[Je reproduis ici un chapitre d’un ouvrage tout récent, publié aux éditions L’échappée : Ventres à louer, une critique féministe de la GPA, coordonné par Ana-Luana Stoicea-Deram et Marie-Josèphe Devillers.
Grand merci aux autrices et aux éditions L’échappée pour l’autorisation de reproduire ce chapitre]
L’exploitation reproductive, faussement appelée maternité de substitution, consiste à fragmenter et à briser le lien materno-filial, lien primordial de l’espèce humaine. Fracture qui est à l’origine de toutes les violations des droits humains à l’encontre des femmes et des nouveau-nés.
Bien que de plus en plus de personnes soient conscientes de la violation des droits des femmes dites « porteuses » et des nouveau-nés, il existe un aspect de cette pratique violente dont on parle peu et qui reste à l’arrière-plan : les conditions requises pour devenir mère porteuse, qui constituent une attaque contre les droits des femmes, en particulier leurs droits sexuels et reproductifs.
IMPOSER DES CRITÈRES STRICTS
L’industrie de l’exploitation reproductive se targue de sélectionner les candidates mères porteuses sur des critères très stricts, avec un examen complet et une évaluation scrupuleuse qui éliminent la majeure partie des candidates.
Les exigences en question varient sensiblement en fonction de la législation des pays où la pratique est légale ou autorisée : se situer dans une certaine tranche d’âge, bénéficier d’une condition physique satisfaisante, d’un rapport poids-taille adéquat, être exempte d’antécédents psychiatriques et pénaux, ne pas avoir de liens familiaux avec les parents commanditaires, disposer d’un certain niveau de revenus – même minime –, de préférence ne pas être mariée, ne pas avoir subi plus de X césariennes, ne pas consommer de tabac, de drogues et d’alcool[1]… Mais l’exigence universelle est que la candidate recrutée pour porter un enfant pour le compte de tiers ait eu au moins un enfant vivant et en bonne santé.
Ces critères de sélection tant vantés fluctuent en fonction de l’offre et de la demande. Aujourd’hui, en raison de la catastrophe économique provoquée par le covid et de l’aggravation de la féminisation de la pauvreté qui en découle, de plus en plus de femmes sont prêtes à s’y engager pour assurer leur subsistance et celle de leur famille. Leur imposer le respect des conditions requises en devient d’autant plus facile.
Ce premier filtre passé, les cliniques, les agences et les commanditaires eux-mêmes imposent à leur tour leurs propres exigences, qu’il s’agisse, par exemple, d’examens médico-légaux surprises pour vérifier que la femme enceinte s’est effectivement abstenue de fumer, de boire ou de consommer des drogues, qu’elle est une femme honorable, qu’elle est croyante et craint Dieu, qu’elle acceptera d’allaiter l’enfant jusqu’à 24 mois… Nous avons même rencontré récemment un cas pour le moins inquiétant : des parents commanditaires exigent de « leurs » porteuses qu’elles ne soient pas vaccinées contre le covid et qu’elles s’engagent à ne pas l’être pendant leur grossesse ; dans le cas contraire, elles risqueraient d’être contraintes à avorter.
DEUX POIDS, DEUX MESURES
En revanche, les conditions imposées aux clients sont minimes et sont même, quand elles existent, considérées comme discriminatoires. Par exemple, si la législation définit que seuls auront accès à la pratique les ressortissants ou les résidents, les couples hétérosexuels mariés ou les personnes appartenant à une tranche d’âge spécifique, on fait valoir que cela stigmatise les étrangers, les couples de même sexe, les célibataires, les personnes âgées. Mais ces exigences sont rapidement et facilement caduques, car la seule condition à laquelle les clients doivent réellement répondre est celle de disposer d’une capacité financière suffisante.
Ces contraintes sont si minimes que, parmi les célébrités ayant eu recours à la GPA, Miguel Bosé[2] consommait de l’ecstasy, de la marijuana et deux grammes de coke par jour, ce qu’il a admis publiquement ; Elton John reconnaît dans ses mémoires que la cocaïne a fait de lui un monstre ; et Michael Jackson, outre les allégations et témoignages d’abus sexuels sur des enfants, a été dépendant de drogues puissantes pendant au moins douze ans avant sa mort, comme l’a affirmé sa seconde épouse. Et pas besoin d’être célèbre : évoquons ce pédiatre espagnol qui a commandé un bébé en Ukraine à BioTexCom alors qu’il purgeait une peine de prison en Suède pour possession de matériel pédopornographique, viols et abus sexuels sur plus de cinquante enfants. C’est au père de l’inculpé que BioTexCom a remis l’enfant, sans aucune hésitation[3].
Ce double standard, si exigeant à l’égard des candidates à la GPA et si laxiste pour les acheteurs de bébés, est pervers. D’abord parce que ceux qui vont élever le nouveau-né ne sont pas tenus de présenter de quelconques garanties. Ensuite parce que ces critères n’ont qu’un seul but : créer une « caste » de femmes qui, pour avoir passé avec succès le contrôle de qualité de l’industrie d’exploitation et d’extraction de leur capacité reproductive, garantiront le « meilleur produit », un bébé en bonne santé.
UN HÉRITAGE DE L’ESCLAVAGE
Il s’agit donc d’un casting dégradant qui rappelle beaucoup les évaluations qui se pratiquaient lors des marchés aux esclaves pour garantir une acquisition avantageuse et rentable : on examinait la vue et les dents des captifs, on les faisait sauter, courir, agiter bras et jambes en tout sens, on les déshabillait et on scrutait leurs organes génitaux à la recherche des symptômes de la syphilis. Les femmes étaient davantage convoitées, car, en plus d’être en mesure d’effectuer autant de travail qu’un homme, elles présentaient une valeur supplémentaire, celle de fournir au maître de nouveaux esclaves par procréation, sans aucuns frais pour lui. Le Diario de la Marina, un journal de La Havane, publiait, le 3 février 1846, l’annonce suivante : « À vendre, une femme noire congolaise de 20 ans avec un bébé de 11 mois en bonne santé[4]. » Cette jeune esclave, mère d’un enfant en bonne santé, remplirait aujourd’hui les conditions requises pour entrer en GPA. La prétendue maternité de substitution est une héritière directe de l’esclavage par divers aspects : les critères de sélection, notamment et, en guise de chaînes, un régime alimentaire imposé, l’interdiction des relations sexuelles, la réclusion dans la phase finale de la grossesse, l’interdiction de voyager sans autorisation ou encore le transfert dans d’autres pays pour accoucher.
DES DROITS BAFOUÉS
Grâce aux féministes qui se sont battues pour nos droits, les femmes jouissent déjà – ou presque – dans certains pays de l’autonomie reproductive et du contrôle de leur sexualité. En Espagne, par exemple, la loi organique 2/2010, relative à la santé sexuelle et reproductive et à l’interruption volontaire de grossesse, reconnaît le droit à la maternité librement décidée. C’est-à-dire la liberté d’être mère – ou d’éviter de l’être – avec qui nous le voulons, aussi souvent que nous le voulons et quand nous le voulons. Aucune femme qui choisit de devenir mère ne peut faire l’objet d’une discrimination – surtout celles qui souffrent d’un handicap quel qu’il soit – ni être examinée, évaluée, sélectionnée comme apte ou écartée comme non apte. Toutes les femmes ont la liberté d’être mères ou d’éviter de l’être : les jeunes comme les moins jeunes, les nouvelles mères et celles qui l’ont déjà été, les femmes en détention ou libres, les handicapées physiques ou mentales et les autres, celles qui sont en bonne santé comme celles qui sont malades. Et en théorie seulement, les riches comme les pauvres, car nous savons que le frein à la maternité libre et désirée dans les pays occidentaux résulte de la féminisation de la pauvreté, de la précarité de l’emploi et du chômage des femmes, de l’absence de mesures leur permettant de concilier famille et travail, de la double journée de travail et du « care ». Dans les pays du Sud, cette même féminisation de la pauvreté, à laquelle s’ajoutent l’absence de méthodes contraceptives légales, gratuites et sûres ainsi que l’interdiction de l’avortement, fait que les femmes ont plus d’enfants que ce qu’elles souhaitent et qu’elles ne peuvent en nourrir. Nous continuons donc à nous battre pour cette liberté là où des méthodes coercitives et violentes sont utilisées pour forcer les femmes et les filles à devenir mères contre leur gré – fréquemment à la suite d’une agression sexuelle, souvent intrafamiliale –, et où l’avortement sélectif des fœtus féminins, la stérilisation forcée et le mariage précoce sont toujours pratiqués.
Et la GPA vient bafouer ces systèmes de protection partiellement et durement acquis d’une maternité librement choisie et protégée, en faisant voler en éclat la notion même de maternité, puisque la femme qui accouche d’un bébé pour autrui n’est pas considérée comme la mère de l’enfant et l’enfant n’est pas le sien. Elle est de fait, à la fois mère, par la biologie, et « non-mère » par imposition contractuelle. De la même façon, l’enfant est à la fois son enfant par la biologie et « son non-enfant ». Connaissez-vous un oxymore aussi cruel ?
UNE EXPLOITATION REPRODUCTIVE
Depuis peu, nous devons faire face à la pression de plus en plus aiguë et impérieuse de l’industrie de l’exploitation reproductive et de l’achat-vente de nouveau-nés pratiqué dans de nombreux pays ; nous devons faire face à une fausse préoccupation nataliste, qui trouve dans l’exploitation reproductive la solution au déclin démographique ; nous devons faire face à un concept particulier et fallacieux, la « diversité des familles », défendu par une partie non majoritaire mais très active de la communauté G&T (gays et transsexuels), qui cherche à subordonner à tout prix les droits des femmes à leur désir de se reproduire génétiquement. Parmi les adeptes de la doctrine queer, la dernière tendance est d’utiliser un langage faussement inclusif, même en ce qui concerne la formulation des critères sélectifs : il y est question de « personne en gestation » ou de « corps en gestation », et non de « femme en gestation » ou de « mère en gestation », afin d’effacer, précisément, les mots femme et mère. Mais dans le monde réel, cette novlangue n’a pas cours et on voit bien que ce sont des femmes, et uniquement des femmes, qui font l’objet d’une soigneuse sélection pour être utilisées comme mères porteuses. Le recrutement porte bien sur des femmes avec des ovaires, un utérus, un vagin et des glandes mammaires, des femmes non soumises à des traitements androgènes, non pas sur des hommes ayant effectué une transition, qui deviendraient alors des « hommes enceints » ou des « pères enceints ». Tout cela est évident, parce qu’en matière d’exploitation, personne n’a le moindre doute sur ce qu’est une femme et sur la fonction de ses organes sexuels et reproducteurs. Voilà pourquoi ces critères de sélection concernent exclusivement des femmes. C’est précisément ici que la réalité matérielle ne peut pas être remise en question.
Donc non, la gestation pour autrui, l’exploitation reproductive, ne nous rendra pas libres et n’a jamais été une revendication des femmes dans la lutte pour leur émancipation. Se battre pour nos droits sexuels et reproductifs ne signifie pas positionner les « meilleures » dans le classement des gestatrices les plus convoitées. La seule finalité des critères de sélection pour devenir mère porteuse est mercantile et lucrative, il s’agit de choisir celles qui sont potentiellement les plus rentables pour l’industrie. Il n’y a là aucun droit pour lequel nous devrions nous battre. Bien au contraire, ces critères de sélection nous ségréguent et nous rabaissent.
C’est pourquoi je pense qu’il est nécessaire d’en parler, parce qu’il s’agit d’une facette de l’exploitation reproductive négligée, dans une culture où il est considéré comme normal que les femmes en général, et les mères et les femmes enceintes en particulier, soient constamment scrutées et jugées à partir d’un regard patriarcal misogyne. Et dans l’industrie de l’exploitation reproductive, de l’achat et de la vente d’êtres humains nouveau-nés, nous et seulement nous, les femmes, sommes examinées, évaluées, sélectionnées et classées à des fins mercantiles, afin de garantir le meilleur produit, du point de vue et dans l’intérêt du capital.
Berta O. García
Berta O. García, militante féministe radicale, est une voix reconnue du mouvement abolitionniste hispanique qui dénonce le système prostitutionnel et l’exploitation reproductive. Elle est coprésidente de la Coalition internationale contre l’exploitation reproductive (CIAMS) et représentante, auprès de la CIAMS, du Réseau espagnol contre la maternité de substitution (RECAV).
[1] : Milenio, « Corte discutirá esta semana el tema de la renta de vientres », 30 juillet 2021 (milenio.com).
[2] : Acteur et chanteur espagnol populaire, commanditaire de deux jumeaux en 2011.
[3] : El Espanol, – 25 septembre 2018 [ https://www.elespanol.com/reportajes/20180925/pediatra-espanol-detenido-menores-vientre-alquiler-ucrania/340467142_0.html ].
[4] : La abolición de la esclavitud y el mundo hispano, [ https://www.ensayistas.org/antologia/XIXE/castelar/esclavitud/anuncios.htm ].