Les témoignages des survivantes de l’inceste et les luttes pour stopper les agressions ont gagné en puissance grâce à la trainée de poudre qu’est #MeToo.
Ici, avec Juste à moitié… Dévorée, Elize Ducange livre son récit des violences subies dans l’enfance.
Banale histoire d’une petite fille hantée
Gardienne du secret à perpétuité
je suis condamnée
Puisque tout est cause et conséquence
je suis la cause
je suis la conséquence
trop jolie qu’ils disaient
il faut se méfier
il faut s’en méfier
petite tentatrice de 3 ans
offrir ses fesses à nettoyer forcément
l’idée a germé.
Malgré ce vécu fait de traumatismes, et peut-être d’autant plus du fait de ce vécu, l’autrice développe une certaine poésie dans son témoignage, une poésie belle, touchante et poignante.
De ces réveils de sueur et de peur
Et gonflent les balles dans la gorge
Etouffé de ça et de nouveau la peur au ventre
Et colle et coule jaune la blessure
De mon enfance il a fait une souillure
La peur au ventre il est revenu
Hanter mes nuits et de nouveau,
J’ai 8 ans la peur au ventre je serre les dents
Pour ne pas sentir l’haleine aigre,
Les mains rugueuses, le sexe doux,
La puanteur de son intime,
La gangrène qui me contamine,
Collé sur moi à en mourir.
Dans mes nuits noires de ses mains sales.
Il m’a volé l’innocence de croire
Que la nuit je pouvais dormir.
L’écriture du témoignage est dans une certaine mesure progressive. La mise en page de l’ouvrage est soignée, avec cette nécessité de devoir ouvrir et déplier la couverture pour accéder au contenu.
…et tout s’écroule.
LE TEMPS se met à boucler et l’histoire se répète, le sexe dur
d’un homme sur ma jambe dans le métro, un homme qui me bloque dans un coin du RER et se masturbe devant moi, un étudiant qui me suit, m’espionne, me harcèle… et les images de l’oncle qui reviennent à la surface de la tête… je comprends mes envies de mourir depuis petite, mes mutilations, ma solitude, mon isolement, mes récurages constants, les maladies développées par mon corps pour lui échapper, les opérations… À l’hôpital je me sens en sécurité. À l’hôpital, je me sens précieuse. À l’hôpital j’ai un corps et d’autres en prennent soin. À l’hôpital il n’y a pas d’escalier en bois et de grincements la nuit. A l’hôpital ce sont des femmes qui me veillent la nuit. À l’hôpital je peux dormir en sécurité.
J’ai 19 ans, et des images horribles émergent du fond de moi… combien de temps mon corps et mon esprit ont-ils vécu dissociés ?
La colère, crier, peindre la mort en noir et blanc, peindre des cris qui sortent du cadre, je suis hors cadre.
Fumer beaucoup pour me sentir respirer.
La mise en page, bien réfléchie, met en valeur toute la beauté du texte, avec aussi : les cris étouffés, la colère, le désespoir, les silences et les vides.
Oui, parler de « beauté du texte » est étrange quand on connait l’ampleur des dégâts que provoquent l’inceste. Mais Elize Ducange a néanmoins réussi à faire cela, sans pour autant euphémiser les agressions de l’oncle et les violences paternelles.
Et fasse que les aveugles voient
et fasse que les sourds entendent.