TRANS – L’identité de genre, et la nouvelle lutte pour les droits des femmes

[Tandis que les « transactivistes et leurs allié-es » souhaitent faire croire que l’ensemble des critiques de l’identité de genre sont issues de l’extrême droite, je reproduis plus bas la nouvelle préface d’Helen Joyce pour son livre Trans, quand l’idéologie rencontre la réalité. Pour rappel les critiques de l’identité de genre qui nous intéressent sont portées par divers courant de gauche, dont des militant-es de l’écologie radicale (Né(e)s dans la mauvaise société, d’Audrey A. & Nicolas Casaux ) ou encore des anarcha-féministes (Les leurres post-modernes contre la réalité sociale des femmes, de Vanina), avec évidement des variantes dans l’analyse. On est d’accord ou non avec elles, elles ont le mérite de permettre le débat, loin des invectives et des raccourcis. Helen Joyce, elle, est féministe.]

Version française de la nouvelle préface de l’essai d’Helen Joyce « Trans : Gender Identity and the new battle for women’s rights » (Onlyword, Royaume-Uni, 2022).

(Les droits de diffusion en France de ce livre sont disponibles auprès de l’éditeur Underword.)

Les arguments présentés dans ce livre sont fondés sur des faits qui étaient, jusqu’à récemment universellement acceptés : les êtres humains ne peuvent pas changer de sexe ; les hommes sont en moyenne beaucoup plus robustes que les femmes et ils commettent presque tous les crimes violents et sexuels. Pourtant, lors de la première édition cartonnée de mon livre en juillet 2021, j’ai fait l’objet d’attaques virulentes.

On m’a accusée de penser que les femmes étaient inférieures aux hommes, de qualifier tous les hommes de violeurs et d’appeler à l’élimination des personnes transgenres.

Mes arguments ont été comparés à du racisme et de l’homophobie.

J’ai été traitée de sectaire et de menteuse.

Je me suis rendu compte que l’une des raisons de ce retour de bâton était une compassion sélective. Les militants qui exprimaient une préoccupation sincère et raisonnable pour les revendications des personnes transidentifiées rejetaient en même temps le souhait des femmes d’être en sécurité, de conserver une vie privée et d’avoir droit à des conditions loyales de concurrence.

Contrairement aux militants transactivistes, j’éprouve de la compassion à la fois pour personnes qui se sentent en désaccord avec leur corps sexué et pour les personnes, principalement des femmes et des enfants,  qui subissent des préjudices lorsque le dimorphisme sexuel est nié.

J’ai d’abord été étonnée de voir que des jeunes femmes instruites comptaient parmi les plus ardents adeptes de cette nouvelle politique d’auto-identification sexuelle, alors qu’elle va clairement à l’encontre de leurs intérêts.

Un homme peut être gêné si une femme utilise un vestiaire masculin, mais la présence d’un homme dans une installation collective féminine peut inspirer la peur.

J’en suis venue à considérer cela comme la « croyance de luxe » de la génération montante – un credo adopté par les membres d’une élite pour rehausser leur statut réciproque, au détriment des moins fortunés. Si vous disposez d’un capital social et financier, vous pouvez acheter le moyen d’échapper à des problèmes – si un établissement que vous utilisez met en péril votre sécurité ou votre vie privée, vous pouvez  simplement acheter une place ailleurs. Ce sont les femmes plus pauvres et les plus âgées qui subissent les conséquences de l’auto-identification sexuelle imposée dans les prisons pour femmes, les abris et les refuges, les services hospitaliers et les maisons de retraite.

De plus, le soutien apparent de certaines femmes à l’auto-identification est trompeur, reflétant parfois la crainte des réactions que pourrait susciter une opposition explicite. Les quelques universitaires et journalistes masculins qui signent des propos critiques sur ce dossier me disent qu’ils ne reçoivent qu’une fraction de la haine dirigée contre leurs pairs féminins (et qu’on leur épargne les insultes sexualisées et les menaces de viol adressées à leurs consœurs).

Cette dynamique est renforcée par un âgisme, inextricablement entrelacé de misogynie – y compris de la misogynie intériorisée.

J’ai été étonnée par une jeune critique qui a qualifié le ton de mon livre « d’âpre » et de « malheureux ». Je me suis demandé si elle savait que les sexistes disent souvent qu’ils auraient écouté les femmes si celles-ci avaient formulé leurs revendications plus gentiment et poliment et si elle se rendait compte qu’une fois qu’elle ne sera plus jeune et belle, on dira la même chose d’elle.

Pour écrire ce livre, j’ai dû abandonner une grande partie de ce que je croyais savoir.

Je n’imaginais pas que si peu de gens qui s’engagent dans des débats en ligne se souciaient réellement des faits et de la logique, ni que tant de personnes placeraient une politique partisane au-dessus de toute notion de l’intérêt social. Je ne savais pas que l’autocensure était si fréquente.

J’ai reçu de nombreux courriels, toujours confidentiels, qui documentaient des problèmes juridiques, l’inscription à des listes noires et des pertes d’emploi.

Je me suis habituée à ce qu’on me dise « vous avez raison », suivi de « mais je n’ai pas le droit de le dire en public ».

Depuis la première publication de « TRANS », je suis devenue beaucoup plus critique à l’égard du journalisme, le domaine dans lequel je travaille, et du monde universitaire, que j’ai quitté pour lui. Tous deux sont censés être des institutions génératrices de sens qui nous révèlent et nous expliquent à nous-mêmes et à nos concitoyens.

Mais des pans entiers de l’une et de l’autre ont abandonné cette mission et promeuvent plutôt aujourd’hui des récits idéologiques coupés de la réalité.

J’ai perdu quelques amis, bien que leur nombre soit peu élevé, ce qui est réconfortant. La plupart des personnes dont j’appréciais l’opinion en sont venues soit à être d’accord avec moi, soit à accepter que l’on puisse en arriver à des conclusions différentes.

Et j’ai gagné de nouveaux amis. J’ai été touchée par les nombreuses personnes qui m’ont dit à quel point le livre avait compté pour elles.

Il s’agit notamment de femmes et d’hommes homosexuels qui estiment qu’ils auraient pu ressentir des pressions en faveur d’une transition médicale s’ils étaient nés seulement une ou deux décennies plus tard, de parents et d’enseignants avides d’information, et de jeunes femmes qui y trouvent le courage d’argumenter avec leurs pairs.

Un tout nouveau système de croyances bouleverse l’ordre juridique et sociétal, de l’éducation et du sport à la justice pénale et au droit du travail.

Ce système alimente et aggrave à la fois une polarisation politique.

Lorsqu’il s’agit d’un sujet d’une telle ampleur, on s’attend à voir des dizaines de journalistes et d’universitaires s’efforcer de trouver un nouvel angle d’analyse. Au lieu de cela, l’agressivité des attaques lancées contre quiconque ose critiquer le plus récent dogme de justice sociale m’a laissé le champ libre ainsi qu’à une poignée d’autres auteurs.

On me demande souvent pourquoi j’ai pris le risque d’écrire ce livre, et parfois même pourquoi j’ai pensé que j’étais en droit de le faire.

La question ne me touche pas de près. Je ne suis pas trans. Je n’ai pas d’enfant transidentifié. Je ne suis pas une détransitionniste, ni une athlète forcée de concourir contre des hommes se disant trans, ni une lesbienne cherchant une partenaire sur des sites de rencontres désormais surpeuplés d’hommes.

La réponse à ces deux questions est simple : j’ai écrit ce livre parce que, contrairement à beaucoup d’autres personnes, je pouvais le faire. Les parents d’enfants piégés dans la contagion sociale de l’identité sexuelle se taisent pour protéger leurs relations. Les détransitionnistes que je connais vivent avec des traumatismes. De nombreux critiques de cette idéologie ne peuvent rien dire sans risquer leur emploi.

Tous ces gens ont besoin de quelqu’un d’autre pour exprimer ce qui se passe. Et bien qu’il soit démoralisant d’entendre pour la centième fois les mêmes arguments désolants, et qu’il s’avère souvent dévastateur de constater les dommages encourus, j’ai été revigorée par la résurgence de la résurgence d’un militantisme féministe populaire au Royaume-Uni et par le fait de m’associer à une initiative cruciale.

« Ne doutez jamais qu’un petit groupe de personnes conscientes et engagées puisse changer le monde », a dit l’anthropologue Margaret Mead. « C’est même de cette manière que cela s’est toujours produit.  »

(Traduction: Martin Dufresne et première publication sur le blogue RÉVOLUTION FÉMINISTE)