Archives pour la catégorie Recension

L’enfer des passes, de Rachel Moran [compte rendu]

[La note suivante a été publiée dans la revue Empan]

Le système prostitutionnel fait l’objet depuis de nombreuses années d’études féministes variées : Barry (L’esclavage sexuel de la femme, 1982), Legardinier (Prostitution : une guerre contre les femmes, 2015), Ekman (L’être et la marchandise, 2013), Montreynaud (Zéromacho, 2018).

Les témoignages de prostitué·es peinent à s’exprimer ou à se faire entendre, et plus encore les témoignages d’ex-prostituées. Pourtant, ces dernières en particulier sont celles dont « l’objectivité » n’est pas polluée par des intérêts immédiats dans le système prostitutionnel, avec l’avantage de posséder une connaissance poussée, prolongée et intime du milieu et de l’activité. C’est ce qui donne une richesse et une rare force au livre L’enfer des passes de la féministe irlandaise Rachel Moran, qui a vécu la prostitution pendant sept ans.

Les quelque 26 chapitres sont « un exercice de dépassement » (p. 327) d’elle-même afin de renaître de ses hontes – pour reprendre le titre d’un autre livre d’une ancienne prostituée, Laurence Noëlle. Moran y dissèque son propre parcours et brave « les ondes de choc » (p. 307) de son passé de femme prostituée, dont le stigmate perdure dans le temps – malgré la récente loi abolitionniste qui décriminalise leur activité.

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Androcapitalocène : recension du livre de Catherine Albertini par Ana Minski

[Le compte-rendu qui suit est tiré du n°4 de la revue : Behigorri. Le sommaire de la revue est en bas de page. Merci pour l’aimable autorisation à reproduire ce texte.]

« Il n’existe pas de ''sans voix''. Il n’y a que des personnes délibérément réduites au silence ou que l’on préfère ne pas entendre. » – Arundhati Roy (2004)

Anthropocène ? Capitalocène ? Mégalocène ? On ne compte plus les néologismes pour nommer les destructions écologiques en cours. Autant de -cène que de Homo, cette humanité civilisée qui se rêve et se prétend sapiens, mais qui est, selon les auteurs, bien plus oeconomicus, theologicus, ludens, faber, ethicus, ou detritus

Nommer les choses et les phénomènes n’est pas un acte anodin. Nommer nous situe dans le monde, socialement, moralement et matériellement. Nommer est la première étape pour identifier ce que les opprimé.es doivent combattre. Définir le plus précisément possible ce que nous souhaitons dénoncer ou défendre, nous permet de comprendre les différents mécanismes de la domination et les causes du désastre écologique. Les mots mûrement réfléchis mettent à nu les désirs de révolte ou de domination qui sous-tendent une pensée. C’est pour cela que toute autrice qui se préoccupe d’écologie et de justice sociale doit porter son regard sur le monde depuis celles et ceux qui sont exploité.es, animales humaines et non humaines. La réalité de toute société est à la fois matérielle et symbolique. Décrire clairement le système économique capitaliste, système puissamment idéologique, permet de rendre visible les violences et destructions quotidiennes dont il se nourrit pour le porter à notre jugement moral.

Dans son essai Résistances des femmes à l’Androcapitalocène. Le nécessaire écoféminisme, publié chez M Éditeur, Catherine Albertini commence par expliquer les raisons pour lesquelles « Androcapitalocène » lui semble être le mot le plus adapté pour nommer la période actuelle. Le préfixe « andro- » met en évidence le fait que la destruction en cours « n’est pas neutre du point de vue du genre ». Elle est le fait du genre masculin, c’est-à-dire d’hommes qui sont socialisés pour valoriser la concurrence, le pillage, le viol, la domination, l’hégémonie. Des hommes qui sont socialisés pour mépriser les qualités attribuées aux femmes. Le genre féminin, dans lequel sont socialisées les filles dès leur plus jeune âge, enferme les femmes dans une position masochiste et sacrificielle. Si elles veulent être aimées, les filles doivent correspondre aux qualités attribuées au féminin, à « La femme » douce, passive, généreuse, empathique, coquette, serviable, soumise. Cette socialisation binaire des sexes participe à la mise en place et au maintien d’un système économique qui lui ressemble en tout point : le capitalisme.

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« Vous allez devoir débarrasser mon cul de votre fantasme », compte-rendu de Pornographie d’Andrea Dworkin par Didier Epsztajn

Andrea Dworkin : Pornographie
Les hommes s’approprient les femmes

Editions Libre 2022, 340 pages, 20 euros

« J’ai rencontré d’énormes difficultés à écrire et à publier cet ouvrage. La pornographie que j’ai dû étudier pour l’écrire a envahi ma vie et m’a plongée dans une grande détresse personnelle. J’ai beaucoup de difficulté à gagner ma vie pendant cette période, en partie parce que les magazines et les journaux refusaient, presque sans exception, de publier mes écrits. Les maisons d’édition ne voulaient pas publier ce livre. L’achèvement de ce livre est pour moi le triomphe d’une écrivaine se battant pour sa survie. De nombreuses personnes m’ont aidée et je ne les oublierai jamais. Il est à la fois juste et véridique de dire que j’aurais sombré sans leur aide ». Andrea Dworkin dans ses remerciements en fin de livre.

Il aura fallu plus de quarante ans pour que Pornography : Men possessing Woman soit enfin traduit en français. Il faut en remercier Ann Leduc et Martin Dufresne. J’aurais aimé lire un tel livre beaucoup plus jeune, pour moins m’égarer dans certaines lectures, au nom d’une conception bien masculiniste de la liberté sexuelle revendiquée. L’autrice ne joue pas sur les mots, elle utilise ceux du quotidien dans toute leur âpre nudité. Elle ne se laisse pas tromper par des allégations sur l’érotisme et l’encensement d’ouvrages ouvertement pornographiques et violents, elle nomme et analyse des livres, des images, des productions de l’industrie pornographique. Andrea Dworkin discute des violences masculines faites aux femmes, des conséquences sociales de la consommation de pornographie, des rapports de domination, de l’humiliation des femmes parce qu’elles sont des femmes. Elle aborde aussi des productions soi-disant scientifiques naturalisant la domination masculine, discréditant le non des femmes, justifiant la violence et le viol… Quarante après, un livre toujours d’actualité.

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Notre sang, d’Andrea Dworkin – un compte rendu de Claudine Legardinier

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« Notre sang » d’Andrea Dworkin vient d’être réédité aux Editions des femmes dans une traduction de Camille Chaplain et Harmony Devillard. Essentiel !

Radical. Explosif. Eclairant de bout en bout. Lire Andrea Dworkin, c’est un peu comme mettre les doigts dans la prise électrique. Le patriarcat, ce « système suprémaciste masculin  qui nous opprime et menace de détruire toute vie sur cette planète » y est passé au crible à travers neuf discours tenus dans les années 1970 par une grande féministe américaine dont Kate Millett, sœur de combat, pourra dire qu’ils contiennent «  la fureur de générations de femmes silencieuses  ».

Nation sexiste, nation raciste, Dworkin traque aux Etats-Unis et partout sur la planète une pathologique volonté de domination dont elle appelle les femmes à se libérer. Jetée sur les routes suite à ce qu’elle appelle le blocus des éditeurs (qui lui reprochent son manque de « féminité »), elle devient une brillante oratrice qui taille ses formules au couteau : « Les hommes sont possesseurs de l’acte sexuel, de la langue qui décrit le sexe, des femmes qu’ils chosifient »« Le viol n’est en rien un excès, ni une aberration, ni un accident, ni une erreur – il incarne la sexualité telle que la définit la culture ».

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Le livre d’Elize Ducange : Juste à moitié… Dévorée (une courte présentation par des extraits)

Les témoignages des survivantes de l’inceste et les luttes pour stopper les agressions ont gagné en puissance grâce à la trainée de poudre qu’est #MeToo.
Ici, avec Juste à moitié… Dévorée, Elize Ducange livre son récit des violences subies dans l’enfance.

Banale histoire d’une petite fille hantée

Gardienne du secret à perpétuité

je suis condamnée

Puisque tout est cause et conséquence

je suis la cause

je suis la conséquence

trop jolie qu’ils disaient

il faut se méfier

il faut s’en méfier

petite tentatrice de 3 ans

offrir ses fesses à nettoyer forcément

l’idée a germé.

Malgré ce vécu fait de traumatismes, et peut-être d’autant plus du fait de ce vécu, l’autrice développe une certaine poésie dans son témoignage, une poésie belle, touchante et poignante.
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Déviriliser le monde, une urgence

Plusieurs publications féministes sortiront prochainement en librairie : Féminisme et réseaux sociaux – une histoire d’amour et de haine(éd. Hors d’atteinte) de Elvire Duvelle-Charles et Déviriliser le monde – demain sera féministe ou ne sera pas (éd. Rue de l’échiquier) de Céline Piques.  Les deux autrices sont des activistes de longue date ; la première a débuté au sein des Femen, la seconde est dans Osez le féminisme !, en tant qu’actuelle présidente de l’asso.

Bien que l’ouvrage Féminisme et réseaux sociaux m’ait fait découvrir tout un pan de l’activisme numérique – de sa force mais aussi des difficultés, des pièges et des impasses rencontrées dans ce type de mobilisation – je vais me concentrer sur l’ouvrage de Céline Piques.

Son Déviriliser le monde, pensé « comme un manifeste politique », est le 3ème titre féministe de la belle petite collection Les incisives, après celui de Réjane Sénac (L’égalité sans condition) et celui de Reine Prat (Exploser le plafond).

Dans son avant-propos, l’autrice précise qu’elle défend un « féminisme matérialiste » associé à une perspective « écoféministe ». Les cinq chapitres qui suivent alors se déclinent ainsi : « lutter contre les violences masculines », « lutter contre les violences prostitutionnelles et pornocriminelles », « se réapproprier nos corps », « se réapproprier notre travail et repenser la famille », et pour conclure « se réapproprier nos vies ». Un vaste programme qui traite aussi bien du lesbianisme, du travail ménager, de la fiscalité, de la correctionnalisation des viols, des droits reproductifs, de la médecine, de la stratégie de l’agresseur, de l’instrumentalisation du féminisme à des fins racistes, et des désastres écologiques en cours ; avec parfois, pour ce faire, une mise en comparaison avec d’autres pays.

J’ai particulièrement apprécié sa critique du « consentement » – « un concept vicié » – qui rejoint celle de C. Le Magueresse, ainsi que sa dénonciation du calcul des impôts, qui va dans le même sens que le diagnostic posé par C. Delphy. Certaines des propositions de Céline Piques consiste en un recours à l’état pour pallier les inégalités. Elle plaide par exemple pour un « véritable service public de la petite enfance », quand le désinvestissement des hommes vis-à-vis de leurs enfants est flagrant. Sur ce sujet, la remarque de Delphy persiste : « Les revendications sont adressées aux patrons, ou à l’Etat, jamais aux hommes ». Et la question demeure : « Par où attaquer le « partage inégal » du « travail ménager » ? »

Voici quelques idées ou citations que j’ai particulièrement retenues du livre, et je ne doute pas que son lectorat en retiendra bien d’autres :

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Didier Epsztajn : Grimpons au sommet d’un building histoire d’aller croquer quelques avions de chasse

« La culture systémique du viol préside à l’organisation de nos sociétés occidentales. L’objet de ce livre est de montrer qu’elle irrigue aussi tout un pan de la culture pop : celui des dinosaures en littérature et au cinéma »

Loin des tristesses ou de l’arrogance de certaines analyses, Ïan Larue éclaire la nuit de ludiques images. Elle nous parle avec humour de dinosaures, de constructions mentales, de serpent et d’anathème religieux, « Les animales que nous fantasmons sous le nom de reptiles sont pensées comme notre envers diamétral », de scènes cultes hollywoodiennes, de reptiliennes et de déesses.

Je souligne sa capacité à rire des constructions sexistes des mondes, de l’idéologie sociale masculiniste, « Les petits riens comme les grands sauriens », des imaginaires normées pour que rien ne change dans la domination, des fantasmes masculinistes de bipède alpha et assassin, de la taxonomie hiérarchisante, de la glorification fantasmatique du tirex, des frontières construites et déplacées, « cette ligne mythifiée qui abrite la civilisation », des monstres qui éblouissent les petits garçons, de la jungle au prisme hollywoodien, des tartes à la crème du patriarcat, « Accuser la victime d’un viol d’avoir provoqué ce crime et la tragédie qui s’en suit est une des tartes à la crème du patriarcat »…

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« L’enfer des passes » un compte-rendu par Sandrine Goldschmidt

[Compte-rendu publié dans le n°210 de la revue Prostitution et société]

L’essai majeur de Rachel Moran, « Paid For », est enfin traduit en français, sous le titre « L’enfer des passes ». Il paraît le 12 novembre aux Editions Libre.

C’est peu dire que ce livre essai-témoignage de la survivante irlandaise Rachel Moran, « L’enfer des passes, mon expérience de la prostitution » est importante, et qu’on attendait depuis des années sa traduction. Reconnu par de nombreuses personnalités (Gloria Steinem, Catherine Mac Kinnon, Ashley Judd) comme l’un des plus importants jamais écrits sur la prostitution, il n’a, sept ans après, rien perdu de sa clairvoyance. 

La fondatrice de Space international, association de survivantes de la prostitution, commence le livre en racontant ce qui l’a menée à être prostituée : la maladie mentale de ses parents, la maltraitance, la rue, les foyers, puis le « petit copain proxénète ». « Différents éléments s’emboîtèrent parfaitement de sorte que la prostitution se présenta à moi comme étant la seule option qui me paraît viable »dit-elle. 

L’enfer des passes, un système fait pour les hommes

Tout au long de l’ouvrage, elle décortique à merveille le système qui l’a menée et maintenue en prostitution, et qui ne pénalisait pas les hommes prêts à payer une gamine de 15 ans pour du sexe. Elle refuse d’abord, pendant deux ans, autre chose que la masturbation et la fellation. Ce qui ne la protégea ni de la violence de la prostitution, ni du viol.  Puis, elle a accepté la pénétration et a connu toutes les formes de prostitution, de la rue au bordel en passant par le strip-tease. 

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Aucun aménagement personnel dans le système du patriarcat ne mettra fin au gynocide (Compte-rendu du livre Notre sang d’Andrea Dworkin)

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[le livre n’est pas distribué en france, mais quelques exemplaires sont cependant commandables ; pour cela merci de m’écrire via la page contact de Scènes de l’avis quotidien ]

Je reproduis les deux « encarts » ouvrant le livre.

« Pour Barbara Deming

Je considère que si nous sommes prêtes à affronter nos colères qui nous semblent les plus personnelles, dans leur état brut, et nous nous donnons la tâche de traduire cette colère brute en une colère destinée à rechercher un changement, nous nous trouverons dans une position beaucoup plus persuasive pour interpeller les camarades sur la nécessité d’extirper de toute colère la volonté de meurtre. Barbara Deming, On Anger et We Cannot Live Without Our Lives »

« À la mémoire de Sojourner Truth

Alors, les femmes ne réclament pas la moitié d’un royaume, mais leurs droits, et elles ne les obtiennent pas. Quand elles viennent les exiger, n’entendez-vous pas comment les fils houspillent leurs mères comme des serpents, parce qu’elles réclament leurs droits ; et peuvent-elles demander quoi que ce soit de moins ? [] Mais nous aurons nos droits ; regardez voir si nous n’y arrivons pas ; et vous ne pouvez pas nous en empêcher ; regardez voir si vous en êtes capable. Vous pouvez houspiller autant que vous le voulez, mais c’est en train d’arriver. Sojourner Truth, 1853 »

Les grands éditeurs n’aiment pas le radicalisme des féministes. Une puissante autrice comme Andrea Dworkin n’a pas trouvé place dans leurs collections. Il a donc fallu plus de quarante ans pour que ce livre trouve enfin un petit éditeur québecois engagé pour que nous puissions en lire une traduction en français. Merci aussi à Yeun et à Martin.

« J’ai donc pris la parole en public – non pas avec l’étalage improvisé de pensées ou l’effusion de sentiments, mais avec une prose façonnée pour informer, persuader, perturber, provoquer la reconnaissance, autoriser la rage ».

Dans sa préface, preface-dandrea-dworkin-a-son-livre-notre-sang-predictions-et-discours-sur-la-politique-sexuelle/, publiée avec l’aimable autorisation de M éditeur, Andrea Dworkin aborde, entre autres, l’absence d’édition de ses travaux, ses conférences, la réception de son livre Woman Hating. Elle présente les contextes et les textes ici rassemblés. L’autrice parle aussi du travail d’écriture, de « la présomption systématique d’appropriation masculine du corps et du travail des femmes, la réalité matérielle de cette possession, la dévalorisation économique du travail des femmes », d’écriture « pour une voix humaine »…

Un ensemble de conférences et de textes publiés en 1974 et 1975 :

  • Le féminisme, l’art et ma mère Sylvia
  • Renoncer à l’« égalité » sexuelle
  • Se souvenir des sorcières
  • L’atrocité du viol et le gars d’à côté
  • La politique sexuelle de la peur et du courage
  • Redéfinir la non-violence
  • Fierté lesbienne
  • Notre sang : l’esclavage des femmes en Amérike
  • La cause première
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« Francine Sporenda : Survivre à la prostitution » (note de lecture par Claudine Legardinier)

[Note de lecture de Claudine Legardinier sur l’ouvrage de Francine Sporenda : Survivre à la prostitution – Les voix qu’on ne veut pas entendre, témoignages

Cette note est tirée du n°205 de la revue trimestrielle du Mouvement du Nid, Prostitution et Société

L’ouvrage de Claudine Legardinier sur le système prostitutionnel, Prostitution : une guerre contre les femmes, est lui aussi indispensable.]

M Editeur, Québec. Parution en France en novembre 2020

 

Francine Sporenda a longtemps été la femme de l’ombre. Elle recueillait les paroles des autres : femmes prostituées ou sortant de prostitution, intellectuelles, militantes que la question de la prostitution prenait à la gorge, comme elle.

La force de la matière collectée, cette parole explosive que personne ne veut entendre, mais aussi le caractère politique du sujet, ont fini par la pousser à rassembler, en un seul livre de trois cents pages, la somme de son travail d’intervieweuse. La parole des premières concernées y occupe une place centrale : une parole sans filtre, une dénonciation magistrale des réalités de cette activité qui reste pourtant parée, dans la société, des dehors affriolants du fantasme. Au détour des pages, on retrouve d’ailleurs Rosen Hicher et Laurence Noëlle, les deux fondatrices du mouvement français des Survivantes ; et des femmes de plusieurs pays, dont certaines jetées dans la prostitution dès l’âge de 11 ou 12 ans.

Leurs mots sont leur force

Pour dire les ficelles du proxénétisme qui poussent à y entrer, les difficultés qui retiennent d’en sortir, leurs mots sont leur force. Lire la suite

On tue une femme (note de lecture par Didier Epsztajn)

Dans leur introduction, Féminicides, fémicides et violence de genre, Lydie Bodiou et Frédéric Chauvaud, abordent des crimes contre des filles et des femmes dans de nombreuses régions du monde. Elle et il parlent, entre autres, du meurtre d’une fillette de 8 ans en Inde, des mobilisations de femmes en Amérique centrale et du sud contre les « crimes à caractère sexiste », des mots employés, des législations…

I. Le féminicide : une « découverte récente. L’autrice et l’auteur reviennent l’histoire récente et discutent des termes employés, des analyses depuis le milieu des années 70, « des femmes ne sont pas tuées de la même que les hommes, ni avec la même intensité, ni avec une ampleur similaire », de crime commis « par des hommes contre des femmes parce qu’elles sont des femmes », de la notion de féminicide, « violence systémique commise contre les femmes » et de responsabilité des Etats « qui ne luttent pas contre l’enlèvement, la disparition et la mort de fillettes, d’adolescentes et de femmes », d’une autre définition possible, « le féminicide englobe l’infanticide contre les filles, notamment en Inde et en Chine, le crime d’honneur, la violence de masse mais aussi l’infection du sida », de l’occultation de la violence masculine,

Je souligne les paragraphes sur les filles « manquantes » dans certains pays d’Asie, une forme de féminicide non nommé mais d’une échelle et d’une ampleur inégalée, la culture de l’infériorité des femmes, le recours à la « tradition », la violence non considérée comme telle, « Mais le fléau contemporain qui redimensionne l’échelle des dommage à l’encontre du sexe féminin est celui qui les empêche de venir au monde », les effets du déficit démographique combiné au sentiment de propriété sur les femmes, la marchandisation des femmes, « prostitution, trafic, enlèvement, polyandrie, mariages forcées… »

II. De la violence au féminicide : de l’Amérique latine aux instances internationale. Lydie Bodiou et Frédéric Chauvaud abordent, entre autres, les tueries massives ou systémiques, les crimes de masses en lien avec les politiques contre-insurrectionnelles, « Eradiquer les femmes, c’est tarir la source : de la génération, de la tradition, des rites d’une culture autonome », la Convention de Belém do Pára, les violences dites intimes, la notion de féminicide et son inscription dans les législations nationales, « la reconnaissance de l’existence d’un crime spécifique couvre aujourd’hui onze pays d’Amérique latine », les évolutions des conventions internationales dont la Convention d’Istanbul…

III. Deux études de cas à propos du Canada. L’autrice et l’auteur reviennent sur Alek Minassian et son « acte idéologique », la tuerie de l’Ecole polytechnique de Montréal, « les interprétations féministes du massacre furent longtemps minimisées, niées, raillées », les Sœurs volées (je-nai-plus-peur-je-veux-me-battre-puisquon-ne-se-battra-pour-moi/), un « phénomène social qui s’inscrit dans l’héritage colonial canadien »… Lire la suite

Gail Dines : Dans une société juste, il n’y a pas de place pour le porno (chronique de Pornland)

Le libéralisme sexuel est cette idéologie qui exonère les exploiteurs de toute responsabilité à l’égard des personnes qu’ils violentent et exploitent sexuellement. C’est une idéologie qui est particulièrement véhiculée par l’industrie du porno, n’en déplaise à quelques adeptes libertariens qui voient dans ce secteur un apprentissage à la sexualité, un travail, ou un empowerment.

Pour répondre à ces fantasmes ou au mythe d’une pornographie sans impacts sociaux nocifs, le livre de Gail Dines, Pornland – comment le porno a envahi nos vies, est crucial.

L’ouvrage comprend un avant-propos de Cécilia Lépine – blogueuse de Racine Rouge –, une préface de Robert Jensen – universitaire et activiste proféministe – et une postface de Tom Farr – spécialiste des droits humains. Dines pour sa part est une sociologue féministe radicale américaine. Elle a travaillé de nombreuses années sur l’industrie du porno : consultation des films et des sites, échanges avec des producteurs, intégration des études sur le sujet, dialogues avec des consommateurs, des délinquants sexuels ou des étudiant-es. Lire la suite

Un nouveau livre, The End of Patriarchy : Radical Feminism for Men, force les progressistes et la gauche à rendre des comptes aux femmes

par ERNESTO AGUILAR, le 2 janvier 2017, sur le site FeministCurrent.com

Aujourd’hui éloignées dans le rétroviseur, les années (de Bill) Clinton ressemblent à un tournant pour la stratégie contemporaine des mouvements sociaux. À partir de cette génération de jeunes, la politique progressiste a été reformulée pour sembler plus « inclusive », sans toutefois résoudre certaines contradictions, au milieu d’une succession de pertes subies par la Maison Blanche. Cela a fonctionné, mais peut-être trop bien. Le pays conclut aujourd’hui huit ans d’une première présidence afro-américaine, avec une politique d’évitement des enjeux raciaux et de lourdes interventions militaires à l’étranger aussi bien que de déportations au pays. Et, comme le fait remarquer Jodi Dean dans The Communist Horizon, des idées comme la diversité et le dialogue font maintenant partie de la culture d’entreprise internationale. C’est un changement. Est-ce une victoire? Le verdict à ce titre demeure ambigu.

cover-end-of-patriarchyIl est impossible de lire le livre de Robert Jensen, The End of Patriarchy, sans tenir compte de cette incohérence politique. Désireux de présenter le féminisme radical aux hommes et au mouvement progressiste plus large, qui y sont souvent opposés (comme d’ailleurs le mouvement féministe général et les études de genre), Jensen rame à contre-courant d’une tendance vieille de 30 ans. En effet, dans son aspiration à simplifier à l’extrême son message, la politique de gauche, qu’elle soit modérée ou orthodoxe, a rejeté le féminisme radical au profit de toutes sortes de concepts à la mode et de postures affichées sur des médiaux sociaux comme Tumblr, pour faire aujourd’hui des choix individuels l’enjeu primordial. Néanmoins, Jensen, en progressiste de longue date dont les vues sur la justice raciale et de genre lui ont mis à dos une foule de gens, allant des anarchistes à l’extrême-droite, continue de soulever des questions complexes auxquelles le gauchisme n’a pas de réponse claire, même une génération et demie après les années Clinton.

Une partie de l’inconsistance du libéralisme a sans doute été d’assujettir les notions naissantes de choix et d’identité à un libertarisme radical qui s’avère subjectif à l’extrême, voire destructeur. À l’instar de l’incident Rachel Dolezal aux yeux des personnes de couleur, on constate qu’un résultat du laxisme dont font preuve entre eux les hommes de gauche est une idéologie qui privilégie le désir, le regard et les caprices des hommes, sans égard pour leur impact sur les femmes et les filles. Dans notre langage quotidien, cela se traduit par n’importe quel mec relou qui peut se dire « conscientisé » en milieu étudiant, à Donald Trump arguant qu’il est partisan du mariage homosexuel, ou à des avatars anonymes qui vantent le féminisme sur Twitter tout en affichant leur haine et pire encore pour les SWERFs et les TERFs. Lire la suite

Pirouettes rhétoriques, concepts farfelus, inversion des rôles, travestissement des réalités, et toujours le refus de l’égalité

[Voici plus bas, la recension du livre Contre le masculinisme, écrit par le collectif Stop masculinisme et dont j’avais déjà annoncé la sortie il y a quelques semaines.  Je remercie Didier Epsztajn pour tout son travail.]

Voici un petit livre qui mériterait une très large diffusion. Bien écrit, bien argumenté, sans simplisme ni évitement de questions dérangeantes, les auteur-e-s nous proposent des analyses et des contre-arguments face aux écrits et actions des masculinistes, de ceux qui refusent l’égalité réelle entre les êtres humains. Ces masculinistes entendent défendre leurs privilèges de dominants, les privilèges des hommes, dans les rapports sociaux de sexe (système de genre, patriarcat).couv Lire la suite