Voici la présentation par la journaliste LÉA CARRIER d'un essai de la Norvégienne Annvor Seim Vesthreim qui doit paraître fin octobre au Québec, aux Éditions du remue-ménage: "LES INCELS. DU CLIC À L'ATTENTAT"
À l’automne 2023, j’ai été invitée à donner une conférence sur le journalisme dans une école secondaire de la banlieue de Montréal. Il faisait froid, ce jour-là, et le contraste en entrant dans la classe m’avait saisie d’un coup. Vers la fin de la présentation, on aurait dit un four. Assis au premier rang, trois garçons ricanaient depuis une dizaine de minutes, achevant le peu de concentration qui restait au groupe. Penchés sur leur tablette électronique, ils avaient tapé mon nom dans Google et, de toute évidence, ce qu’ils avaient trouvé les amusait beaucoup, à moins que ce ne fût que je parus brièvement déstabilisée par leur insolence. Je n’en ai pas pensé plus que cela. « Boys will be boys », dit-on. Les garçons seront des garçons.
Après la présentation, une élève m’a approchée. C’était une jeune fille à l’allure discrète, qui parlait d’une voix délicate. « Connaissez-vous Andrew Tate ? », m’a-t-elle demandé. En effet, ce nom m’était familier. Un an plus tôt, je m’étais penchée sur la montée en popularité des influenceurs masculinistes sur les réseaux sociaux. Promouvant un retour aux valeurs traditionnelles, ces influenceurs déplorent une crise de la masculinité supposément causée par le féminisme et, pour affirmer leur autorité, prodiguent des conseils à un jeune public impressionnable : voici ce qu’est un vrai homme et comment le devenir en cinq étapes faciles. Andrew Tate, kickboxeur angloaméricain recyclé en hommes d’affaires et misogyne autoproclamé, est certainement le plus connu – et le plus controversé – d’entre eux (accusé de 21 chefs d’accusation au Royaume-Uni, dont viol et traite humaine, il a depuis été banni des réseaux sociaux). Lorsque j’ai commencé à m’intéresser au phénomène, il n’était pas clair si les influenceurs masculinistes, états-uniens pour la plupart, trouvaient un public au Québec. Mais c’était le cas. La jeune fille devant moi voulait m’en alerter. Dans les derniers mois, son petit frère s’était mis à suivre Andrew Tate religieusement. Il tenait des propos de plus en plus extrêmes sur les femmes, minimisant les accusations portées contre le célèbre influenceur. À l’école, les garçons parlaient de lui comme de leur idole, défendant ses positions les plus rétrogrades, parfois même en classe. J’ai repensé aux trois garçons qui dérangeaient pendant la présentation : faisaient-ils partie de ses admirateurs ? Quoi qu’il en soit, le témoignage de cette adolescente m’a replongée dans l’univers des influenceurs masculinistes. Seulement, cette fois, je pouvais faire la démonstration que leur discours trouvait écho chez de jeunes Québécois.
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