[Dans l'attente d'un compte-rendu du livre d'Edouard Leport, voici déjà un extrait reproduit avec son aimable autorisation]
L’un des outils les plus dangereux et les plus efficaces pour neutraliser l’opposition des enfants et des mères aux demandes des pères est le « syndrome d’aliénation parentale », abrégé en SAP et parfois euphémisé en « aliénation parentale », « exclusion parentale » ou « emprise et manipulation mentale d’un parent sur l’enfant ».
Le « syndrome d’aliénation parentale » est décrit pour la première fois en 1985 par son inventeur, le psychiatre et psychanalyste étasunien Richard Gardner, comme « un trouble propre aux enfants, survenant quasi exclusivement dans les conflits de droit de garde, où un parent (habituellement la mère) conditionne l’enfant à haïr l’autre parent (habituellement le père). Les enfants se rangent habituellement du côté du parent qui se livre à ce conditionnement, en créant leur propre cabale contre le père[1]». Gardner a forgé cette définition à partir de pseudo-constats dont il ne donne jamais de preuves empiriques. Il affirme ainsi que 90 % des enfants dont les parents se disputent la résidence souffrent du syndrome d’aliénation parentale ; que la majorité des allégations de violences sexuelles sur enfant faites dans le cadre de conflits sur la garde des enfants sont fausses ; que 90 % des fausses allégations sont le fait des mères.
Il se propose alors de créer des outils pour déterminer si les accusations de violences sexuelles formulées par les enfants sont vraies ou fausses, tout en partant du principe qu’elles sont fausses à 90 % dans le contexte des séparations conjugales. Le fondement circulaire et autojustificatif du raisonnement est donc éclatant dès le départ.
Un autre aspect particulièrement problématique dans le raisonnement de Gardner est qu’il considère que les « paraphilies » (les comportements sexuels prédateurs[2]) des êtres humains sont des mécanismes naturels d’adaptation qui favorisent la procréation et assurent donc la survie de l’espèce humaine[3]. Il avance également que les femmes seraient disposées à être traitées violemment, voire violées par des hommes, car ce serait le prix à payer pour « recevoir du sperme » et donc participer à la procréation. En plus de la misogynie qui transpire dans ces propos, la dimension tautologique du raisonnement est encore une fois évidente : si l’inceste, le viol et les violences sexuelles en général ne sont pas considérés comme des sévices intolérables, alors leur dénonciation n’est ni indispensable ni légitime. Ces actes, supposés être dans la nature humaine, ne justifient pas, selon Gardner, le rejet de leur père par les enfants qui en sont victimes.
Contrairement à ce qu’affirment les partisans du syndrome d’aliénation parentale, et comme le montrent de nombreuses sources répertoriées par la juriste états-unienne Jennifer Hoult[4], il n’y a jamais de vagues de fausses accusations contre des pères, ni pendant les procédures de divorce ou de séparation ni en dehors. À cet égard, il est intéressant de noter que Gardner formule sa théorie du syndrome d’aliénation parentale dans les années 1980 aux États-Unis – une période où de très nombreuses accusations de violences sexuelles sur les enfants ont été médiatisées et se sont révélées vraies pour leur immense majorité. Les dénonciations d’incestes et de violences intrafamiliales avaient alors commencées à être prises au sérieux et les auteurs de ces actes avaient dû en assumer les conséquences devant la justice. La théorie de Gardner permettait de préserver l’impunité des hommes auteurs de ces violences sexuelles sur leurs enfants en accusant les mères d’avoir manipulé ces derniers pour les faire mentir[5].
C’est d’ailleurs l’aspect central de la théorie de Gardner. En effet, le syndrome d’aliénation parentale ne concernant que l’enfant et sa mère, les causes du rejet du père par l’enfant ne doivent jamais être cherchées dans le comportement du père. Ce dernier est d’ailleurs complètement absent de la théorie de l’aliénation parentale puisqu’il en est la victime implicite, ce qui focalise toute l’attention sur la mère et l’enfant. Dans la théorie de Gardner, les accusations de violences sexuelles sont considérées comme fausses par défaut et sont expliquées par différents phénomènes. D’une part, Gardner considère les enfants comme des pervers polymorphes, les mères comme des psychotiques prêtes à tout pour avoir la garde de leurs enfants, et les professionnelles de la petite enfance comme des hystériques misandres. Ce qui revient à dire que ni les un-es ni les autres ne sont dignes de confiance et qu’il ne faut donc pas prendre au sérieux leurs accusations. D’autre part, Gardner incrimine les programmes de prévention des violences sexuelles sur mineurs en ce qu’ils créeraient des fantasmes chez les enfants et les amèneraient à proférer de fausses accusations[6]. Enfin, il accuse l’ensemble de la société de créer de toutes pièces le problème des violences sexuelles en considérant la pédophilie et l’inceste comme des comportements prédateurs, inappropriés et criminels. Il n’envisage donc pas le fait que des hommes puissent réellement perpétrer ces violences extrêmes sur des enfants et juge de toutes façons ces actes comme étant non problématiques.
Pourtant, plusieurs constats s’imposent dans les études conduites sur le sujet, ‘notamment aux États-Unis. D’abord, il faut souligner qu’« un type de population en particulier se singularise en dénigrant violemment l’autre parent aux yeux des enfants : les agresseurs masculins. Il est bien établi que la disqualification active, par un agresseur, de l’autorité et des compétences parentales de sa conjointe est l’un des comportements les plus communs et les plus destructeurs dans les relations violentes[7]». Ensuite, il n’existe aucun cas, dans aucun pays, de vague de fausses accusations de violences sexuelles sur les enfants, que ce soit dans les familles unies, séparées ou en séparation. L’Association américaine de psychologie, qui fait référence dans le monde entier, a mis en place une commission spéciale sur le sujet et a démontré dès 1996 que « contrairement à une croyance répandue, les résultats des recherches menées suggèrent que les dénonciations de violences sexuelles sur enfants n’augmentent pas pendant le divorce et ne concernent en fait que 2 % à 3 % des cas[8]». Elle note également que dans le cadre des conflits sur la garde des enfants, moins de 10 % des cas comportent des allégations d’abus sexuels sur enfants, et elle souligne que ces accusations « ont autant de chances d’être confirmées que celles faites à d’autres moments[9]».
De plus, « [l]es pères agresseurs restent deux fois plus enclins à demander la résidence principale que les pères non-agresseurs, et s’ils perdent la garde, ils ont tendance à continuer de menacer et harceler les mères par des recours légaux. Les pères violents ont “trois fois plus de probabilités d’être en impayé de pension alimentaire et de s’engager dans des procédures légales agressives sur tous les aspects du divorce”[10]».
Pour ce qui est de la France, l’enquête Violences et rapports de genre (VIRAGE) de 2020 révèle que 1,5 % des femmes et 0,3 % des hommes interrogé-es ont déclaré avoir subi des viols ou des tentatives de viols dans leur famille ou leur entourage familial avant l’âge de 18 ans[11]. Elle donne également des précisions sur les auteur-es des violences en général et des violences sexuelles en particulier : « Les auteur-es des violences psychologiques et physiques se distinguent des auteur-es de violences sexuelles. Tandis que le père en premier lieu, la mère en second lieu, sont souvent mentionnés en cas de violences psychologiques et physiques, les hommes de la famille (pères, frères et demi-frères, oncles, grands-pères, autres hommes de la parenté, beaux-pères…) ou proches de la famille représentent la quasi-totalité des auteurs de violences sexuelles[12]. » En effet, 98 % des incesteurs sont des hommes[13]. Une autre étude indique qu’environ 10 % des Français-es ont été incesté-es pendant leur enfance et/ou leur adolescence[14]. Le phénomène est donc massif et presque exclusivement le fait d’hommes, dont une proportion importante de pères. Dans ce contexte, la promotion, la justification et l’utilisation du syndrome d’aliénation parentale sont criminelles en ce qu’elles participent à invisibiliser et nier la réalité de l’inceste, ainsi qu’à protéger les incesteurs et les auteurs de violences intrafamiliales en général. Pourtant toutes les associations du mouvement français pour les droits des pères font référence au syndrome d’aliénation parentale et légitiment l’« aliénation parentale » comme élément d’explication des situations vécues par les pères.
Si toutes les associations qui promeuvent et utilisent le syndrome d’aliénation parentale n’adhèrent pas à la vision de Gardner sur les paraphilies, il est impossible de dissocier la notion d’« aliénation parentale » des autres présupposés sur lesquels elle repose. Défendre cette théorie implique nécessairement de partir de l’idée que les pères n’ont rien à se reprocher et que les mères manipulent les enfants pour les pousser à accuser leurs pères de violences sexuelles.
En plus de ces fondements théoriques très problématiques, la théorie de l’aliénation parentale et son « syndrome » ne repose sur aucun élément empirique vérifiable. C’est d’ailleurs ce manque de scientificité qui est invoqué par les tribunaux étasuniens pour en rejeter l’utilisation[15]. L’Association américaine de psychiatrie[16], autorité internationale en charge de l’établissement du manuel des maladies mentales, a constamment rejeté les nombreuses demandes visant à faire reconnaître l’aliénation parentale comme un trouble mental, pointant invariablement le manque flagrant d’éléments qui permettraient de justifier une telle théorie[17]. Malgré cela, les partisans du SAP militent pour sa reconnaissance scientifique et tentent de légitimer son utilisation devant les tribunaux des différents pays.
En France, les associations du mouvement pour les droits des pères trouvent du soutien chez un magistrat comme Marc Juston, ancien président du tribunal de Tarascon, juge aux affaires familiales et aujourd’hui médiateur juridique. Ce dernier défend depuis plusieurs décennies les associations de pères, ainsi que la reconnaissance dans le droit français du syndrome d’aliénation parentale qu’il mobilise fréquemment[18]. La notion s’est donc diffusée progressivement dans l’appareil judiciaire et a connu une réception sans méfiance, voire enthousiaste de la part de certain-es magistrat-es. Face à cette diffusion importante, le ministère des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes, dirigé à l’époque par Laurence Rossignol, a inclus dans le cinquième plan de mobilisation et de lutte contre les violences faites aux femmes (2017-2019) une mesure visant à interdire l’utilisation du syndrome d’aliénation parentale et plus généralement le concept d’« aliénation parentale » dans les tribunaux français[19]. Cette proposition n’ayant jamais été appliquée, Nicole Belloubet, alors ministre de la Justice, a indiqué en juillet 2018 qu’une « note d’information a[vait] été mise en ligne sur le site intranet de la direction des affaires civiles et du sceau du ministère de la Justice pour informer les magistrats du caractère controversé et non reconnu du syndrome d’aliénation parentale […][20]». Cette position, plus timide qu’une interdiction stricte, est révélatrice à la fois des réticences de l’exécutif face à l’utilisation et à ladiffusion de cette théorie au sein de l’appareil judiciaire, mais aussi de la frilosité avec laquelle il agit à son sujet.
Pendant mon enquête, j’ai pu observer les effets concrets de l’utilisation du syndrome d’aliénation parentale dans les situations évoquées, ainsi que la façon dont les pères militants cadrent les discussions portant sur les oppositions des enfants au père. Ces questions ont été relativement fréquentes pendant les permanences d’accueil. Parmi les 23 pères avec qui j’ai effectué des entretiens, 12 m’ont expliqué être victime du syndrome d’aliénation parentale et, parmi eux, 8 pères ont mentionné des accusations de violences conjugales ou violences sexuelles sur leur enfant portées contre eux[21].
Par exemple, lors d’une permanence d’Un papa pour la vie à Cergnon[22], un père, déjà évoqué plus haut, explique qu’après son divorce, une résidence alternée a d’abord été mise en place pour les deux enfants du couple, puis qu’elle a été modifiée en résidence principale chez la mère et en droit de visite et d’hébergement « classique » pour le père. À la suite d’une plainte de la mère pour maltraitance de la part du père sur l’aîné des enfants, des visites médiatisées ont finalement été établies. Dans le cadre de cette mesure éducative, un suivi psychologique de l’aîné a aussi été mis en place et a abouti à un diagnostic puis au traitement médicamenteux de l’enfant. Un droit de visite et d’hébergement « classique » a ensuite été remis en place, mais les enfants refusent de l’appliquer. Jean-Claude et Julien déclarent immédiatement qu’il s’agit d’un cas de syndrome d’aliénation parentale et le père confirme en disant qu’il s’est déjà renseigné et que c’est exactement ça. Julien renchérit en affirmant que la mise en place d’un traitement médical sans l’accord des deux parents « c’est limite de la maltraitance ». L’accusation de maltraitance est donc retournée contre l’ex-conjointe et sert à la décrédibiliser afin de disqualifier les plaintes de l’enfant. Le syndrome d’aliénation parentale est invoqué pour expliquer le rejet des enfants à l’égard du père, sans que ne soient mis en question ses comportements, et ce alors même qu’il est accusé de maltraitance par un professionnel de la santé. Ici, comme dans les autres cas que j’ai observés, les accusations de violences sont d’emblée considérées comme fausses, infondées et venant d’une stratégie de l’ex-conjointe pour nuire au père, dont les actions ne sont jamais interrogées.
De même, Ludovic, militant d’Être, filiation, personnalité à Thérigny, fait l’objet de plusieurs plaintes, l’une pour violences conjugales et l’autre pour attouchements sexuels sur l’un de ses enfants. En entretien, il affirme que les déclarations des enfants sont des mensonges liés à la manipulation qu’ils subissent de la part de leur mère et de leur grand-mère maternelle.
Michaël, accusé lui aussi de violences conjugales par sa femme, ainsi que de violences sexuelles sur l’un de ses enfants, à la suite des déclarations de ce dernier à un pédopsychiatre et à un orthophoniste, plaide le syndrome de l’aliénation parentale devant le juge des enfants. Il considère que ces accusations sont mensongères et raconte, pendant l’entretien, le rôle joué par Mes deux parents et moi pour lui :
Et l’association justement, Mes deux parents et moi, me disait que les enfants on peut leur faire dire n’importe quoi. Même devant un pédopsychiatre, les enfants c’est... il suffit de... c’est une manipulation, leur mettre la pression, des peurs, des chantages... tu vois, « si tu fais pas ça, et puis papa ceci, papa cela ». Ça m’a bien aidé d’aller voir, ça m’a bien aidé. On voit qu’on n’est pas tout seul aussi, c’est ça aussi[23].
Il explicite ici le rôle qu’ont les associations dans la formulation des expériences vécues par les pères et dans le cadrage de leur appréciation quant à la place à accorder à la parole des enfants et aux intentions prêtées aux ex-conjointes.
Le syndrome d’aliénation parentale est également utilisé pour expliquer des situations dans lesquelles aucune violence n’est évoquée mais où les enfants ou l’ex- conjointe manifestent une opposition aux choix ou aux demandes du père. C’est le cas d’André, militant au sein d’Un papa pour la vie dans la ville de Thérigny, qui parle d’« aliénation parentale » pour décrire le doute exprimé par la mère à l’enfant à propos des capacités de son père à l’aider à faire ses devoirs. En retour, il déclare expliquer à son enfant qu’il doit se méfier de ce que dit sa mère. Il alimente donc les mêmes dynamiques qu’il dénonce chez son ex-conjointe, mais considère que c’est un moindre mal par rapport à l’affront qu’il a subi. Adrien, militant d’Être, filiation, personnalité à Thérigny, me raconte que l’un de ses trois enfants adolescents n’a pas envie de faire du sport en extérieur, alors que c’est une pratique importante pour lui. U interprète ces réticences par le syndrome d’aliénation parentale dont serait victime son fils et indique vouloir mettre en place une résidence alternée pour ne pas laisser les enfants trop longtemps en contact avec leur mère « justement parce qu’on voit bien qu’il y a un risque de manipulation de sa part, du fait de les avoir trop souvent[24] ». Il fait donc un lien direct et mécanique entre le temps de garde de la mère et les risques de manipulation des enfants par elle, n’accordant aucune capacité de réflexion propre à ses enfants, pourtant adolescents, et projetant sur son ex-conjointe des intentions nécessairement mauvaises.
C’est l’un des autres effets majeurs et dévastateurs de la théorie de l’« aliénation parentale » : le temps que la mère passe avec les enfants est toujours considéré comme suspect, car propice à la manipulation. Ainsi, au lieu de reconnaître que les mères assurent, dans la grande majorité des cas, la survie et le bien-être des enfants, et que cela demande des efforts, de l’énergie, du temps et de l’argent[25], il est suggéré qu’elles « profitent » de ce temps pour manipuler les enfants et les dresser contre le père. C’est en partie cette idée qui permet au mouvement pour les droits des pères de prétendre que les pères sont « éloignés » de leurs enfants (par d’autres qu’eux-mêmes) et de cacher le fait qu’une grande partie des hommes ne sont pas et ne souhaitent pas être le parent qui prend en charge la majorité (ni même la moitié) du travail domestique et parental nécessaire au bien-être affectif et matériel d’un enfant[26].
De plus, cette suspicion systématique envers les mères, leurs actions et leurs intentions met celles-ci dans une position particulièrement difficile dans les cas de violence masculine. En effet, l’utilisation du concept d’« aliénation parentale » a pour conséquence de pathologiser et de criminaliser les femmes qui exercent leurs droits légaux et tentent de se défendre contre leurs ex-maris. Elle les place dans une situation inextricable puisque « [d]ans les situations de violence conjugale, une femme refusant de collaborer avec son ex-conjoint dans les procédures de séparation [peut] se voir reprocher son manque de coopération et donc être perçue comme une mère aliénante[27]». Le résultat est d’empêcher les femmes d’agir pour se protéger ou protéger leurs enfants de leurs ex-conjoints. En dénonçant les violences du père elles sont accusées d’aliéner leurs enfants, et en se taisant elles se rendent coupables d’un défaut de prise en charge de leurs enfants et peuvent en perdre la garde. Les mères sont donc prises dans une situation où, quel que soit leur choix, leur comportement peut être jugé inapproprié et être sanctionné.
Ainsi, en plus d’invisibiliser la violence conjugale et la violence sexuelle exercées par les hommes dans certaines situations, le syndrome d’aliénation parentale et l’idéologie à laquelle il appartient neutralisent les possibilités d’action des femmes et des enfants contre les pères auteurs de violences. Son utilisation ne peut jamais être neutre ni se contenter de décrire une situation familiale particulière. Parler d’« aliénation parentale », c’est nécessairement légitimer les prémisses sur lesquelles repose cette notion et alimenter les dynamiques qui la sous-tendent. Mobiliser le syndrome d’aliénation parentale, c’est se cacher derrière un semblant de scientificité pour défendre les intérêts politiques des oppresseurs en niant les violences perpétrées par les hommes sur les femmes et les enfants.
Au regard de ces nouveaux éléments de réflexion, la déclaration de SOS papa citée au début du premier chapitre de ce livre, « Afin d’assurer le droit des enfants à être aimés et éduqués par leurs deux parents de manière égale et équitable, et afin de préserver le rôle essentiel de chacun des parents dans la famille, SOS papa revendique la résidence alternée comme principe de base suite à la séparation des parents[28]», prend un sens différent. Il devient clair que les droits des enfants, censés être défendus par l’association, sont en réalité un moyen pour défendre ceux des pères.
En somme, le mouvement pour les droits des pères contribue à « une négation générale et assez effrayante de l’idée que les enfants sont des personnes qui ont des besoins auxquels ils et elles sont incapables de répondre seul-es et qui peuvent entrer en conflit avec les besoins de leurs parents. L’idée est rarement présente, dans les propositions de ces groupes, qu’une parentalité responsable et adulte peut signifier le sacrifice de ses intérêts immédiats en tant qu’individu pour subvenir aux besoins de ses enfants[29] ». Dans ce mouvement, les besoins des enfants ne sont défendus et pris en compte que lorsqu’ils s’accordent avec les besoins, choix et désirs des hommes.
Edouard Leport
[1] Gardner R. A., The Parental Alienation Syndrome and the Differentiation between Fabricated and Genuine Child Sex Abuse, Cresskill, Creative Therapeutics, 1987, p. 67, ma traduction.
[2] II évoque notamment l’inceste, la pédophilie, le sadisme, la zoophilie, la nécrophilie (le sexe avec des mort-es) ou encore la coprophilie (le sexe avec des excréments).
[3] Hoult J„ «The evidentiary admissibility of parental alienation syndrome : Science, law, and policy», Children’s Legal Rights Journal26 (1), 2006, p. 18.
[4] Ibid.
[5] Ibid.
[6] Faller K. C., « The parental alienation syndrome : What is it and what data support it ? », Child Maltreatment 3 (2), 1998, p. 100-115.
[7] Meier J. S.. « A historical perspective on parental alienation syndrome and parental alienation », Journal of Child Custody 6 (3-4), 2009, p. 233, ma traduction.
[8] The American Psvchological Association, « Violence and the family : Report of the American Psychological Association Presidential Task Force on violence and the family », 1996, p. 12, ma traduction.
[9] Ibid.
[10] Hoult J., « The evidentiary admissibility of parental alienation syndrome », op. cit, p. 18, ma traduction.
[11] Voir VIRAGE, « Enquête sur les contextes et les conséquences des violences pour les femmes et les hommes », Paris, INED, 2020. En ligne : <https://virage.site.ined.fr/fichier/s_rubrique/29712/ plaquette2.result.virage.2020_violences.vie.entiere.fr.pdf>.
[12] Ibid. p. 2
[13] Dussy D., Le berceau des dominations : anthropologie de l’inceste, Paris, Pocket, [2013] 2021.
[14] Voir « 6,7 millions de victimes d’inceste en France : un scandale de santé publique ! », facealinceste.fr, 26 avril 2021. En ligne : <https://facealinceste.fr/blog/dossiers/6-7-millions-de-victimes-d- inceste-en-france-un-scandale-de-sante-publique>.
[15] Richard Gardner a publié ses premiers écrits à compte d’auteur, dans sa propre maison d’édition, dédiée exclusivement à ses ouvrages. Ses articles suivants ont paru dans des revues sans comité de lecture. Gardner pratique abondamment l’autoréférencement et l’autoplagiat, tout en prétendant que son concept fait l’objet d’un consensus dans la communauté scientifique et est reconnu par la jurisprudence étasunienne, ce qui est faux. Voir Hoult J., « The evidentiary admissibility of parental alienation syndrome : Science, law, and policy », op. cit, p. 12-16.
[16] American Psychiatry Association, une association très puissante, qu’il est difficile de considérer comme féministe. Elle est en charge de l’édition du DSM (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders) ouvrage de référence à l’échelle mondiale décrivant et classifiant les troubles mentaux, dans lequel Gardner et les défenseurs du SAP souhaitent le voir reconnu.
[17] Bernft W„ « Parental alienation disorder and DSM-V », The American Journal of Family Therapy36 (5), 2008, p. 349-366.
[18] Juston M., « Le juge aux affaires familiales face au syndrome d’aliénation parentale : comment le repérer et le gérer». Journal du droit des jeunes 307 (7), 2011, p. 19-27; Juston M„ «Se séparer en parents responsables », Empan 72 (4), 2008, p 93-98. Voir également sur son site ; <https://marc-juston-mediateur. com/2019/09/01/emprise-alienatlon-parentale>.
[19] « Action 58 », «Le sexisme tue aussi», 5e plan de mobilisation et de lutte contre toutes les violences faites aux femmes, 2017-2019, p. 41. Voir en ligne : <https://www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/ wp-content/uploads/2016/11/5e-plan-de-lutte-contre-toutes-les- violences-faites-aux-femmes.pdf>.
[20] « Réponse des ministres aux questions écrites adressées à la présidence du Sénat », Journal officiel, 12 juillet 2018.
[21] Je souligne ici que le fait que certains pères ne mentionnent pas spontanément d’accusation portée contre eux n’est pas une garantie qu’il n’en existe effectivement pas.
[22] « Observation n°12 », Un papa pour la vie-Cergnon, juin 2015.
[23] Entretien avec Michaël, bénéficiaire de Mes deux parents et moi, Cergnon, mai 2016.
[24] Entretien avec Adrien, militant d’Être, filiation, personnalité, Thérigny, novembre 2016.
[25] Ce qui n’empêche pas de vivre très positivement cette relation ni d’y trouver une grande satisfaction. Je ne souhaite pas invisibiliser les nombreux aspects positifs de la parentalité, mais j’insiste sur la matérialité de ce rapport social et ce qu’il implique pour les personnes qui l’investissent pleinement, volontairement ou non.
[26] Pour rappel, 12 % des enfants dont les parents divorcent ou se séparent en 2020 sont en résidence alternée et 3,5 % des pères demandent une résidence alternée alors que la mère s’y oppose. Les pères s’éloignent donc eux-mêmes de leurs enfants dans l’immense majorité des cas.
[27] Côté I. et Lapierre S., « L’aliénation parentale : un concept antiféministe ?», dans Bard C„ Blais M. et Dupuis-Déri F. (dir.), Antiféminismes et masculinismes d’hier et d’aujourd’hui, Paris, PUF, 2019, p. 372.
[28] Voir sur le site de l’association : <http://www.sospapa.net/presentation/17-propositions>.
[29] Kaye M. et TOLMIE J., «Discoursing dads. The rhetorical devices of fathers’ rights groups », op. cit„ p. 180, ma traduction.