[Depuis plusieurs mois en France, une offensive masculiniste est en cours. Les militants qui la dirigent tentent de se structurer aussi bien au niveau national qu’international, cherchant des rapprochements avec par exemple Fathers 4 justice.
L’article qui suit est extrait du livre Boys don’t cry ! publié en 2012 aux Presses Universitaires de Rennes. Il me parait utile et urgent de le diffuser car il traite entre autres de l’une des plus anciennes associations masculinistes françaises: SOS Papa.
Je remercie beaucoup Anne Verjus pour son travail et son accord pour mettre à disposition cet article.]
Les coûts subjectifs et objectifs de la masculinité : le point de vue des masculinistes (et des féministes)
par Anne Verjus
Le « coût de la masculinité » peut s’entendre de deux manières. C’est ce qu’on appellerait, en latin, un génitif. Or, il existe dans cette langue comme dans la langue française, un génitif objectif et un génitif subjectif.
Le génitif objectif correspond au coût produit par la masculinité. Ici, le coût est un effet « annexe » d’une masculinité approchée comme une construction, divisible entre la part d’humanité de l’homme et des comportements potentiellement modifiables. On peut donc comprendre « coût » comme un coût objectif, une invitation à observer autrement les rapports sociaux de sexe, non plus seulement à partir du coût de la domination masculine sur/pour les seules femmes, mais pour la société tout entière. Cela permet d’éviter de laisser une revendication féministe à vocation universaliste, humaniste, c’est-à-dire valable pour tous les individus, s’enfermer dans des problématiques sexualistes (corporatistes). On peut classer, parmi ces coûts objectifs, des comportements à risque, tels que l’alcoolisme, le tabagisme, la violence conjugale, la vitesse au volant, etc., qui sont des effets directs d’une certaine culture de la virilité encore largement partagée. Personne, sauf certains industriels, n’est prêt à défendre ce type de « coût objectif ». Il n’en va pas de même des coûts subjectifs.
Le génitif subjectif s’applique aux coûts subis par la masculinité, qui serait coûteuse en soi et non pas pour la société. Ici, il s’agirait du coût que représente, pour un homme, le fait d’être porteur de certaines valeurs en décalage avec les représentations dominantes. Ici, le coût est le sujet et la masculinité devient l’objet. On peut classer, parmi ces coûts subjectifs, la stigmatisation à l’endroit de la culture viriliste accusée d’occasionner des coûts objectifs exorbitants à la société ; mais aussi l’insuffisante valorisation de certains aspects de cette masculinité, parmi lesquels la capacité des hommes à prendre en charge, concrètement, l’éducation et l’élevage des enfants. Pour les militants porteurs de revendications dites « masculinistes », ce coût subjectif non seulement rend la condition de certains pères difficile à vivre, mais représente également un coût objectif pour la société. Celle-ci ne saurait, sous peine de se priver d’une moitié d’elle-même, se passer de l’implication des pères dans l’éducation et la formation des enfants. Il y aurait donc un coût du coût, un coût objectif des coûts subjectifs, c’est-à-dire des conséquences et un « prix à payer », pour la société, d’une non reconnaissance de la souffrance et des difficultés à être un homme, et en particulier un père, aujourd’hui.
Cette question du coût de la masculinité fait partie du répertoire de revendications, tant masculinistes que féministes, en faveur d’une plus grande égalité entre les parents. Lire la suite →