Comment les mères sont détruites quand elles essaient de protéger leurs enfants

Par Phyllis Chesler, The Huffington Post, 19/05/2016

Assommée de coups, étranglée jusqu’à perdre connaissance, encore et encore, les os brisés plusieurs fois consécutives, Holly Collins, une mère états-unienne, n’a trouvé ni justice ni protection au Minnesota. Elle a perdu la garde des deux enfants qu’elle essayait de protéger si difficilement de la rage et des coups de leur père. Quand elle a compris que ses enfants ne survivraient pas une semaine de plus – ou même un jour de plus – elle s’est enfuie avec eux et a obtenu l’asile politique en Hollande. Un documentaire émouvant raconte son histoire.

Collins fut la première maman états-unienne, et la seule pour l’instant, à avoir fait cela.

D’autres mères « protectrices » passent à l’action, par exemple la Dre Elizabeth Morgan qui a réussi à faire s’échapper ses parents et sa fille vers la Nouvelle-Zélande, pays avec lequel les États-Unis n’ont pas d’accords d’extradition. La Dre Morgan est restée emprisonnée à Washington pendant plus d’un an parce qu’elle refusait de révéler où se trouvait sa fille. J’ai personnellement interrogé les psychiatres s’occupant de l’enfant ; ils m’ont assurée que, pour eux, sa fille était bel et bien sexuellement agressée par son père.

Ces affaires ont eu lieu à la fin des années 80 et au milieu des années 90. Cela peut-il encore arriver aujourd’hui ?

Selon les mères « protectrices » et leurs soutiens légaux et médicaux, entendu.e.s durant la Conférence sur les décisions de garde d’enfants pour les mères battues – en mai 1996 à Albany (New York) – ces situations critiques vont en s’aggravant. Si une mère battue se trouve aux prises avec un conflit pour la garde d’un.e enfant, son avocat doit, stratégiquement, lui conseiller de ne pas parler de la violence familiale ; si elle le fait, elle court tous les risques d’en perdre la garde. Et de surcroît, si elle sait que son enfant est également psychologiquement terrorisé.e, battu.e, et peut-être sexuellement agressé.e, il est quasi certain qu’elle en perdra la garde si elle ose en parler. Elle sera perçue comme une « mère aliénante », une menteuse folle et rancunière.

Analysons cette situation inextricable, cette double voire triple ou quadruple contrainte.

La réalisatrice Rachel Meyrick travaille actuellement à un documentaire sur des mères états-uniennes battues qui ont perdu la garde de leurs enfants. Les témoignages recueillis sont sidérants et fendent le cœur. La bande-annonce de ce film est visible ici et, si vous êtes touché.e et impressionné.e autant que je l’ai été, vous pouvez soutenir ses efforts à terminer le film suffisamment vite pour qu’il puisse intégrer à temps la sélection du prochain Festival du film Sundance.

À la Conférence sur les décisions de garde d’enfants pour les mères battues, nous avons beaucoup appris des mères protectrices battues et de leurs soutiens. Ces mères sont courageuses, fortes, frustrées, scandalisées et découragées par la lenteur glaciale (si ce n’est la stagnation) de leur dossier et par l’absence continuelle de justice pour les mères battues et leurs enfants. Certaines mères ont grandi dans la pauvreté, d’autres dans le confort ; certaines ont été victimes d’inceste ou ont subi une violence énorme au cours de leur enfance. Certaines ont épousé des hommes « plutôt gentils » qui se sont avérés être des sociopathes sadiques et manipulateurs.

Beaucoup de ces mères souffrent de symptômes complexes de stress post-traumatique et présentent effectivement « des handicaps » ou des blessures dues à la fois à leur vécu au sein d’un mariage violent et aux brimades de tribunaux misogynes. Acculées, elle ne sont pas toujours leur meilleure représentante. Imaginez comment une mère protectrice normale peut réagir devant des accusations cinglantes voulant que ce soit elle le parent agresseur, elle qui diffamerait l’agresseur et ne mériterait pas la garde de l’enfant qu’elle a élevé.e et qu’elle essaie de protéger.

Selon l’avocat du New Jersey Toby Kleinman, soutien de longue date des mères et des enfants, même après que les toutes premières lois sur la violence domestique aient été actées aux États-Unis, beaucoup de juges « les ont abordées avec des préjugés. Ils pensaient parfois qu’une épouse provoquait la violence et que la violence provoquée était acceptable. Ils pensaient que les hommes violents pouvaient changer et que les juges étaient en mesure de reconnaître quels hommes étaient violents. Ils pensaient qu’une ordonnance restrictive temporaire ou qu’un atelier de gestion de la colère résoudrait le problème. Surtout, ils refusaient de croire les femmes. »

Curieusement, les hommes violents utilisèrent les tribunaux pour exercer encore plus de contrôle et d’intimidation sur les épouses. Avec l’aide des groupes des Droits des Pères, ils ont été les fers de lance et les appuis financiers d’un mouvement d’imposition de la garde partagée, en soutenant que les pères (violents) avaient droit à la parentalité et que les femmes « aliénaient » leurs enfants.

Kleinman explique : « À l’époque, les tribunaux ne comprenaient pas qu’un parent agresseur, généralement un homme, pouvait s’habiller en costume trois pièces ; beaucoup ne ressemblaient pas à des criminels. Ils portaient cravate et veston et se montraient souvent charmants. »

A mon avis, c’est toujours le cas.

Selon Doreen Ludwig, dans son livre Motherless America [L’Amérique sans mère – non traduit], le gouvernement a subventionné des « programmes de paternité » dans l’idée malencontreuse de limiter l’accès des mères aux mesures d’assistance sociale. Pour résumer, si un père était prêt à subvenir aux besoins d’un enfant (ou en faisait la promesse), même si ce père agressait l’enfant et sa mère, cet aboutissement était tenu pour favorable à l’enfant, tout comme la « médiation familiale », qui assurait un droit de veto aux pères.  « Certains pères violents savent que la garde des enfants leur procure un ascendant financier… (Quant aux femmes, elles pensent qu’un.e juge les protégera. Mais pour une femme dont le mari a de l’argent, rien n’est plus loin de la vérité). »

L’avocat et éducateur Barry Goldstein a des solutions. Il suggère que soit adopté « The Safe Child Act » [Loi de Protection de l’Enfant], un projet de loi visant à complètement réformer les pratiques dépassées des tribunaux en matière de garde, pour dépasser la notion surannée de l’« intérêt supérieur de l’enfant ».

Pourquoi cela ? Parce que traditionnellement, l’intérêt supérieur de l’enfant est perçu d’un point de vue subjectif et biaisé. Le droit d’avoir un père, même violent, et d’accéder aux revenus supérieurs du père, a été considéré comme critère de cet intérêt de l’enfant, contrairement au fait d’échapper à la violence familiale, à la fois en tant que victime directe et en tant que témoin. Quant au droit d’accès du parent qui a été le principal pourvoyeur de soins à l’enfant, habituellement la mère, cela n’est pas toujours reconnu comme conforme à « l’intérêt supérieur de l’enfant ». Enfin la volonté d’apparaître « équitable » envers les deux parents prend souvent le dessus sur les besoins de l’enfant.

Selon Goldstein : « Le Safe Child Act devrait impliquer que la santé et la sécurité des enfants soient prioritaires dans chacune des décisions concernant la garde et les visites. C’est particulièrement important car les recherches étasuniennes sur la maltraitance menées par les Centers for Disease Control (Centres pour le contrôle et la prévention des maladies) ont montré que les enfants exposés aux violences familiales et aux agressions souffriront de plus de maladies et de blessures, et verront leur espérance de vie réduite à cause de ces traumatismes. Le Safe Child Act exigera des tribunaux qu’ils tiennent compte d’études scientifiques importantes, comme celles sur la maltraitance des enfants, et permettra de contre-carrer l’utilisation de théories non scientifiques comme celles basées sur la croyance que la sexualité entre adultes et enfants peut être acceptable. Le Safe Child Act donne aux juges les moyens de limiter la première audience aux problèmes de violence familiale. Cela permettrait de traiter des dossiers qui prennent actuellement des mois ou des années et de les régler en quelques heures ou moins. »

Durant la conférence, Goldstein a aussi parlé de la « Solution Quincy » [du nom d’une ville du Massachusetts], basée sur le « Modèle Quincy » utilisé de la fin des années 70 jusqu’au milieu des années 90. À Quincy, le procureur du Massachusetts Bill Delahunt avait relevé que presque tous les détenus des prisons à haute sécurité de l’État avaient eu une enfance faite de violences familiales et souvent d’agressions sexuelles. Il imagina qu’en contrant la violence familiale, on réduirait l’incidence de l’ensemble des crimes, et c’est exactement ce qui arriva. Un comté qui avait une moyenne de 5-6 homicides (par an) connut plusieurs années sans meurtre. Des mesures similaires produisirent également une réduction spectaculaire de la violence familiale dans d’autres communautés étasuniennes, comme Nashville et San Diego. »

Dans l’édition augmentée de mon ouvrage Mothers on Trial : The Battle for Children and Custody [Les Mères en Procès : La Bataille pour les Enfants et la Garde – non traduit], je n’ai pas eu d’autres choix que de décrire certaines situations avec des titres comme les suivants : « Les tribunaux ont permis l’inceste dans les années 80 et 90 », « Les tribunaux autorisent l’inceste au vingt-et-unième siècle » et « Torture légale entre 1986 et 2010 ».

Certains juges peuvent être achetés ; beaucoup d’autres, absolument pas. Je sais qu’il y a des juges équitables et de bonnes professionnel.le.s en santé mentale. Ils et elles sont peut-être une minorité et ils peuvent aussi être forcés à « donner à l’homme violent ce qu’il veut pour simplement faire avancer le dossier ». Autre problème : quand une mère protectrice battue continue d’insister pour la réouverture d’un dossier, elle sera perçue comme étant le problème et sera punie d’avoir osé déranger un.e juge très occupé.e.

Certain.e.s avocat.e.s, hommes et femmes, ne font pas confiance aux femmes et ne les aiment pas. Je sais que de bon.ne.s avocat.e.s existent – mais les bon.ne.s avocat.e.s ne peuvent pas se permettre de représenter à titre gratuit des mères battues, plus ou moins pauvres, qui les occuperont pour des périodes pouvant aller de quatre à quinze ans. Les coûts pour l’avocat.e qui agit ainsi sont astronomiques et peuvent ruiner sa carrière et son équilibre mental. Et, quand un.e avocat.e fait du zèle pour représenter l’intérêt supérieur d’une mère battue et d’un.e enfant sexuellement agressé.e, elle ou il risque d’être accusé.e d’outrage à magistrat et de se voir radié.e du barreau.

Phyllis Chesler

Version originale: http://www.huffingtonpost.com/phyllis-chesler/how-mothers-are-destroyed_b_9995354.html

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