Interview du Fou allié par Francine Sporenda : « Comment devenir un allié féministe »

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Les alliés du féminisme suscitent autant d’espoir et que de méfiance chez les féministes, le Fou allié s’explique

FS : Les alliés du féminisme ont assez mauvaise réputation dans le mouvement féministe. Pourquoi selon vous ?

FA : Je pense que les stéréotypes sexistes de genres appliqués aux hommes créent des individus sûrs de leur légitimité et de l’importance de leurs croyances ou de leurs avis. En groupe, cela nous donne une sensation de toute-puissance, sans doute légitimée par l’hyper représentation masculine des hommes dans tous les domaines de la société. Quel que soit notre champ de compétence, nous avons tendance à donner notre avis sur n’importe quel sujet. Je pense que dans le féminisme, nous nous comportons exactement de la même façon. Si on ajoute à cela les violences des hommes subies par les femmes, point central de leurs luttes, je comprends aisément que notre présence ne soit pas appréciée.

FS : Les féministes ont observé que certains alliés s’engagent dans des mouvements féministes mixtes pour des raisons qui ont peu à voir avec le soutien au féminisme. Qu’est-ce que viennent chercher ces hommes dans ces mouvements, pourquoi veulent-ils absolument y entrer ?

FA : Je pense que beaucoup d’hommes, de façon générale, ont du mal à accepter que certains domaines ne les concernent pas, et que les femmes puissent avancer sans eux. J’imagine qu’il y a une forme d’égocentrisme très forte là-dedans, voire une forme de manipulation et de violence à vouloir à tout prix d’essayer d’infiltrer ces milieux-là. J’avoue le voir d’un œil très négatif, c’est une démarche presque perverse, je vois ça comme une volonté de reprendre le pouvoir, les mouvements féministes représentent pour eux une sorte de défi, je ne sais pas si vous voyez ce que je veux dire…

FS : Je vois très bien ce que vous voulez dire : ils n’acceptent pas un « non » féminin, que des femmes leur disent : « vous n’avez pas le droit d’entrer », pour eux, c’est intolérable…

FA : Ils n’acceptent pas, c’est ça, cette impression qu’on les dépossède de leur pouvoir légitime à donner leur avis dans tous les domaines, y compris le féminisme, j’y vois une forme d’ego, voire de violence.  

FS : Etes-vous pour ou contre les mouvements féministes non-mixtes, et pourquoi ? Quels sont les problèmes que pose la présence d’hommes dans les groupes féministes ?

FA : La non-mixité me semble absolument essentielle sur les questions féministes. Un espace sain, sans agresseur potentiel, rassemblant des personnes qui ont un vécu commun en ce qui concerne les violences masculines, je pense qu’il faut le respecter absolument. Je suis persuadé que la présence des hommes engendre automatiquement une modification des comportements des femmes, de défense. S’en apercevoir, ne pas le prendre à cœur et le respecter paraît être la moindre des choses.

FS : Mais est-ce qu’il y a aussi une place, un rôle à jouer pour les mouvements mixtes, à côté des mouvements non-mixtes, et lequel ?

FA : Je pense que les mouvements mixtes ont un rôle à jouer, mais pas dans le féminisme, plutôt dans des mouvements plus larges de lutte contre le sexisme et la misogynie. Et c’est un rôle qui n’est pas forcément politique et d’envergure mais plutôt d’ordre quotidien et intra-personnel. A savoir, lutter contre les injures sexistes, même si elles se font sous forme d’humour, lutter contre le sexisme au quotidien, luttes qui ne relèvent pas seulement du féminisme mais sont des luttes sociétales importantes, pour rendre la société plus juste et non sexiste. Par rapport au féminisme spécifiquement, je ne suis pas sûr que la mixité soit souhaitable. Si on a une volonté d’agir, comme c’est le cas de certains hommes, faisons-le à l’échelle du sexisme et de la misogynie, et luttons contre ça au quotidien. En s’inspirant bien sûr des écrits des féministes, pour mieux comprendre et détricoter les attitudes sexistes qu’on peut encore avoir nous-mêmes.

FS : Quand j’ai commencé à militer dans des mouvements féministes en France, j’ai milité dans un mouvement mixte. Cette expérience m’a vraiment refroidie par rapport à la mixité. En reconnaissant toutefois la possibilité d’actions mixtes sur des points précis…

FA : A quels points vous pensez ?

FS : Des objectifs larges ne concernant pas seulement les féministes, des thèmes politiques, la lutte contre la montée des extrêmes-droites par exemple, mouvements qui sont très hostiles aux droits des femmes, la dérive autoritaire des gouvernements qui profitent de l’épidémie pour serrer la vis, ce genre de luttes… Pour des causes qui ont un appel plus large, on peut, pour des actions précises, se coordonner et agir en mixité. Je suis en plein débat avec moi-même là-dessus, donc il faut continuer à échanger…

FA : Je vous rejoins sur cette position-là.

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FS : Les hommes retirent de nombreux avantages du système patriarcal, il n’est donc pas dans leur intérêt de s’engager dans la lutte contre le sexisme. Pourquoi vous êtes-vous engagé dans cette lutte ?

FA : Je ne me suis jamais vraiment posé la question de ce que je pourrais perdre, car je suis né garçon. Je n’ai jamais appris à avoir peur de la précarité, de ne pas avoir les mêmes droits que les femmes, etc. Je n’ai jamais vu la lutte contre le sexisme comme mettant en danger mes avantages, mais plutôt comme une lutte juste à mener. Ce sont les violences sexuelles dénoncées en masse par le mouvement #metoo qui m’ont convaincu qu’il fallait agir en tant qu’homme. Plusieurs de mes amies ont, dans cette période, parlé publiquement sur les réseaux sociaux de leur viol. Ca a fait basculer la question des violences masculines, dans ma tête, du fait divers au fait social. Réaliser cela fut un déclencheur automatique.

FS : Est-ce que ça vous a amené aussi à prendre conscience de l’ampleur des violences masculines, qui est très sous-estimée dans la société et les médias, alors que pratiquement toutes les femmes en sont victimes, sous une forme ou une autre ? Est-ce que, à ce moment, vous avez vraiment réalisé que ces violences concernaient toutes les femmes, alors qu’avant vous n’en étiez pas conscient ?

FA : Je pense que tout était déjà sous mes yeux, j’avais déjà tout pour le savoir avant, et j’ai refusé de le voir, pour pas mal de raisons j’imagine, parce que ça m’arrangeait, probablement. Et le fait que des personnes proches de moi témoignent en quantité, une dizaine de personnes, là je ne pouvais plus faire autrement que de réaliser. Dans ma tête, c’est passé du fait divers au fait social, le viol est devenu un fait de société.

FS : Quelles formes peut prendre cette action des alliés ? Les féministes pensent généralement que le rôle des alliés dans cette lutte est essentiellement d’être un vecteur, et une validation, des revendications et analyses féministes en direction des hommes, d’identifier leurs comportements sexistes, et d’attirer leur attention sur ces comportements. Qu’en pensez-vous ?

FA : Je ne me revendique plus des mouvements féministes, mais de la lutte anti-sexiste. Je crois que se positionner en « allié » est prétentieux, comme si le féminisme avait besoin de notre appui pour avancer. Je rejoins donc largement les rôles que vous venez de citer, qui me semblent déjà des missions quotidiennes importantes.

FS : Est-ce que vous assumez ce rôle de pédagogie féministe envers les autres hommes, et comment ? Pouvez-vous donner des exemples de ce que vous avez fait concrètement dans ce sens, par exemple quand vous avez noté des réactions sexistes chez d’autres hommes ?

FA : Là actuellement, j’enseigne dans une école d’ostéopathie, c’est ma profession, et on a créé un bureau du sexisme par exemple. Je suis un peu déçu parce qu’il y a peu d’hommes qui s’y intéressent. C’est une profession où il y a beaucoup de prédateurs sexuels, il y a beaucoup d’agressions et de sexisme dans les professions médicales et paramédicales, dans les écoles, d’autant qu’en ostéopathie, les étudiants pratiquent en sous-vêtements. Donc j’ai créé un bureau du sexisme dans cette école dans laquelle je travaille, dans lequel on affiche des informations sur ce que peuvent être les différentes formes d’agression, les remarques sexistes sur le corps, etc. Et il y a le foyer qui au départ était censé s’adresser aux hommes uniquement, et voulait aborder le fait qu’on est des absents des luttes contre le sexisme dans la société. Alors on est toujours tous d’accord pour dire que ce n’est pas bien, pour dire que c’est problématique, on a tous des femmes dans notre entourage qui sont victimes d’agressions sexistes, voire d’agressions sexuelles, ou pire. Concrètement, c’est très bien d’en parler et d’être d’accord avec ça, mais maintenant il faut qu’on change. L’objectif de ce foyer, c’était de rassembler des hommes et d’échanger entre nous là-dessus, et à ma surprise, ça n’a rassemblé finalement que des femmes. Les hommes sont absents de ça aussi, et c’est décevant.

FS : Des féministes notent que pas mal d’alliés ont des positions théoriques féministes impeccables, mais que leurs comportements (par exemple en ce qui concerne le partage des tâches ménagères et familiales) ne suivent pas. Qu’en pensez-vous ?

FA : Quand je me suis engagé dans ce mouvement, j’ai évidemment pensé à mon comportement au quotidien. Je n’avais aucun souci de partage des tâches ménagères ou familiales, vivant seul depuis jeune, mais il a fallu repenser mon rapport aux femmes, les réflexes sexistes que je pouvais avoir, que j’ai parfois encore, les pensées sexistes à chasser, comprendre pourquoi elles me colonisaient encore, etc. Il me semble que valider les théories féministes peut avoir un effet de valorisation sociale important. Il ne faut pas se laisser piéger par cela et agir pour ce que l’on croit juste, sans se poser la question de la validation de l’autre. En travaillant honnêtement, on ne peut pas faire l’économie d’un travail en profondeur sur soi.

FS : Un certain discours libfem très consensuel prétend que le féminisme serait autant au bénéfice des hommes que des femmes, que ceux-ci auraient autant à y gagner qu’elles, parce qu’une société moins crispée sur la conformité aux identités de genre leur permettrait d’exprimer leurs sentiments et leur éviterait d’avoir à constamment réaffirmer leur virilité. Qu’en pensez-vous ?

FA : Evidemment qu’être un homme a ses challenges, mais je trouve ces propos déplacés. Non pas que la virilité ne soit pas un vrai problème, au contraire, et nous libérer de la virilité nous fera du bien à toutes et à tous. Mais comparer les oppressions systémiques subies par les femmes dans les domaines familiaux, amoureux, sexuels, professionnels, médicaux, les risques de viol, de pauvreté, de féminicides, d’agressions, avec les contraintes de la virilité, ce n’est pas équitable. Ca ressemble de l’extérieur à une forme de minimisation des violences masculines contre les femmes, ou en tout cas à une mise en balance avec un sujet de poids tellement inférieur, comme si les deux étaient comparables.

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FS : C’est par la socialisation genrée mise en œuvre dès la naissance qu’on apprend aux filles et aux garçons à se comporter conformément aux normes de genre. Comment déconstruire cette socialisation genrée, d’autant plus difficile à déconstruire qu’elle est inconsciente ? Qu’est-ce que vous faites personnellement pour vous déconstruire ?

FA : Ce sont mes lectures féministes radicales qui m’aident à détecter les domaines dans lesquels il faut que je me déconstruise, et les remarques fréquentes de vos sœurs féministes qui corrigent mon langage régulièrement, et donc ma pensée. Il faut que nous, les hommes, continuions à nous exprimer en direction des hommes. C’est terrible à dire, aberrant même, mais la plupart d’entre eux écouteront plus facilement un homme qui parle de sexisme plutôt qu’une femme… Il faut soigner notre attitude au quotidien, donner le même temps de parole aux filles qu’aux garçons en classe, reprendre les garçons qui coupent, être un exemple pour les hommes qui nous entourent, surveiller notre langage, etc. Ne jamais laisser passer d’agression, physique ou verbale, reprendre et corriger les personnes qui nous entourent, sans cesse, et donner l’exemple.

FS : Comment les hommes que vous fréquentez reçoivent-ils votre engagement pro-féministe ?

FA : Dans ma famille et mes amis nous échangeons souvent autour de ces choses-là, et mes engagements sont encouragés. Dans ma vie professionnelle, ça laisse indifférent.

https://revolutionfeministe.wordpress.com/2021/06/05/comment-devenir-un-allie-feministe/