Un prédateur sexuel et futur médecin ?

Mesdames et Messieurs, 
Nous souhaitons par la présente vous alerter sur une situation extrêmement préoccupante au sein de l’université de médecine de Limoges.

Celle-ci accueille depuis la rentrée 2021 un étudiant originaire de Tours, accusé de viol et d’agressions sexuelles, qui a depuis été condamné à deux reprises.

Il poursuit tout de même ses études parmi les autres étudiants en 6ème année de l’université, et passe au mois de mai 2024 le concours de l’internat.

Les faits 
En 2021, à la suite du dépôt de cinq plaintes pour viol et agression sexuelle, un étudiant en médecine de l’université de Tours est interdit de territoire en Indre et Loire, et après 2 mois de détention provisoire, placé sous contrôle judiciaire. 

Deux des plaignantes sont mineures au moment des faits, trois sont des camarades de promotion. Les agressions se sont déroulées sur une période s’étendant de 2013 à 2020. 

Les parents de l’accusé sont tous les deux médecins à Tours, et d’anciens camarades de fac du Doyen de ladite université.

Ce dernier n’engage aucune mesure disciplinaire à l’encontre du mis en cause, ce qui lui sera reproché par l’Inspection Générale de l’Education, du Sport et de la Recherche (IGESR), dans un rapport d’enquête en 2022. 

Pour autant, aucune sanction n’est prise à l’issue de la publication du rapport : ni de manière rétroactive envers l’étudiant, ni envers le Doyen pour sa gestion contestable de l’affaire, qui avait éveillé à l’époque des soupçons de complaisance envers l’étudiant et ses parents médecins.

L’étudiant peut alors poursuivre ses études de médecine

Il est accueilli à l’université de Limoges, le Doyen de celle-ci justifiant a posteriori sa décision par le principe de la présomption d’innocence, plutôt que celui de précaution. 

Ce choix fera l’objet de nombreuses interrogations de la part des étudiants.

La Présidente de l’université et la direction des affaires médicales du centre hospitalo-universitaire (CHU) affirment ne pas avoir été informées des accusations pesant contre le prévenu. 

Les étudiants de médecine et de pharmacie, qui partagent les même locaux, sont tenus dans l’ignorance des charges pesant sur le nouvel arrivé.

Le tourangeau entame sa nouvelle vie étudiante à Limoges par un stage de 6 semaines en … gynécologie. 

Il partage pendant plus de 2 ans le quotidien des autres étudiants en médecine, alternant cours magistraux à la fac et stages et nuits de garde à l’hôpital, notamment aux urgences pédiatriques et gynécologiques. 

L’unique aménagement mis en place par le CHU concerne les chambres de garde : jusqu’ici prévues pour être partagées par deux étudiants, elles deviennent individuelles en 2022.

En décembre 2023 à Tours un premier procès au tribunal des enfants, concernant une agression sexuelle commise par l’accusé alors qu’il était mineur, aboutit à une condamnation à 4 mois de prison avec sursis. 

Cette condamnation n’est suivie d’aucune conséquence à l’hôpital et à l’université de Limoges.

En février 2024, un second procès a lieu au tribunal judiciaire de Tours, à la suite des accusations de trois jeunes femmes pour des faits datant de 2017, 2018 et 2020. 

Une des plaignantes accepte la correctionnalisation de sa plainte pour viol en agression sexuelle, permettant un jugement plus rapide devant le tribunal correctionnel plutôt qu’aux Assises.

Pour la première fois, l’homme mis en cause reconnait les faitsqu’il avait nié pendant quatre ans. Il explique avoir agi sous l’emprise de l’alcool dans le contexte de soirées étudiantes. 

Interpellée par la répétition des actes, la Procureure réclame une peine de prison ferme.

Le tribunal condamne en définitive l’étudiant en médecine à 5 ans de prison avec sursis, une inscription au FIJAIS (Fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes) et une obligation de soins. 

La Procureure, estimant que cette sanction n’est pas assez sévère, interjette appel. Un nouveau procès est prévu pour la fin de l’année 2024 à Orléans.

A la suite du jugement, l’université de Limoges annonce à la presse qu’elle entame une procédure disciplinaire, sans toutefois préciser dans quels délais. Le CHU de Limoges exclut alors l’étudiant de stage à titre conservatoire.

Ce dernier et son avocat déposent une demande en référé auprès du tribunal administratif de Limoges, pour suspendre la décision du CHU. 

D’après eux, il serait urgent que le délinquant sexuel retourne en stage, afin de valider son année et accéder au concours de l’internat. 

A l’issue de celui-ci, il pourrait devenir dès la rentrée prochaine interne dans n’importe lequel des CHU de France métropolitaine et ultramarine

Ils arguent également que les faits pour lesquels l’étudiant a été condamné se sont déroulés dans le cadre de soirées festives privées, donc sans rapport avec le travail hospitalier. 

On peut noter que ce dernier argument avait d’ailleurs été utilisé par le Doyen de l’université de Limoges auprès de ses étudiants, pour justifier l’attribution à l’étudiant de gardes aux urgences gynécologiques et pédiatriques. Nous sommes priés de distinguer l’agresseur du soignant

Le juge des référés ordonne la suspension de l’exclusion de stage, et un retour à l’hôpital du délinquant sexuel sous 48h : le mardi 16 avril 2024, il est de retour au CHU, à la stupéfaction des autres étudiants. Ces derniers témoignent se sentir « en danger, bafoués, et sidérés » face à l’impunité de leur collègue.

A ce jour et dans l’attente de l’éventuelle commission disciplinaire, l’étudiant multirécidiviste peut se présenter à ses examens nationaux classants du mois de mai.

L’Ordre des médecins 
Les étudiants limougeauds ont contacté l’Ordre des médecins à plusieurs reprises, tant au niveau national, régional que départemental, pour tenter d’obtenir des explications : peut-on, oui ou non, s’inscrire à l’Ordre à l’issue des études de médecine quand on est condamné à de la prison avec sursis pour agression sexuelle, et inscris au FIJAIS ? 

Les réponses reçues sont pour le moins inquiétantes : 

  • « Il faut savoir que les condamnations pénales ne sont pas systématiquement transmises à l’Ordre et il est donc difficile pour nous d’agir, lorsque nous manquons d’information. » Ordre régional de Franche Comté
  • « Oui, l’article R4112-2 du code de la santé publique, qui mentionne les conditions nécessaires de moralité et d’indépendance du candidat, laisse une place à l’interprétation. » Ordre régional d’Ile de France
  • « l’Ordre à ce jour n’est pas autorisé à consulter le FIJAIS, mais une circulaire devrait paraitre prochainement à ce sujet. » Ordre régional Val de Loire 
  • « Si un médecin fait l’objet d’un refus d’inscription dans un département, il peut solliciter son inscription dans un autre. » Ordre départemental du Nord.

Le contexte des violences sexuelles et sexistes dans le milieu médical
Cette situation ubuesque à l’université de Limoges n’est pas un cas isolé, elle s’inclut dans la problématique plus vaste des violences sexuelles et sexistes (VSS) dans le milieu médical, dénoncées ces dernières années
.

L’Association Nationale des Etudiants en Médecine de France (ANEMF) a publié en 2021 les résultats d’une enquête sur les VSS en médecine, menée auprès de 4500 étudiants. Les conclusions sont sinistres, tant dans le cadre hospitalier qu’universitaire.

A l’hôpital : 

  • 38% des étudiantes ont subi du harcèlement sexuel, dans 9 cas sur 10 de la part de leur supérieur hiérarchique 
  • 5% ont été victimes d’agression sexuelle
  • 38% ne signalent pas ces évènements, notamment par peur des retombées négatives et des conséquences sur leur future carrière 

Au sein des universités de médecine : 

  • 32% des étudiantes ont été victimes de harcèlement sexuel de la part d’autres étudiants ou du personnel 
  • 19% des femmes ont subi une agression sexuelle : 9 fois sur 10 lors de soirées étudiantes, 9 fois sur 10 l’agresseur est un étudiant 
  • 3,4% des étudiantes ont été violées 
  • 89% des étudiants ne signalent pas les agressions, notamment par peur des retombées négatives

La défense de l’étudiant de Limoges, arguant que les actes commis lors de soirées étudiantes ne préjugent pas de sa moralité en situation professionnelle, se heurte à la réalité de ces chiffres

Les étudiants n’agressent-ils qu’en soirées, et les médecins uniquement à l’hôpital ?

Les médecins deviennent-ils spontanément des prédateurs à 40 ans, ou aurait-il été possible d’identifier ces personnes dès l’université et les empêcher d’exercer et prévenir ainsi de nouvelles agressions ?

Si la justice, l’Ordre des médecins ou la commission disciplinaire ne statuent pas sur une interdiction d’exercer la médecine, l’agresseur sexuel sera interne dès la rentrée. 

Sous la responsabilité d’un médecin sénior à l’hôpital, il pourra recevoir seul des patient(e)s en consultation. 

Le rapport médecin-malade, bien que supposément basé sur l’écoute et l’empathie, n’en oppose pas moins un « sachant » et un « naïf », un malade vulnérable et un guérisseur potentiellement perçu comme tout puissant. Il peut facilement évoluer vers une relation d’emprise. 

Nous demandons quotidiennement à nos patients de se déshabiller. Nous les touchons, les palpons, connaissons les détails les plus intimes de leur quotidien.  

Nous n’avons pas le droit de profiter de leur confiance quand ils se tournent vers nous. 

Le respect du consentement et l’éthique doivent rester le cœur de la profession médicale, et ne peuvent pas être mis en doute chez ceux qui l’exercent. 

Dans le cadre des mouvements #Metoo hôpital et #Metoo médecine, nous assistons depuis plusieurs semaines à un déferlement de témoignages sur les réseaux sociaux. 

Ils mettent enfin en lumière l’étendue des violences commises dans cet environnement, dont sont victimes les soignants, mais aussi les patients.

On comprend à la lecture de ces récits l’impunité des agresseurs, l’esprit de corps de collègues prêts à tout pour s’entre-protéger et la crainte des victimes qui en résulte et alimente l’omerta morbide qui règne dans le milieu. 

La faculté de médecine et le CHU de Limoges ne sont pas épargnés par cette loi du silence, et aucune communication officielle n’est délivrée aux étudiants et soignants concernant cette affaire, malgré leurs demandes répétées.

L’hôpital est une structure extrêmement rigide, et verticalement hiérarchisée. 

En haut de la pyramide, on trouve parfois des chefs tout-puissants, et à l’autre extrémité des étudiants qui osent rarement s’opposer à leur autorité, entrave considérablement la libération de la parole de ces derniers. 

Ces médecins sont également leurs professeurs et les doyens de leurs universités, ce qui intensifie ce rapport de domination.

Les étudiants de Limoges décrivent une certaine réticence, voire une franche appréhension, à s’opposer à la politique du silence du Doyen et de l’administration.

Nos demandes et revendications 
Dans ce contexte, et au vu de la gravité des faits imputés à l’étudiant multirécidiviste de l’université de Limoges, nous nous associons pour vous exprimer notre profonde inquiétude et vous partager nos interrogations, pour lesquelles nous exigeons des réponses précises :

  • Nous demandons que le conseil disciplinaire annoncé ait lieu en urgence et ce avant que le mis en cause puisse passer ses examens et continuer ses stages et par conséquence sa carrière de soignant.
  • Nous exigeons qu’un protocole spécifique soit mise en place dès la rentrée 2024 au sein de l’Université de Limoges, afin de prévenir de nouvelles affaires d’agressions.
  • Nous demandons que l’Ordre des médecins précise sa position au sujet de cet étudiant. Et qu’il fournisse un document clair sur les modalités d’inscription à l’Ordre et la gestion des plaintes concernant les VSS.
  • Nous exigeons qu’une enquête soit ouverte à l’Université de Limoges pour éclaircir les conditions du transfert de l’étudiant, et évaluer les mesures prises ou non pour s’assurer de la sécurité des étudiantes, des patientes et du personnel soignant.

En effet nous avons besoin de recevoir des explications claires aux questions suivantes : 

  • Comment justifier qu’un individu soupçonné de multiples agressions sexuelles et viol en 2020, ait effectué un stage en gynécologie en 2021 ? 
  • Pourquoi cet étudiant condamné à deux reprises est-il actuellement en stage dans un CHU, au contact de patientes, et prépare le concours de l’internat en vue de devenir médecin ?
  • Quelles mesures ont été prises pour remédier à une éventuelle récidive à Limoges ?

Nous ne doutons pas que vous partagez notre colère et notre incompréhension face à cette situation.

Il apparait que plus de mesures ont été prises pour permettre à l’étudiant de poursuivre ses études que dans l’objectif de défendre les victimes.

Au-delà de la question judiciaire, nous nous rappelons que derrière une agression sexuelle se trouvent la peur, la sidération, l’effondrement, l’angoisse, la culpabilité, la honte, le doute, les reviviscences, le dégoût, la colère, la destruction de l’estime de soi, la défiance, la solitude

Des dommages invisibles et des existences à tenter de reconstruire. 

https://www.change.org/p/les-prédateurs-sexuels-ne-doivent-pas-devenir-médecins