des cours de formation en sexologie clinique (en collaboration, entre autres, avec Iv Psalti). En 2013 et en 2014, il animait un atelier quotidien lors de la croisière Harmonie conjugale, sur la Méditerranée. Cette activité lui vaudra d’être sanctionné par le comité de discipline de l’Ordre des psychologues pour avoir « omis de sauvegarder en tout temps son indépendance professionnelle » (Sioui 2015)3. Soulignons également qu’Yvon Dallaire a aussi publié près de vingt livres, dont Homme et fier de l ’être (2001), réédité en 2015 sous le titre Homme et toujours fier de l’être, La violence faite aux hommes : Une réalité taboue et complexe (2002), Cartographie d’une dispute de couple (2007), Qui sont les femmes heureuses? La femme, l’amour et le couple (2009), Qui sont les hommes heureux? L’homme, l’amour et le couple (2010). Plusieurs de ses livres ont été traduits en plusieurs langues, notamment en anglais, en arabe, en espagnol, en italien, en portugais, en roumain, etc. Enfin, ce psychologue et auteur est très présent dans les médias européens, où il a été invité, par exemple, pour une série d’entrevues à la radio suisse. Pour ce qui est de sa participation aux média Québécois, il tient, entre autre, une chronique hebdomadaire dans Le Journal de Montréal.
Le féminisme selon Dallaire
Et comment expliquer les accusations d’antiféminisme à l’endroit d’Yvon Dallaire, alors même que celui-ci ponctue ses ouvrages et ses conférences de remarques quant à l’importance de reconnaître que les femmes éprouvent des problèmes, voire parfois que le féminisme est nécessaire? Il faut souligner à ce sujet, que Dallaire présente le plus souvent les hommes comme désavantagés, voire discriminés face aux femmes. Il prétend que la société n’est pas patriarcale et qu’affirmer le contraire le fait «rire» (Dallaire, 2001 : 57). Lors d’une entrevue pour le film La domination masculine, il avance même que « le féminisme, on pourrait dire créée le patriarcat, pour avoir un ennemi contre lequel se battre4.» Sa maison d’édition a publié plusieurs ouvrages masculinistes, dont De l’homme en crise à l ’homme nouveau : Essai sur la condition masculine (2009) et La cause des hommes : Pour la paix des sexes (2004).
Yvon Dallaire se défend pourtant d’être antiféministe ou même «masculiniste», cette forme d’antiféminisme selon lequel les hommes souffrent d’une crise d’identité à cause de l’influence des femmes émancipées, des féministes et de la soi-disant féminisation de la société, il se qualifie plutôt lui-même d’«hoministe» (Dallaire, 2015 : 17). Lire la suite →