La fin de la masculinité (extrait de l’intro au livre de Robert Jensen)

éditions Libre, 17€ (trad. Tristan Lefort-Martine, Pierre Peruch & Nicolas Casaux)

[merci au éditions Libre pour l’autorisation de répercussion sur le blog]

LA MASCULINITÉ

[Andrea et Jim]

« Sois un homme. »

Depuis leur plus tendre enfance, les hommes s’entendent sempiternellement répéter cet impératif simple. Généralement, cette expression est liée au fait qu’un homme exige d’un autre qu’il soit « plus fort », c’est-à-dire qu’il se montre capable de supprimer ses réactions émotionnelles et de canaliser cette énergie afin de contrôler la moindre situation et d’établir sa domination.

« Sois un homme » signifie donc, en règle générale, « aban­donne ton humanité ».

Être un homme n’est donc pas une bonne affaire. Lorsque nous devenons des hommes, c’est-à-dire lorsque nous acceptons l’idée selon laquelle nous devrions nous conformer à ce qu’on appelle la « masculinité », nous échangeons ceux de nos traits de caractère qui rendent la vie digne d’intérêt contre une quête de pouvoir infinie, qui se révèle, au bout du compte, illusoire et destructrice, non seulement pour les autres, mais aussi pour nous-mêmes.

Face à cette masculinité toxique, une tentative de réponse a consisté à redéfinir ce que signifie le fait d’être un homme, à façonner une masculinité plus tendre et bienveillante, moins menaçante envers les femmes et les enfants, et plus supportable pour les hommes. Une telle entreprise est toutefois inappropriée : notre objectif ne devrait pas être de redéfinir la masculinité mais de l’éradiquer. L’objectif devrait consister à nous libérer du piège de la masculinité.

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Préface de la Dre Muriel Salmona au livre de Lundy Bancroft : « Pourquoi fait-il ça ? Dans l’esprit des conjoints violents et maltraitants »

Pourquoi fait-il ça ? de Lundy Bancroft est un livre précieux et salvateur pour les femmes victimes de violences conjugales. Il ne se contente pas de répondre aux questions qu’elles peuvent se poser sur leurs conjoints violents ni de les outiller pour mieux s’en protéger, il se met résolument de leur côté avec le souci de leur rendre justice et de remettre le monde à l’endroit en dévoilant l’intentionnalité de nuire et les mensonges des hommes violents. Et cet enjeu est de taille face au déni qui règne dans notre société sur ces violences, déni alimenté par de fausses représentations, des stéréotypes sexistes, et une véritable propagande anti-victimaire qui culpabilise les victimes et dédouane les agresseurs en leur assurant une impunité quasi complète. Les femmes victimes elles-mêmes sont les premières contaminées par ce déni et ont les plus grandes difficultés à se sentir légitimes pour se défendre et pour dénoncer les violences qu’elles subissent. Ce déni contamine également les personnes qui pourraient les secourir, les protéger et les accompagner, leurs proches, les professionnels des secteurs de la police, de la justice, du soin et du social. Tout au long de son livre, fort de sa longue expérience auprès d’hommes violents, Lundy Bancroft s’attaque à ce déni. Dès les premières pages il nous prévient qu’il ne faut pas prendre pour argent comptant le discours et les justifications des hommes violents, mais toujours les confronter aux témoignages de leurs conjointes, voire de leurs ex-conjointes.

Dans nos sociétés patriarcales, les projecteurs sont presque toujours dirigés sur les femmes victimes pour leur demander des comptes, les questionner sur leurs comportements et les culpabiliser : « Qu’ont-elles bien pu faire pour rendre leur conjoint aussi violent ? ». Lundy Bancroft braque au contraire les projecteurs sur les hommes violents, sur leurs manipulations et leurs mensonges. À l’aide de nombreux exemples étayant une analyse implacable il démontre que les violences conjugales reposent sur une imposture totale. Les hommes violents sont de bons acteurs, ils jouent des rôles tout à tour pour séduire, manipuler, intimider, terroriser, culpabiliser leurs victimes afin de les contrôler et de les exploiter, et de garantir leur impunité. Ils excellent pour mettre en scène l’amour, l’énervement, la contrariété, la colère, la frustration, la jalousie, la perte de contrôle, le désespoir, l’indignation, la vengeance, le déni, le repentir… Les violences psychologiques, physiques et sexuelles qu’ils exercent n’ont pour but que de blesser et traumatiser leur victime. Ils savent bien que les justifications qu’ils donnent sont fausses et injustes, les violences leur sont juste nécessaires pour dominer et mettre en place un contrôle coercitif afin de posséder, asservir et instrumentaliser leurs victimes. Les violences sont un outil terriblement efficace pour détruire la capacité de défense, la confiance en soi et l’estime de soi des victimes, et leur faire croire qu’elles n’ont aucune valeur, aucun droit ni aucune dignité.

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Pédocriminalité en ligne : « Nous constatons une inaction révoltante des pouvoirs publics, qui feignent l’ignorance »

Dans une tribune publiée au « Monde » le 17 janvier 2024, un collectif de responsables politiques et associatifs demande au gouvernement français de soutenir le règlement européen contre la pédocriminalité en ligne et au portail de signalement Pharos de mener une vraie lutte contre les contenus pédopornographiques.

Le 20 novembre 2023, lors de la Journée internationale des droits de l’enfant, Charlotte Caubel, alors secrétaire d’Etat chargée de l’enfance, avait salué le travail de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants et appelé à l’élargissement de son action, en incluant notamment un phénomène qui explose : la pédocriminalité en ligne. Au-delà du flou de cette évolution, nous dénonçons l’hypocrisie de ces déclarations au moment même où la France rechigne à soutenir le règlement européen contre la pédocriminalité en ligne.

L’urgence est pourtant majeure : 85 millions de contenus pédocriminels (vidéos et images) ont été détectés en ligne en 2022 avec une augmentation de 6 000% en dix ans, selon la commissaire européenne Ylva Johansson. Une peine de vingt ans de réclusion criminelle a été prononcée, en octobre, par la cour d’assises de la Meuse contre un père qui commettait des viols incestueux en série sur ses enfants et les partageait sur le Web avec d’autres pédocriminels. Mais pour une affaire jugée, combien de millions de vidéos en ligne en toute impunité ? Les solutions, pourtant, existent : elles nécessitent juste une volonté politique.

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Gestation pour autrui. Rejetez l’Avis n°86 du Comité consultatif de Bioéthique de Belgique 

[page originale et en d’autres langues ici : https://www.facebook.com/profile.php?id=61556337114596]

Le 17 avril 2023, et en réaction à la demande du ministre de la Santé Publique Frank Vandenbroucke, le Comité consultatif de Bioéthique de Belgique a rendu l’avis n°86[1], relatif à l’encadrement légal de la gestation pour autrui (GPA). Celui-ci actualise l’avis n°30 du 5 Juillet 2004. En Belgique, la GPA n’est pas réglementée ; elle n’est ni interdite ni légale, mais elle est pratiquée dans 5 cliniques spécialisées.

Nous, organisations féministes et de défense des droits humains et citoyen.ne.s engagé.e.s, sommes en total désaccord avec cet avis sur l’ensemble des points qui sont énoncés, tous – sans exception – en faveur de la légalisation de la GPA. Celui-ci ne prend aucune considération des droits des femmes et des enfants, adopte exclusivement le point de vue des clients commanditaires et se fait ainsi le relais du marché, qui cherche à développer la marchandisation et l’instrumentalisation du corps des femmes et la réification des enfants.

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Osez le Féminisme ! contre la loi « Asile et immigration »

Dans un contexte politique et médiatique de banalisation de l’idéologie raciste et xénophobe de l’extrême-droite, la loi “Asile et immigration” votée le 19 décembre 2023 par l’Assemblée nationale, porte gravement atteinte aux droits fondamentaux des personnes étrangères et ainsi aux principes d’égalité et de dignité de la personne humaine tels que consacrés par la République. 

Cette loi est la trentième mesure anti-migratoire votée en 40 ans. Cette fois-ci, la politique de préférence nationale dans l’accès aux droits sociaux portée depuis des années par le Rassemblement National et le Front National de Jean-Marie Le Pen, ainsi que la suppression du droit du sol, constituent un basculement idéologique intolérable et mettent particulièrement en danger les femmes et les mineur·es migrant·es et exilé·es, en situation régulière ou irrégulière.

Nous rappelons que le droit d’asile est reconnu par la Convention de Genève et inscrit dans la Constitution française. Il permet de protéger toute personne victime de persécution. Pourtant le rétablissement du délit de séjour irrégulier, supprimé en 2012, vient indirectement marteler le fait qu’être né·e dans un autre pays caractérise un délit.

Parmi les personnes étrangères, les femmes sont surexposées aux violences sexistes et sexuelles, aussi bien lors de leurs parcours migratoires qu’une fois arrivées sur le sol français. Selon les Nations unies, elles représentent 50 % de la population migrante.

Osez le Féminisme ! dénonce la mise en danger, par cette loi, des femmes et des filles étrangères sur le sol français, ainsi que la précarisation de leurs conditions de vie et d’accueil dans une perspective déshumanisante et de criminalisation des personnes étrangères.

1. Une loi violente économiquement et socialement : 

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Catharine A. MacKinnon : Le Viol redéfini – Vers l’égalité, contre le consentement (« une pub » pour le livre)

Vers l’égalité, contre le consentement

[Un livre important, avec des propositions pour améliorer le droit, entre autres en France. Une critique profonde du concept de consentement : "Le consentement est la tolérance d'une violation des limites"; "Même les dynamiques psychologiques de la coercition, y compris par l'inégalité, sont bien plus facilement observables chez les parties depuis l'extérieur, que celles liées au consentement".]

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TRANS – L’identité de genre, et la nouvelle lutte pour les droits des femmes

[Tandis que les « transactivistes et leurs allié-es » souhaitent faire croire que l’ensemble des critiques de l’identité de genre sont issues de l’extrême droite, je reproduis plus bas la nouvelle préface d’Helen Joyce pour son livre Trans, quand l’idéologie rencontre la réalité. Pour rappel les critiques de l’identité de genre qui nous intéressent sont portées par divers courant de gauche, dont des militant-es de l’écologie radicale (Né(e)s dans la mauvaise société, d’Audrey A. & Nicolas Casaux ) ou encore des anarcha-féministes (Les leurres post-modernes contre la réalité sociale des femmes, de Vanina), avec évidement des variantes dans l’analyse. On est d’accord ou non avec elles, elles ont le mérite de permettre le débat, loin des invectives et des raccourcis. Helen Joyce, elle, est féministe.]

Version française de la nouvelle préface de l’essai d’Helen Joyce « Trans : Gender Identity and the new battle for women’s rights » (Onlyword, Royaume-Uni, 2022).

(Les droits de diffusion en France de ce livre sont disponibles auprès de l’éditeur Underword.)

Les arguments présentés dans ce livre sont fondés sur des faits qui étaient, jusqu’à récemment universellement acceptés : les êtres humains ne peuvent pas changer de sexe ; les hommes sont en moyenne beaucoup plus robustes que les femmes et ils commettent presque tous les crimes violents et sexuels. Pourtant, lors de la première édition cartonnée de mon livre en juillet 2021, j’ai fait l’objet d’attaques virulentes.

On m’a accusée de penser que les femmes étaient inférieures aux hommes, de qualifier tous les hommes de violeurs et d’appeler à l’élimination des personnes transgenres.

Mes arguments ont été comparés à du racisme et de l’homophobie.

J’ai été traitée de sectaire et de menteuse.

Je me suis rendu compte que l’une des raisons de ce retour de bâton était une compassion sélective. Les militants qui exprimaient une préoccupation sincère et raisonnable pour les revendications des personnes transidentifiées rejetaient en même temps le souhait des femmes d’être en sécurité, de conserver une vie privée et d’avoir droit à des conditions loyales de concurrence.

Contrairement aux militants transactivistes, j’éprouve de la compassion à la fois pour personnes qui se sentent en désaccord avec leur corps sexué et pour les personnes, principalement des femmes et des enfants,  qui subissent des préjudices lorsque le dimorphisme sexuel est nié.

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Oser dire la vérité sur la prostitution (une intervention de 1971)

par SUSAN BROWNMILLER

Susan Brownmiller est écrivaine, critique et membre active de l’association New York Radical Feminists[1]. Le texte suivant a été prononcé dans le cadre d’une journée d’audition devant une assemblée d’élus de l’État de New York, intitulé « La prostitution, un crime sans victime ».

SUSAN BROWNMILLER : Messieurs, vous déclarez que le but de votre audition aujourd’hui est d’écouter des témoignages au sujet de la prostitution, ce que vous décrivez comme « un crime sans victime ». La prostitution est un crime, messieurs, mais elle n’est pas sans victime. Il y a une victime, et c’est la femme.

J’ai cru comprendre qu’au cours de la semaine dernière, vous avez reçu des appels téléphoniques pressants de plusieurs femmes qui se considèrent comme vos pairs – des femmes de la New Democratic Coalition [Nouvelle Coalition Démocratique], dont une ou deux cheffes de district – et qu’elles vous ont demandé de suspendre l’audience. Elles vous ont dit que le mouvement de libération des femmes considère la prostitution comme une problématique féminine, au même titre que la garde des enfants, au même titre que le salaire égal pour un travail égal, au même titre que le mariage, l’avortement, la contraception et le viol. Ces femmes vous ont dit qu’elles préparaient une conférence sur la prostitution en commun avec les féministes radicales, et que cette conférence, en amont de la session législative, permettrait d’élaborer une nouvelle approche, une approche du point de vue des femmes, sur la question de la prostitution. Mais vous avez refusé d’annuler cette audition, ce qui prouve bien, je pense, le poids que vous accordez au pouvoir politique des femmes. Et donc, contre notre gré, nous sommes contraintes d’utiliser votre journée d’audition comme tribune. Nous le faisons à regret, sur le tas et dans la précipitation, sans la profondeur appropriée, l’examen et l’esprit démocratique d’analyse tel que notre propre conférence de femmes se déroulera.

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PORNOCRIMINALITE, Mettons fin à l’impunité de l’industrie pornographique !

Le Haut Conseil à l’Egalité fait un constat accablant
et exige du gouvernement qu’il agisse
contre la pornographie

Le Haut Conseil à l’Egalité (HCE) sort ce mercredi 27 septembre un rapport sur la pornocriminalité, qui pose des constats accablants sur l’industrie pornographique qui violente femmes et filles et propage un discours de haine misogyne et raciste en toute illégalité.

Osez le féminisme ! dénonce depuis plusieurs années le système pornocriminel, qui prospère sur la haine et la violence misogyne, dans l’indifférence générale et l’illégalité la plus totale. 90% des contenus pornographiques présentent des actes non simulés de violences physiques, sexuelles ou verbales contre les femmes. La pornographie n’est pas du cinéma. Ce rapport du Haut Conseil à l’Egalité, à l’expertise indéniable, confirme par ses analyses l’importance du combat précurseur mené par notre association contre le système pornocriminel. 

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Mobilisation contre l’assistanat sexuel :Le président Macron doit arrêter de faire planer le doute

Lors de son discours à l’occasion de la Conférence nationale du handicap fin avril dernier, Emmanuel Macron s’est exprimé sur les enjeux de la vie affective, amoureuse, intime et sexuelle des personnes en situation de handicap, annonçant alors le lancement d’un plan d’action d’ici l’été.

Nous tenons à vous faire part de notre ferme opposition au lancement de toute expérimentation de l’assistance sexuelle

Nous estimons nécessaire d’alerter dès à présent sur les conséquences qu’entrainerait l’assistanat sexuel, et nous avons besoin de votre mobilisation. 
Un courrier type a été écrit par la Cordination Française pour le Lobby Européen des Femmesque vous pourrez compléter et envoyer au Président de la République (via ce formulaire).

En 2016, la France faisait le choix décisif de mettre fin à la violence machiste que constitue la prostitution. Pour cela, une loi juste et courageuse a été adoptée prévoyant la dépénalisation des personnes en situation de prostitution (à 80% des femmes), la mise en place de parcours de sortie de prostitution, d’actions de prévention et l’interdiction de l’achat d’actes sexuels (commis à 99% par des hommes).

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Protégez les survivantes

Le Conseil d’Etat doit revoir sa jurisprudence pour garantir une protection effective, au titre de l’asile, des femmes nigérianes victimes des réseaux de traite humaine

Saisi par 3 femmes nigérianes victimes de réseaux criminels de traite humaine à des fins d’exploitation prostitutionnelle, le Conseil d’Etat a f opportunité de rendre effective la protection, au titre de l’asile, des femmes victimes de ces réseaux.

Depuis plus de 30 ans, des milliers de femmes nigérianes (mineures pour nombre d’entre elles) sont victimes de réseaux criminels internationaux de trafics d’êtres humains. Elles subissent un serment d’allégeance, dit « Juju », visant à faire peser sur elle une menace de malédiction si elles ne respectent pas « leurs obligations ». Au cours de la cérémonie, elles sont scarifiées afin de les identifier et de marquer leur appartenance au réseau. Elles sont ensuite forcées à l’exil dans un périple dangereux durant lequel elles sont battues, violées et soumises à des actes de torture. Celles qui survivent sont envoyées en Europe, contraintes à la prostitution et soumises au remboursement d’une dette de plusieurs dizaines de milliers d’euros. Si elles parviennent à s’en sortir, les femmes risquent d’être exposées, en cas de retour au Nigéria, à de graves persécutions pour avoir quitté le réseau et du fait du stigmate qui pèse sur les femmes nigérianes victimes de viols et de prostitution, les condamnant à une mort sociale et un risque élevé de re-prostitution.

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Meghan Murphy : Honte et pornographie

Le porno a été totalement normalisé et généralisé, alors pourquoi les hommes ont-ils encore honte de leur consommation de porno ?

Depuis de nombreuses années, on m’accuse de « faire honte » aux gens à propos de leurs passe-temps sexuels. Cela est dû en grande partie à mes critiques du porno et de l’industrie du sexe.

Pour être honnête, j’ai probablement écrit et dit des choses moins que positives sur diverses perversions et fétiches, en particulier ceux de nature violente. Je n’ai jamais caché mon opinion sur les hommes qui ont besoin de costumes, de sketches, de scénarios tordus ou de spectacles pornographiques pour prendre leur pied. Votre corps est littéralement conçu pour apprécier le sexe : le bon vieux sexe classique du type pénis dans le vagin. Bien entendu, ce sexe « normal » est qualifié de « vanille » afin de défendre les personnes qui ont conditionné leur corps et leur esprit à avoir besoin d’un tas de cloches et de sifflets pour faire ce que la nature a prévu, bien avant l’invention des téléphones intelligents et du Hentai. Mais exiger un costume ridicule ou une expérience de mort imminente, que ce soit pour vous ou pour l’objet de votre éjaculation, me semble signaler l’existence d’un réel problème.

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L’enfer des passes, de Rachel Moran [compte rendu]

[La note suivante a été publiée dans la revue Empan]

Le système prostitutionnel fait l’objet depuis de nombreuses années d’études féministes variées : Barry (L’esclavage sexuel de la femme, 1982), Legardinier (Prostitution : une guerre contre les femmes, 2015), Ekman (L’être et la marchandise, 2013), Montreynaud (Zéromacho, 2018).

Les témoignages de prostitué·es peinent à s’exprimer ou à se faire entendre, et plus encore les témoignages d’ex-prostituées. Pourtant, ces dernières en particulier sont celles dont « l’objectivité » n’est pas polluée par des intérêts immédiats dans le système prostitutionnel, avec l’avantage de posséder une connaissance poussée, prolongée et intime du milieu et de l’activité. C’est ce qui donne une richesse et une rare force au livre L’enfer des passes de la féministe irlandaise Rachel Moran, qui a vécu la prostitution pendant sept ans.

Les quelque 26 chapitres sont « un exercice de dépassement » (p. 327) d’elle-même afin de renaître de ses hontes – pour reprendre le titre d’un autre livre d’une ancienne prostituée, Laurence Noëlle. Moran y dissèque son propre parcours et brave « les ondes de choc » (p. 307) de son passé de femme prostituée, dont le stigmate perdure dans le temps – malgré la récente loi abolitionniste qui décriminalise leur activité.

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Osez le féminisme ! « Propagande pro-stérilisations à Mayotte »

Propagande pro-stérilisations à Mayotte, en pleine pénurie de pilules abortives : une politique française coloniale et misogyne !

Manifestation du collectif HIMA, collectif de jeunes femmes comoriennes de différents horizons qui  ont décidé de se lever pour les droits des  femmes comoriennes.

Régime d’exception néocolonial : promotion des stérilisations à Mayotte, dissuasion des femmes en métropole

Dans la plupart des départements français, essayer d’obtenir une ligature des trompes est un parcours de la combattante. Mais pas à Mayotte, où l’Etat français martèle une très ancienne inversion perverse coloniale consistant à dire aux personnes racisées qu’elles seraient trop nombreuses et qu’elles en seraient coupables. Le directeur de l’ARS de Mayotte, Olivier Brahic (formé à l’École de guerre), a ainsi déclaré vouloir “proposer” une stérilisation par ligature des trompes aux femmes, à l’hôpital, dans les PMI et chez les sages-femmes. Dans les faits, être une femme mahoraise face au pouvoir médical – très majoritairement accaparé par des blancs venus de métropole – dans un espace durablement broyé par les politiques coloniales françaises, c’est déjà subir des contraintes écrasantes. 

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Zéromacho : Action #89 — 12 avril 2023 — Le 17e passe à l’orange

Le 17e arrondissement de Paris bat un triste record : il compte 49 prétendus « salons de massages » asiatiques (sur 341 dans tout Paris) qui sont en réalité des lieux de prostitution, avec des esclaves sexuelles pour la plupart victimes de la traite des femmes.

Cette activité illégale a pignon sur rue et fait même de la publicité, avec des flyers sur les pare-brise !

Dans la nuit du 12, à Paris 17e, des activistes de Zéromacho et de L’Amazone Paris ont taggé un slogan en orange fluo sur le trottoir devant ces 49 salons :

« C’est combien ? — 1 500 € d’amende ! »

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Sur les messages colériques d’hommes qui me sont adressés, par Lundy Bancroft

Bientôt disponible en français aux éditions Libre

Cela fait vingt ans que je reçois des messages d’hommes furieux ou que je lis en ligne leurs diatribes constellées de postillons. J’ai choisi de ne pas y répondre (enfin, j’ai peut-être cédé à cette tentation quelques fois), parce que je ne crois pas que cela soit le moindrement utile. Ce genre d’hommes n’examine jamais ce qu’il dit et n’entre pas dans une interaction pour explorer des idées. Il veut plutôt s’imposer au centre de l’attention et fustiger les personnes qui ne sont pas d’accord avec lui. Et surtout, il veut rabaisser les femmes et les rendre responsables de tout.

Cela fait longtemps que j’ai l’intention d’écrire un article sur la nature de ces messages et sur ce qu’ils révèlent de la façon dont pensent les hommes violents; parce que, franchement, c’est exactement ce qu’ils sont.

(Tout de suite, en écrivant cela, je lis déjà le prochain message enragé, qui dira quelque chose comme : « Tu qualifies d’agresseur tout homme qui n’est pas d’accord avec toi ». Je reviendrai sur cet argument.)

La tirade la plus courante que me lancent ces hommes ressemble à ceci : « Vu la façon dont Lundy décrit la violence dans Pourquoi fait-il cela?, n’importe quel homme peut être qualifié d’homme violent. Il prend des réactions normales de frustration et de colère et les amalgame à de la violence et des menaces, comme tout cela était la même chose. Si les hommes disent autre chose que « s’il vous plaît » et « merci » aux femmes, il les qualifie de méchants. À cause d’idées comme celles de Lundy, les femmes sont nombreuses à qualifier leur partenaire d »agresseur’ et à mettre fin à la relation, au lieu de régler les problèmes de manière responsable et de demeurer fidèles à leur vœux de mariage. Et c’est pour cette raison que des enfants grandissent dans des foyers brisés  (etc., etc.). »

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« Les Chahuteuses »… pas vraiment.

[Une courte chronique à faire circuler afin de ne pas se faire avoir]

Hier je suis allée voir le spectacle « Histoire de cul » du collectif Les Chahuteuses pour 15 euros à la Bellevilloise.

Je me suis fait chier grave pendant tout le spectacle. Ce n’est même pas distrayant ni comique. Il n’y avait aucun humour.

Un homme nous parle de son expérience sexuelle avec sa partenaire dans un parc. Il raconte comment il a été soudain surpris par une dizaine d’hommes entourant tout à coup ses ébats et qui avaient décidé de l’observer tout en se masturbant. Il n’est alors question que de sa  » performance » par rapport au fait d’être ainsi observé. Va t il ou pas réussir à jouir sous le regard de ces spectateurs imprévus ? Là est la, SA question fondamentale. Tout droit sorti d’un scénario de film porno en fait.

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Lettre de l’asso « Choisir la cause des femmes » au Président de la République pour refuser son invitation.

[Sur le féminisme-washing du président Macron]

Présidence de la République
Palais de l’Elysée
Paris, le jeudi 2 mars 2023
Monsieur le Président de la République,

Ce jeudi 2 mars 2023 vous avez adressé une invitation officielle pour une cérémonie d’hommage à Gisèle Halimi au Palais de justice de Paris, le 8 mars 2023, à l’association Choisir la Cause des femmes qu’elle a fondée avec Simone de Beauvoir et que j’ai l’honneur de présider.

Le choix que vous opérez en organisant en dernière minute cet hommage national à la féministe Gisèle Halimi, ce 8 mars 2023, nous semble relever d’une instrumentalisation politique. Elle ne trompera personne. En effet, la veille, votre contre-réforme des retraites, qui pénalise particulièrement les femmes, se sera heurtée à un mouvement de protestation massif dans tout le pays sous la forme d’une journée de grève reconductible. Et, le 8 mars, une grève des femmes prendra le relais pour dénoncer à son tour une réforme particulièrement injuste pour elles ainsi que l’a admis un de vos ministres, M Riester, le 23 janvier dernier.

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Un congrès CGT sous haute tension pour le mouvement syndical et féministe [par Resyfem ]

Fin mars 2023, aura lieu le congrès confédéral de la CGT et ça promet d’être houleux : remise en cause de la candidature de Marie Buisson par un camp sectaire et viriliste, du critère de « parité » sur les listes des candidats à la CEC… Les enjeux d’un congrès décisif pour les syndicalistes féministes, l’ensemble de la CGT et tout le mouvement syndical.

Une campagne virulente de remise en cause de la candidature de Marie Buisson au poste de secrétaire générale de la CGT a commencé très vite après son annonce. Elle s’est notamment traduite, ces dernières semaines, par la multiplication d’articles à charge dans la presse[1].

D’où viennent ces attaques, et pourquoi autant d’énergie déployée pour la faire échouer ?

Il s’agit d’une offensive des tendances sectaires de la CGT qui entendent bloquer toute logique unitaire et d’ouverture aux urgences environnementales et à une lutte des classes qui prenne en compte les oppressions spécifiques liées au sexisme et au racisme. En entretenant une atmosphère de guerre interne, ils tentent au passage le coup double de réhabiliter leurs partisans les plus controversés.

Des attaques violentes aux formes inédites

Les détracteurs de Marie Buisson s’appuient sur des tensions réelles au sein de l’organisation, en lien avec le mode de gouvernance et les choix stratégiques de Philippe Martinez. 

Ce mécontentement se cristallise sur sa décision de faire participer la CGT à l’initiative « Plus jamais ça ! »[2]. Une sorte de coalition des opposants à ce projet s’est constituée, et reproche à Marie Buisson la décision du secrétaire général !

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Précisions concernant les retraites [extraits]

Deux annexes tirées de l’ouvrage de Christiane Marty, Retraites – saison 2022, éd. du Croquant, 2022, 75p., 3€. afin de comprendre les fonctionnement actuels.

Annexe 1

Retraites : répartition et capitalisation

Dans un système de retraites par répartition, ce sont les cotisations des personnes en activité qui sont immédiatement utilisées pour payer les pensions des retraité.es. Dans un système par capitalisation, les cotisations alimentent des ‘ placements financiers dont le rendement futur (incertain) déterminera le montant de la pension. La capitalisation est basée sur une logique d’assurance individuelle, opposée donc à la répartition qui est basée sur la logique de solidarité qui est au I fondement de la protection sociale.

Contrairement à ce que l’on peut penser, la capitalisation ne consiste pas à épargner son propre argent pour sa retraite : c’est un placement dont la valeur, qui déterminera la pension au moment de la retraite, dépendra de toute façon de la richesse économique créée à ce moment-là par le travail des actifs. Les cotisations dans un régime pari capitalisation donnent simplement des « droits à valoir » sur la production future. Ainsi, en répartition comme en capitalisation, les pensions des retraité.es sont prélevées sur la richesse produite en temps réel : la différence tient simplement à la manière de répartir cette production.

Mais dans les deux cas, les difficultés seront les mêmes si l’évolution démographique fait qu’il y a trop peu de personnes en activité pour produire suffisamment de biens et de services pour tout le monde. C’est donc une illusion de croire que l’épargne privée et les fonds de pension seraient mieux à même d’assurer l’avenir des retraites.

De plus, la capitalisation en reposant sur le rendement du capital, est très sensible à l’évolution des marchés financiers. À la suite de la crise financière de 2008, de nombreuses personnes des pays où les fonds de pension sont très développés ont vu fondre leur épargne retraite en quelques mois, et la plupart des pensions ont dramatiquement diminué. Ce sont alors souvent les gouvernements de ces pays – et donc l’ensemble des contribuables – qui sont intervenus pour limiter les dégâts.

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Féministes en colère : 64 ans c’est NON ! 43 annuités c’est NON !

Oser présenter cette réforme comme plus juste pour les femmes comme l’a fait le gouvernement relève d’une instrumentalisation des droits des femmes et d’une grave malhonnêteté.

Inutile, inégalitaire, injuste et brutal, le projet de contre-réforme des retraites tend à aggraver la situation déjà très inégalitaire dont les femmes font aujourd’hui les frais.

Nous nous opposons au report de l’âge légal à 64 ans et l’augmentation plus rapide que prévu de la durée de cotisation à 43 ans.

Les femmes subiront bien plus que les hommes les conséquences de ces deux modifications, ce que finalement des membres du gouvernement reconnaissent et assument ! La majorité d’entre elles devront, encore plus qu’aujourd’hui, travailler tard pour des pensions d’un niveau faible.

Les discriminations sexistes au travail, l’inégalité du partage des tâches domestiques et d’éducation des enfants liée à une société encore patriarcale, ont comme conséquence des temps partiels contraints, des carrières hachées, des retraites amputées, les femmes subissant aussi la décote mise en place en 2003. Le gouvernement assène contre-vérités sur contre-vérités sur la situation des femmes. Les chiffres sont là !

Elles ont un salaire inférieur en moyenne de 22% à celui des hommes.

Elles sont majoritaires dans les emplois socialement utiles (assistance à la personne, soins, santé, ménage, caissières, éducation.…) mais dévalorisés et mal rémunérés. Horaires atypiques, interruptions de carrière, temps partiel, salaires trop bas constituent le lot de nombreuses femmes.

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[CP Osez le féminisme !] Les femmes grandes perdantes de la réforme des retraites

Appel à la manifestation !

Les femmes touchent des retraites inférieures de 40% à celles des hommes, et cette réforme va encore accentuer ces inégalités. L’allongement de la durée de cotisation à 43 ans dès 2027 va particulièrement pénaliser les femmes qui ont dû s’arrêter pour élever leurs enfants. Elles seront encore plus nombreuses à devoir attendre 67 ans pour espérer avoir une retraite pleine. C’est inacceptable ! Nous appelons à manifester le jeudi 19 janvier partout en France, pour dire non à cette réforme injuste.

En France, la pension moyenne brute est de 1145€ pour les femmes contre 1924€ pour les hommes. Les femmes retraitées touchent donc 40% de moins que les hommes (Ou plus exactement, les hommes retraités touchent 68% de plus que les femmes).

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Communiqué de presse : La Grande Cause définitivement classée sans suite ? 

Nos associations, le Collectif Féministe Contre le Viol, Osez le Feminisme!, l’Association européenne contre les Violences faites aux Femmes au Travail (AVFT), Du Côté des Femmes, En Avant Toute(s), Fédération Nationale Solidarité Femmes (FNSF) et la Fondation des Femmes, ont découvert via un article du Journal Du Dimanche l’existence d’une dépêche interministérielle en direction des procureurs de la République, qui aurait débouché sur des classements sans suite massifs et un déni de justice pour des milliers de victimes.

Un classement sans suite désigne l’arrêt d’une procédure judiciaire consécutive à une plainte. C’est le procureur de la République qui en prend la décision. Dans une dépêche de mai 2021, il a été demandé d’accélérer le classement sans suite de nombreuses plaintes pour désengorger les commissariats et services d’enquêtes.

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Andrea Dworkin : À propos de la rédaction de « Pornographie : les hommes s’approprient les femmes ».

[Ce qui suit est une partie d’un article d’abord publié dans la San Francisco Review of Books. Copyright © 1981 par Andrea Dworkin.] (Pornographie : les hommes s’approprient les femmes, éditions Libre)

Au cours de la rédaction de mon plus récent livre, j’ai vécu le plus extrême isolement que j’aie connu en tant qu’écrivaine. Je vivais dans un monde d’images — des corps de femmes exposés, des femmes prostrées, étalées, suspendues, écartelées, ligotées et lacérées — et dans un monde de livres — remplis de viols collectifs, de viols à deux, de viols commis par des hommes sur des femmes, de viols lesbiens, de viols de femmes par des animaux, d’éviscérations, de tortures, de pénétration, d’excréments, d’urine et de mauvaise prose. J’ai travaillé trois ans à ce livre. Après la première année, une amie est entrée dans ma chambre et m’a passé la remarque qu’elle était plus à l’aise dans les magasins de porno du quartier. Six mois plus tard, l’ami avec lequel je vivais m’a demandé calmement et sincèrement d’éviter de lui montrer les documents sur lesquels je pouvais travailler et aussi, si possible, de ne pas les laisser dans une autre pièce que la mienne. J’ai des ami-es bon·nes et prévenant·es. Leurs nerfs ne pouvaient même pas supporter le peu qu’illes apercevaient. Moi, j’y étais immergée.

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Jay Dionne : 4 poèmes

[Les poèmes qui suivent viennent du Québec et sont signés Jay Dionne.  Je les publie ici avec son autorisation et je l’en remercie. Les illustrations ont été ajoutées par moi.]

Grandir

Un jardin d’été

Une nuit étoilée

La chaleur du soleil

Sur ma peau bronzée

***

J’me suis privé

Quatre longues années

Pour les troquer

Contre la drogue

***

Sale

***

Pourquoi?

J’me le demande souvent

Pis

Finalement,

J’ai compris

***

La Misère

A beau être ma mère

***

J’pu

Un ti cul.

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Julie Bindel : Les femmes ne devraient pas avoir à toujours être sur le qui-vive. C’est aux hommes d’en finir avec la violence masculine

[article publié en mars 2021]

La disparition et le meurtre présumé de Sarah Everard ont mis en lumière la façon dont la vie des femmes et des jeunes filles est entravée par la peur et la réalité de la violence masculine. La violence létale contre les femmes est aussi régulière qu’elle est horrible. Tous les trois jours, en Angleterre et au Pays de Galles, une femme est tuée par son ancien ou actuel partenaire à la suite de violences domestiques, et nous vivons aujourd’hui dans une société imprégnée de misogynie et de droit phallocrate, où la pornographie hardcore est considérée comme un « divertissement » et où les filles sont bombardées de propagande sur les joies de l’étranglement durant les rapports sexuels.

Il est relativement rare de se faire enlever dans la rue, mais malgré tout, les femmes restent dans un état d’anxiété constant face à la violence masculine. Il n’y a rien d’étonnant à cela : la plupart d’entre nous sommes éduquées à nous considérer seules responsable de notre propre sécurité. Nous vivons dans une culture de culpabilisation des victimes, où l’on s’intéresse davantage à notre façon de nous habiller et à notre consommation d’alcool qu’aux raisons qui expliquent pourquoi les hommes commettent des crimes aussi odieux à notre encontre.

Les hommes sont majoritairement les auteurs de crimes violents et sont aussi majoritairement les victimes de crimes violents, mais perpétrés par d’autres hommes. Ce fait est souvent utilisé contre les féministes lorsque nous parlons de l’ampleur et de la prévalence des abus sexuels et domestiques, mais le féminicide – le meurtre d’une femme parce qu’elle est une femme – se nourrit de la haine des hommes envers les femmes.

La peur du viol et des violences létales est une chose que toutes les femmes de la planète connaissent. Il y a nulle part où nous nous sentons totalement en sécurité. Le foyer est l’endroit le plus dangereux pour les femmes puisque c’est là que la plupart des violences ont lieu, mais comme elles se produisent derrière des portes closes, elles peuvent souvent être considérées comme une affaire interpersonnelle privée, et engageant encore moins l’intervention de l’État. Le nombre de viols et d’agressions sexuelles commis quotidiennement est ahurissant, et pourtant la grande majorité d’entre elles ne sont pas signalées et restent impunies. Actuellement, moins de 1 % des viols signalés à la police aboutissent à une condamnation.

Une enquête commanditée par la coalition End Violence against Women en décembre 2018 a révélé que plus d’un tiers des plus de 65 ans ne considèrent pas les rapports sexuels maritaux forcés comme des viols, de même que 16 % des personnes entre 16 à 24 ans.

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Androcapitalocène : recension du livre de Catherine Albertini par Ana Minski

[Le compte-rendu qui suit est tiré du n°4 de la revue : Behigorri. Le sommaire de la revue est en bas de page. Merci pour l’aimable autorisation à reproduire ce texte.]

« Il n’existe pas de ''sans voix''. Il n’y a que des personnes délibérément réduites au silence ou que l’on préfère ne pas entendre. » – Arundhati Roy (2004)

Anthropocène ? Capitalocène ? Mégalocène ? On ne compte plus les néologismes pour nommer les destructions écologiques en cours. Autant de -cène que de Homo, cette humanité civilisée qui se rêve et se prétend sapiens, mais qui est, selon les auteurs, bien plus oeconomicus, theologicus, ludens, faber, ethicus, ou detritus

Nommer les choses et les phénomènes n’est pas un acte anodin. Nommer nous situe dans le monde, socialement, moralement et matériellement. Nommer est la première étape pour identifier ce que les opprimé.es doivent combattre. Définir le plus précisément possible ce que nous souhaitons dénoncer ou défendre, nous permet de comprendre les différents mécanismes de la domination et les causes du désastre écologique. Les mots mûrement réfléchis mettent à nu les désirs de révolte ou de domination qui sous-tendent une pensée. C’est pour cela que toute autrice qui se préoccupe d’écologie et de justice sociale doit porter son regard sur le monde depuis celles et ceux qui sont exploité.es, animales humaines et non humaines. La réalité de toute société est à la fois matérielle et symbolique. Décrire clairement le système économique capitaliste, système puissamment idéologique, permet de rendre visible les violences et destructions quotidiennes dont il se nourrit pour le porter à notre jugement moral.

Dans son essai Résistances des femmes à l’Androcapitalocène. Le nécessaire écoféminisme, publié chez M Éditeur, Catherine Albertini commence par expliquer les raisons pour lesquelles « Androcapitalocène » lui semble être le mot le plus adapté pour nommer la période actuelle. Le préfixe « andro- » met en évidence le fait que la destruction en cours « n’est pas neutre du point de vue du genre ». Elle est le fait du genre masculin, c’est-à-dire d’hommes qui sont socialisés pour valoriser la concurrence, le pillage, le viol, la domination, l’hégémonie. Des hommes qui sont socialisés pour mépriser les qualités attribuées aux femmes. Le genre féminin, dans lequel sont socialisées les filles dès leur plus jeune âge, enferme les femmes dans une position masochiste et sacrificielle. Si elles veulent être aimées, les filles doivent correspondre aux qualités attribuées au féminin, à « La femme » douce, passive, généreuse, empathique, coquette, serviable, soumise. Cette socialisation binaire des sexes participe à la mise en place et au maintien d’un système économique qui lui ressemble en tout point : le capitalisme.

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Appel à désarmer les criminels climatiques !

Ne laissons pas les ultra-riches et leurs multinationales détruire la planète

Cet été nous avons vécu une succession de catastrophes climatiques : canicules, sécheresses extrêmes, mégafeux. Les restrictions d’eau ont touché l’ensemble du territoire. Orages, tornades, inondations ont également causé des dégâts parfois mortels.

Dans le même temps, nous avons assisté, avec colère, à l’indécence des ultra-riches. Bernard Arnault (LVMH), Vincent Bolloré, Martin Bouygues, François Pinault (Kering) ou Patrick Pouyanné (Total) ont multiplié les trajets de loisir ou de confort dans leur jet privé ou leur méga-yacht, et, en pleine pénurie d’eau, des dérogations ont permis l’arrosage des golfs.

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La prostitution est un enfer particulier que les hommes ont créé pour les femmes.

Ou

Le coût de la vente de votre âme pour survivre? Il est sans prix.

Source: Site Web de l’organisation Northern Model Now, le 8 septembre 2022

Une femme, qui souhaite rester anonyme, a envoyé ce texte puissant et déchirant par l’intermédiaire de notre page « Share Your Sex Work Story » (Partagez votre récit de la prostitution), qui offre un espace aux femmes pour raconter en leurs propres mots leur vécu de la prostitution.

Quand je ferme les yeux, je m’en souviens. Je ne vais pas mâcher mes mots. Ma vie était un enfer. Il n’y a jamais eu de moment où je n’étais pas malheureuse, ou déprimée.

Ma propre famille a fait de moi un bouc émissaire et m’a appris que ma valeur dépendait de la façon dont je leur faisais plaisir – que non seulement je ne devais pas m’attendre à l’amour ou au bonheur, mais bien à de la douleur et de la cruauté. En raison de mon handicap, j’étais une cible de choix pour les brimades : je n’ai jamais été encouragée à être quelque chose de plus que ce que les autres pensaient de moi. On me répétait sans cesse à quel point j’étais inutile.

Quand on passe son enfance et son adolescence à se faire rabâcher cela, vous n’aspirez plus à être autre chose que douce et humble. Vous n’apprenez pas à établir des limites. Vous n’apprenez pas à vous défendre. Vous apprenez seulement à éviter de souffrir davantage.

Étant handicapée, on attendait de moi que j’agisse normalement. Ma famille m’a laissée me débrouiller et je suis tombée dans le piège du « travail du sexe ». Je suis tombée dedans à cause d’un ex qui se comportait comme mes deux parents en un. C’était un sentiment familier, que je détestais et craignais à la fois et vers lequel je me sentais attirée, parce que c’est tout ce que je connaissais à l’époque. Personne ne m’a aidée ou a pris soin de moi. Personne ne s’est soucié de ce que je ressentais.

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« Vous allez devoir débarrasser mon cul de votre fantasme », compte-rendu de Pornographie d’Andrea Dworkin par Didier Epsztajn

Andrea Dworkin : Pornographie
Les hommes s’approprient les femmes

Editions Libre 2022, 340 pages, 20 euros

« J’ai rencontré d’énormes difficultés à écrire et à publier cet ouvrage. La pornographie que j’ai dû étudier pour l’écrire a envahi ma vie et m’a plongée dans une grande détresse personnelle. J’ai beaucoup de difficulté à gagner ma vie pendant cette période, en partie parce que les magazines et les journaux refusaient, presque sans exception, de publier mes écrits. Les maisons d’édition ne voulaient pas publier ce livre. L’achèvement de ce livre est pour moi le triomphe d’une écrivaine se battant pour sa survie. De nombreuses personnes m’ont aidée et je ne les oublierai jamais. Il est à la fois juste et véridique de dire que j’aurais sombré sans leur aide ». Andrea Dworkin dans ses remerciements en fin de livre.

Il aura fallu plus de quarante ans pour que Pornography : Men possessing Woman soit enfin traduit en français. Il faut en remercier Ann Leduc et Martin Dufresne. J’aurais aimé lire un tel livre beaucoup plus jeune, pour moins m’égarer dans certaines lectures, au nom d’une conception bien masculiniste de la liberté sexuelle revendiquée. L’autrice ne joue pas sur les mots, elle utilise ceux du quotidien dans toute leur âpre nudité. Elle ne se laisse pas tromper par des allégations sur l’érotisme et l’encensement d’ouvrages ouvertement pornographiques et violents, elle nomme et analyse des livres, des images, des productions de l’industrie pornographique. Andrea Dworkin discute des violences masculines faites aux femmes, des conséquences sociales de la consommation de pornographie, des rapports de domination, de l’humiliation des femmes parce qu’elles sont des femmes. Elle aborde aussi des productions soi-disant scientifiques naturalisant la domination masculine, discréditant le non des femmes, justifiant la violence et le viol… Quarante après, un livre toujours d’actualité.

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Lettre ouverte à Madame Anne Hidalgo, maire de Paris

Madame la maire,

Marina Ovsiannikova est la journaliste russe qui, le 14 mars 2022, soit vingt jours après l’invasion russe de l’Ukraine, a brandi une pancarte en direct pendant le journal télévisé, avec ce message :

« Non à la guerre. Arrêtez la guerre. Ne croyez pas à la propagande. Ici on vous ment. Russes contre la guerre. »

Le 15 mars, le président Macron lui a offert l’asile politique en France. 

Condamnée à une amende et laissée en liberté en attendant son procès, elle a continué à manifester son opposition à cette guerre.

Le 10 août, elle a été arrêtée. Elle risque dix ans de prison. Nous savons dans quelles conditions d’arbitraire se déroulent les procès dans la Russie de Poutine. 

Madame la maire, nous vous demandons d’afficher le portrait de Marina Ovsiannikova sur la façade de l’Hôtel de Ville de Paris, comme vous l’avez fait pour d’autres personnes persécutées.

Avec nos sentiments respectueux,

Catherine Deudon, cosignataire des Chroniques du sexisme ordinaire et auteur photographe de Un mouvement à soi et Florence Montreynaud, historienne

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Martin Dufresne : Quand PIVOT pivote…

[Juste en dessous, un petit « coup de gueule » de mon ami Martin.]

La revue PIVOT nous a servi cette semaine la nouvelle version d’un procédé récent qui s’assimile à une censure, soit une campagne de pression pour forcer une dramaturge à réécrire une pièce en réponse aux revendications d’un lobby. On note comme un goût de déjà-vu…

Dans ce cas-ci, ce sont des défenseurs de l’achat de sexe et du proxénétisme qui réclament de l’autrice Véronique Côté qu’elle modifie une pièce qui doit prendre l’affiche au Théâtre La Bordée de Québec dans un mois. La nouvelle pièce « La paix des femmes », un dialogue entre deux personnages aux opinions opposées, est accusée de ne pas soutenir suffisamment la thèse du Comité Autonome du Travail Sexuel (CATS), un groupe de pression qui exige la dépénalisation totale de l’achat de sexe et du proxénétisme au Canada.

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Susan Hawthorne : est-il acceptable que des hommes gays exploitent des mères porteuses confrontées à la pauvreté, au racisme, aux forces eugénistes et à la misogynie ?

par Susan Hawthorne

Document présenté à Broken Bonds and Big Money : Une conférence internationale sur la grossesse pour autrui[1] . Storey Hall, RMIT, Melbourne, 16 mars 2019.

Je suis lesbienne. Au cours de mes quarante années d’activisme politique, j’ai dénoncé à plusieurs reprises l’homophobie, tout en luttant contre la misogynie, le validisme, le racisme et la discrimination de classe, entre autres oppressions. Aujourd’hui, dans mon intervention, je vais critiquer les hommes gays qui engagent des femmes comme mères porteuses afin de satisfaire leur « désir » d’enfant. Ma critique s’adresse à toute personne – hétéro ou gay – qui se procure des enfants par le biais d’une mère porteuse. Je m’oppose à la violence contre les femmes et je suis intervenue particulièrement au sujet de la violence contre les lesbiennes. Comme il n’est pas recevable que les hommes accusent les femmes de chauvinisme, parce que les hommes sont le groupe dominant, de la même manière, lorsqu’une lesbienne critique la politique de certains gays, nous devons nous rappeler que les gays ont plus de pouvoir dans les structures patriarcales que les lesbiennes.

Mon opinion selon laquelle les gays ne devraient pas avoir recours à la grossesse pour autrui n’est pas une haine des hommes gays, mais plutôt une différence politique : une différence que j’exposerai dans mon intervention. Je ne suis pas la première personne à critiquer les hommes gays, en effet d’autres lesbiennes et gays l’ont également fait (voir Klein, 2017 ‘ Solis, 2017 ‘ Bindel et Powell, 2018).

J’approuve les mots de Julie Bindel et Gary Powell qui écrivent :

Nous sommes un gay et une lesbienne engagées depuis de nombreuses années dans la lutte pour l’égalité des gays et des lesbiennes et sur des questions plus larges de droits humains. Nous nous opposons sans équivoque à toutes formes de grossesse pour autrui, car celle-ci est contraire à l’éthique, dangereuse sur le plan juridique, médical et psychologique, et constitue une marchandisation violente des femmes et des bébés, sans parler des risques sanitaires importants et à peine signalés pour les femmes et les bébés concernés (Bindel et Powell, 2018).

POUVOIR

Le pouvoir est au cœur de la grossesse pour autrui, et ce dont nous parlons ici concerne un abus de pouvoir. Lorsqu’une personne dispose et peut exercer plus de pouvoir qu’une autre, il s’agit d’une relation de pouvoir inégal.

Arrêtons-nous sur les phrases suivantes :

Kim Kardashian West a eu un bébé grâce à une mère porteuse. Kim Kardashian est très riche. Qui a-t-elle « choisi » pour être sa « mère porteuse ». Une femme riche ? Probablement pas.

J’ai détesté être enceinte, … Mais autant j’ai détesté ça, autant j’aurais malgré tout aimé le porter moi-même. Le contrôle est difficile au début. Une fois que vous ne vous occupez plus de ça, c’est la meilleure expérience. Je recommanderais la grossesse pour autrui à n’importe qui (Fisher, 2018).

Mais, comme le montrent clairement les contributrices de Broken Bonds (Lahl, Tankard Reist et Klein, 2019), il est difficile de renoncer au contrôle et le fait de le maintenir est plus fréquent chez les parents commanditaires, avec des conséquences désastreuses pour les mères biologiques.

Bien qu’elle ait souffert de placenta accreta[2] lors de sa propre grossesse, Kim Kardashian a néanmoins considéré qu’il serait normal qu’une autre femme mette sa santé en danger afin qu’elle, Kardashian, puisse avoir un troisième enfant.

Une autre citation :

Elton John paie 20 000 £ à une mère porteuse pour avoir un deuxième fils (Daily Mail Reporter, 2013).

La femme reste sans nom, non seulement pour le public mais même sur le certificat de naissance. Et à la place, David Furnish (le mari d’Elton John) est identifié comme étant la mère.

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Andrea Dworkin : Introduction de son ouvrage Pornographie

1

Je n’hésitai pas à faire courir le bruit que tout homme blanc qui se proposerait de me fustiger aurait aussi à me tuer.

Vie d’un esclave américain, écrite par lui-­même,
Frederick Douglass (1845)

En 1838, à l’âge de 21 ans, Frederick Douglass devint un esclave en cavale, un fugitif pourchassé. Même si plus tard il devait acquérir sa renommée en tant que puissant orateur politique, il prononça ses premières paroles publiques avec trépidation lors d’une réunion d’abolitionnistes de race blanche au Massachusetts en 1841. Le leader abolitionniste William Lloyd Garrison décrivit ainsi l’évènement :

« Il s’approcha de l’estrade avec une certaine hésitation et gêne, sans aucun doute les pendants d’un esprit sensible dans une situation aussi peu familière. Après s’être excusé de son ignorance, et avoir rappelé à l’auditoire que l’esclavage est une bien pauvre école pour l’intelligence et le cœur humains, il fit le récit de certains épisodes de sa propre histoire en tant qu’esclave […]. Dès qu’il eut regagné sa place, je me levai, empli d’espoir et d’admiration, et rappelai à l’auditoire les risques auxquels s’exposait dans le Nord ce jeune homme émancipé par lui-­même — même au Massachusetts, sur la terre des pèlerins fondateurs, au milieu des descendants des Pères de la révolution ; et je leur demandai s’ils accepteraient jamais de voir celui-­ci ramené de force en esclavage — quoi qu’en dise la loi, quoi qu’en dise la Constitution[1]. »

Constamment en danger dans son état de fugitif, Douglass devint tout à la fois organisateur dans le camp abolitionniste ; éditeur de son propre journal qui plaidait en faveur de l’abolition et des droits des femmes ; chef de gare au sein du « chemin de fer clandestin » ; un proche camarade du célèbre John Brown ; et, lors de la convention de Seneca Falls en 1848, il fut la seule personne à seconder la résolution d’Élizabeth Cady Stanton réclamant le droit de vote pour les femmes. De mon point de vue, il était un héros politique ; une personne dont la passion pour les droits humains était à la fois visionnaire et ancrée dans l’action ; quelqu’un qui a pris des risques réels et non rhétoriques et dont l’endurance dans sa quête pour l’égalité a établi une norme en ce qui concerne l’honneur en politique. Ses écrits, aussi éloquents que ses discours, exprimaient son rejet catégorique de toute subjugation. Son intelligence politique, à la fois analytique et stratégique, était imprégnée d’émotions : l’indignation face à la douleur humaine, l’affliction face à l’avilissement, l’angoisse face aux souffrances, et la fureur face à l’apathie et à la collusion. Il détestait l’oppression. Son empathie pour celles et ceux qui souffraient de l’injustice dépassait les frontières de la race, du genre et de la classe parce qu’elle était animée par son propre vécu — l’expérience de l’humiliation et celle de sa dignité.

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INDISPENSABLE : « Pornographie: Les hommes s’approprient les femmes » d’Andrea Dworkin (Éditions LIBRE)

[L’avant propos par Dora Moutot.]

« S’il y a une féministe que j’aurais vraiment aimé rencontrer, c’est bien Andrea Dworkin.

Elle fait partie des femmes que j’admire, car elle a su parler de sexualité de façon novatrice, critique et incisive.

Mais je n’ai pas eu cette chance. J’avais 18 ans quand elle est décédée et à cette époque, je n’avais pas encore de conscience féministe.

Pourtant à 18 ans, je consommais déjà du porno sur internet, je pensais naïvement que c’était « cool » et même « progressiste ». Pendant de longues années, l’industrie porno a conditionné mes fantasmes et ma vie sexuelle, comme celles de tant de femmes et d’hommes, sans que je sois capable de percevoir les scripts misogynes qui avaient été implantés dans mon imaginaire sexuel par ce biais. 

Pornographie, Les hommes s’approprient les femmes d’Andrea Dworkin, initialement publié en 1979 dans sa version originale, est un pilier du féminisme radical, un livre visionnaire sur l’industrie pornographique et son impact sur les rapports femmes-hommes et sur la société.

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Aucune femme ne nait pour être pute (un extrait du livre)

[Juste après, un extrait du livre de la bolivienne Maria Galindo (membre fondatrice du collectif féministe libertaire Mujeres Creando) avec l’argentine Sonia Sanchez (membre du collectif Ammar Capital). Aucune femme ne nait pour être pute est publié aux éditions Libre, traduit par Louise Mingasson & Aloïse Denis pour l’intro et les annexes.

L’extrait est un passage du chapitre 6 intitulé : EUX ILS PROSTITUENT ET C’EST BIEN, MOI JE ME PROSTITUE ET C’EST MAL. il est reproduit avec l’aimable permission des éditions Libre]

LE PERE, LE FILS ET LE SAINT ESPRIT

LESBIENNE : Ce chapitre qui parle de la place des hommes au sein de la prostitution soulève d’emblée quelques problèmes théoriques. D’abord, il s’agit ici de parler de « l’autre ». De cet « autre » masculin qui n’est pas impliqué dans un processus de dialogue direct dans cet ouvrage.

Tout au long de ces chapitres, nous avons opté pour un discours à la première personne, issu de notre expérience et de notre analyse. Mais pour parler de ce sujet, nous devons changer de place. Nous parlons d’un tiers, face auquel nous nous plaçons, en examinant deux positions politiques : celle du putard, que nous analyserons en profondeur, et celle, bien qu’il s’agisse d’une position « imaginaire », de l’individu qui ne serait aucunement complice du premier.

Le deuxième problème que nous rencontrons est celui de l’absence : avec qui aborder le sujet de la consommation des corps depuis l’univers masculin ? Existe- t- il un espace « masculin » qui ne soit pas complice, même symboliquement, du putard ? S’il en existe, comment et à partir de quoi se construit- il ?

De plus, est- ce vraiment à nous de considérer ce problème politique qui, sans sujet pour l’enrichir, reste vide et en suspens ? Ça ne veut pas dire qu’en remettant la pute en question, nous n’ayons que l’univers masculin à questionner, que l’univers des non- putes reste extérieur à cette problématique. Nous traitons de ce point, le rôle des non- putes, dans un chapitre spécifique parce qu’il a des implications politiques différentes et qu’il présente des formes de complicité, de condamnation ou de normalisation qui requièrent un autre axe d’analyse.

Face à la pute qui se remet en question, la seule démarche politique possible est la remise en question de soi, et ça vaut pour le masculin aussi, évidemment.

PUTE : Et quelle absence ! En tant que femme ayant été prostituée, je ne pense pas que, du côté des hommes, quelqu’un fasse une analyse profonde de tout ça. C’est un problème politique duquel ils se sentent très éloignés. La preuve, lors de l’exposition, quand nous avons posé des questions concrètes pouvant servir d’amorce à une analyse, il n’y a pas eu de réponses vis- à- vis d’où doit commencer cette réflexion, pour la simple raison qu’il manquait la maturité et le courage nécessaires pour envisager cet autre espace. Il s’agit d’une absence et d’un vide politique terribles.

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Sophie Péchaud : « Comme un poisson dans l’eau… d’un bocal »

[Article reproduit avec l’aimable autorisation de l’autrice.]

Depuis 1985, date de la création de l’AVFT et même bien antérieurement à celle-ci, nulle autre période que l’épidémie de Covid n’a eu un impact aussi fort sur l’organisation du travail et le quotidien des travailleuses. Du jour au lendemain, la très grande majorité des Françaises et des Français a été contrainte de modifier en profondeur sa façon de travailler et ses interactions avec le monde extérieur : collègues, supérieurs, patron.ne.s, prestataires, client.es.
La pratique du télétravail, assez peu répandue avant mars 2020 est devenue la norme pour toutes les professions qui pouvaient être « dématérialisées », alors que les secteurs du soin, de la santé, de l’hôtellerie, du ménage, surreprésentés par les femmes -et dans lesquelles les violences sexuelles au travail sont très importantes- ont été encore plus durement touchés par la crise sanitaire.

Si la hausse des violences conjugales pendant la période du covid a été rapidement documentée face à l’augmentation massive des signalements [1] , une semaine à peine après la date du premier confinement, l’impact du covid sur les violences sexistes et sexuelles au travail est toujours un angle mort.

Pendant le premier confinement de mars 2020, l’activité de l’AVFT n’a pas cessée, l’accueil téléphonique a été maintenu sans interruption. Même si le nombre de saisines de l’association par les victimes de violences sexuelles au travail a baissé pendant cette première période, il a augmenté considérablement à l’approche du déconfinement puis dans les mois qui ont suivi. Nous avons alors reçu plusieurs témoignages de femmes pour qui la crise sanitaire a eu un effet sur les VSS au travail qu’elles subissent ou subissaient.

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Un nouvel espoir pour Alexandra Richard !

Admise devant la Cour de Cassation, son affaire pourrait être rejugée à l’issue de la procédure Le pourvoi en Cassation formé par Alexandra Richard à la suite de son procès en appel, qui l’a condamnée à 10 ans de prison ferme en octobre 2021, a été accepté par la Cour de Cassation. Le rapporteur public considère que les questions posées sont inédites et qu’elles méritent d’être examinées. Nous y voyons un espoir que le déni de justice dont Alexandra Richard est victime soit enfin reconnu comme tel. 

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Michel Piron en garde à vue. Derrière Jacquie et Michel : un système organisé de proxénétisme et de viols.

[communiqué de presse d’Osez le féminisme !]

Nous nous réjouissons d’apprendre que Michel Piron, propriétaire de Jacquie et Michel, et quatre complices, sont actuellement en garde à vue pour des faits de proxénétisme, complicité de viols et d’agressions sexuelles. L’impunité des pornocriminels se fissure, et la justice écoute enfin les victimes. C’est toute l’industrie pornographique qui est dorénavant face à la justice : acteurs, rabatteurs, producteurs, réalisateurs, diffuseurs constituent un véritable système proxénète et criminel. Nous exigeons que cesse cette zone de non-droit qu’est la pornographie.

En 2020, Osez le Féminisme, les Effrontées, et le Mouvement du Nid ont fait des signalements contre Jacquie et Michel pour proxénétisme, viols, traite des êtres humains et actes de torture et de barbarie, suite à l’enquête du journaliste Robin d’Angelo, qu’il relate dans “Judy, Lola, Sofia et moi”, et dans la vidéo-enquête sur Konbini de février 2020. Dans cette vidéo, l’un des fondateurs de ARES, la société propriétaire de Jacquie et Michel déclarait à propos de leurs méthodes de rabattage : “En France, (…) c’est interdit. C’est du proxénétisme. De toute façon, si tu trouves une fille, on met un truc qui n’a rien à voir (…) pour ne pas s’attirer les foudres”. La défense de Piron qui consiste à dire qu’il n’était pas au courant des violences commises sur les tournages est intenable alors que ce sont les diffuseurs qui commandent ces contenus violents et dégradants aux producteurs. Le “porno amateur” est un vaste mensonge. Seul existe un système de proxénétisme organisé. Les pénétrations sexuelles obtenues sous contrainte, les violences sexuelles et les actes de torture infligés, les manipulations commises contre des femmes rabattues et piégées, les diffusions incontrôlées des vidéos sont la norme de cette industrie criminelle. 

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Romane Bouché : L’appel à l’aide de Zahia Dehar

Dans un « live » Instagram, Zahia Dehar, 29 ans, s’est exprimée sur la prostitution. Son parcours, glaçant, résonne comme celui de milliers de mineures en France. Il est temps que le soutien nécessaire lui soit apporté, comme à toutes les victimes de prostitution. 

Nous sommes le 11 décembre 2021 lorsque Zahia Dehar prend la parole sur son compte Instagram. Prostituée à 16 ans, elle est révélée au grand public en 2008 par l’affaire qui porte son nom. Certains parlent même, depuis « d’effet Zahia ».

Karim Benzema et Franck Ribéry, grands noms du football sont mis en cause pour avoir été ses « clients » prostitueurs ». Passibles d’une peine de prison pour prostitution de mineure, ils n’ont pas été condamnés. La justice a estimé qu’ils ne savaient pas qu’elle était mineure au moment des faits.

Treize ans plus tard, le traumatisme resurgit. « J’avais entendu dire que beaucoup de victimes de pervers narcissiques voulaient se suicider et je me rends compte que c’est vrai», explique Zahia en sanglotant. « J’ai même essayé de me tailler les veines il n’y a pas longtemps. C’est là, vous voyez, c’est ce que j’ai fait ». Elle montre son bras à la caméra.

On est loin de l’image policée de la star dUne fille facile, le film de Rebecca Zlotowski récompensé à la Quinzaine des Réalisateurs du festival de Cannes en 2019. Car oui, derrière le fantasme de la prostituée, derrière la notoriété d’une jeune fille manipulée, propulsée dans le show-business, se cache une réalité violente.

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Berta O. García : Casting d’esclaves – hier et aujourd’hui

[Je reproduis ici un chapitre d’un ouvrage tout récent, publié aux éditions L’échappée : Ventres à louer, une critique féministe de la GPA, coordonné par Ana-Luana Stoicea-Deram et Marie-Josèphe Devillers.

Grand merci aux autrices et aux éditions L’échappée pour l’autorisation de reproduire ce chapitre]

L’exploitation reproductive, faussement appelée maternité de substitution, consiste à fragmenter et à briser le lien materno-filial, lien primordial de l’espèce humaine. Fracture qui est à l’origine de toutes les violations des droits humains à l’encontre des femmes et des nouveau-nés.

Bien que de plus en plus de personnes soient conscientes de la violation des droits des femmes dites « porteuses » et des nouveau-nés, il existe un aspect de cette pratique violente dont on parle peu et qui reste à l’arrière-plan : les conditions requises pour devenir mère porteuse, qui constituent une attaque contre les droits des femmes, en particulier leurs droits sexuels et reproductifs.

IMPOSER DES CRITÈRES STRICTS
L’industrie de l’exploitation reproductive se targue de sélectionner les candidates mères porteuses sur des critères très stricts, avec un examen complet et une évaluation scrupuleuse qui éliminent la majeure partie des candidates.

Les exigences en question varient sensiblement en fonction de la législation des pays où la pratique est légale ou autorisée : se situer dans une certaine tranche d’âge, bénéficier d’une condition physique satisfaisante, d’un rapport poids-taille adéquat, être exempte d’antécédents psychiatriques et pénaux, ne pas avoir de liens familiaux avec les parents commanditaires, disposer d’un certain niveau de revenus – même minime –, de préférence ne pas être mariée, ne pas avoir subi plus de X césariennes, ne pas consommer de tabac, de drogues et d’alcool[1]… Mais l’exigence universelle est que la candidate recrutée pour porter un enfant pour le compte de tiers ait eu au moins un enfant vivant et en bonne santé.

Ces critères de sélection tant vantés fluctuent en fonction de l’offre et de la demande. Aujourd’hui, en raison de la catastrophe économique provoquée par le covid et de l’aggravation de la féminisation de la pauvreté qui en découle, de plus en plus de femmes sont prêtes à s’y engager pour assurer leur subsistance et celle de leur famille. Leur imposer le respect des conditions requises en devient d’autant plus facile.

Ce premier filtre passé, les cliniques, les agences et les commanditaires eux-mêmes imposent à leur tour leurs propres exigences, qu’il s’agisse, par exemple, d’examens médico-légaux surprises pour vérifier que la femme enceinte s’est effectivement abstenue de fumer, de boire ou de consommer des drogues, qu’elle est une femme honorable, qu’elle est croyante et craint Dieu, qu’elle acceptera d’allaiter l’enfant jusqu’à 24 mois… Nous avons même rencontré récemment un cas pour le moins inquiétant : des parents commanditaires exigent de « leurs » porteuses qu’elles ne soient pas vaccinées contre le covid et qu’elles s’engagent à ne pas l’être pendant leur grossesse ; dans le cas contraire, elles risqueraient d’être contraintes à avorter.

DEUX POIDS, DEUX MESURES
En revanche, les conditions imposées aux clients sont minimes et sont même, quand elles existent, considérées comme discriminatoires. Par exemple, si la législation définit que seuls auront accès à la pratique les ressortissants ou les résidents, les couples hétérosexuels mariés ou les personnes appartenant à une tranche d’âge spécifique, on fait valoir que cela stigmatise les étrangers, les couples de même sexe, les célibataires, les personnes âgées. Mais ces exigences sont rapidement et facilement caduques, car la seule condition à laquelle les clients doivent réellement répondre est celle de disposer d’une capacité financière suffisante.

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Osez le féminisme ! : L’industrie pornocriminelle cible les enfants et la justice abdique ! (Communiqué de presse)

Malgré la loi qui l’interdit, l’industrie pornocriminelle cible les enfants, les conditionne à l’érotisation de la violence sexuelle, à la culture du viol, à la haine des femmes, à la haine raciale, en toute impunité. L’ARCOM a saisi le 8 mars 2022 la justice qui vient ce 24 mai de refuser le blocage de cinq sites pornographiques pourtant mis en demeure de vérifier l’âge des internautes. La Justice a fait primer les intérêts des pornocrates et des “consommateurs” de pornographie sur les droits fondamentaux et l’intégrité psychique et physique des enfants. 

La star Billie Eilish a déclaré avoir visionné du porno dès l’âge de 11 ans, et que cela avait “détruit son cerveau”. Au moment d’entrer dans la sexualité, “dévastée” par la pornographie, elle n’a pas réussi à refuser des pratiques violentes non désirées et reste hantée par des cauchemars, conséquences traumatiques de son exposition précoce à des violences sexuelles pornographiques. 

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Notre sang, d’Andrea Dworkin – un compte rendu de Claudine Legardinier

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« Notre sang » d’Andrea Dworkin vient d’être réédité aux Editions des femmes dans une traduction de Camille Chaplain et Harmony Devillard. Essentiel !

Radical. Explosif. Eclairant de bout en bout. Lire Andrea Dworkin, c’est un peu comme mettre les doigts dans la prise électrique. Le patriarcat, ce « système suprémaciste masculin  qui nous opprime et menace de détruire toute vie sur cette planète » y est passé au crible à travers neuf discours tenus dans les années 1970 par une grande féministe américaine dont Kate Millett, sœur de combat, pourra dire qu’ils contiennent «  la fureur de générations de femmes silencieuses  ».

Nation sexiste, nation raciste, Dworkin traque aux Etats-Unis et partout sur la planète une pathologique volonté de domination dont elle appelle les femmes à se libérer. Jetée sur les routes suite à ce qu’elle appelle le blocus des éditeurs (qui lui reprochent son manque de « féminité »), elle devient une brillante oratrice qui taille ses formules au couteau : « Les hommes sont possesseurs de l’acte sexuel, de la langue qui décrit le sexe, des femmes qu’ils chosifient »« Le viol n’est en rien un excès, ni une aberration, ni un accident, ni une erreur – il incarne la sexualité telle que la définit la culture ».

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Sortie de « Last Girl First ! La prostitution à l’intersection des oppressions sexistes, racistes et de classe » une étude de CAP International.

Le 22 Mars, CAP International a sorti le rapport de recherche « Last Girl First ! La prostitution à l’intersection des oppressions sexistes, racistes et de classe ».

Ce rapport est le fruit de deux ans de recherche, il couvre 49 pays, rassemble les témoignages de plus de 40 survivantes de la prostitution et de la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle, d’expert.e.s de terrain travaillant auprès des personnes en situation de prostitution aux quatre coins du monde et compte plus de 500 références.

Cette étude explore la surreprésentation des femmes et des filles issues des communautés les plus marginalisées dans la prostitution. Partout dans le monde, les femmes autochtones (Premières Nations, Maori, Adivasi), migrantes, pauvres, issues de minorités ethniques, raciales ou religieuses, des castes les plus basses (Dalits, Badi) sont impactées de manière disproportionnée par le système prostitutionnel.

La recherche « Last Girl First » développe va ainsi au-delà d’une simple analyse de la prostitution en termes de risques sanitaires et offre une analyse complète des oppressions intersectionnelles qui façonnent la prostitution.

En retraçant les racines historiques, politiques, sociales et les dynamiques de ce système, cette étude met en lumière les réalités de la prostitution et la manière insidieuse dont différents schémas de domination tels le patriarcat, le racisme, le colonialisme, l’impérialisme, la domination de classe, le capitalisme, la guerre et la militarisation façonne le système prostitutionnel et aboutissent à l’exploitation économique et sexuelle de franges entières de la population. Parmi ces dernières, la classe politique des femmes et particulièrement celles en situation de précarité ou racisées. Elles sont celles qui sont désignées comme « prostituables », comme une classe à part devant satisfaire la demande masculine pour l’exploitation de leur corps.

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Pour que le #MetooSyndical s’amplifie !

Pour que le Metoo syndical s’amplifie !

Une militante syndicale vient de déposer plainte contre un syndicaliste de la CGT pour « viol, agression sexuelle, torture et actes de barbarie ». Nous sommes bouleversées. Nous pensons à elle, sa force, son courage et à ses soutiens. Nous lui adressons notre solidarité sans faille face à ces faits gravissimes et aux pressions exercées contre celles qui voudraient s’exprimer. Nous sommes disponibles pour toutes actions en soutien de la camarade victime, à partir de son rythme et de sa volonté.

Les mandats confédéraux de cet homme ont été suspendus par la commission exécutive confédérale (CEC) de la CGT le 22 février 2022. Nous saluons la réactivité de cette mesure mais cela ne suffit pas. La suspension de ses mandats confédéraux n’a pas fait l’unanimité avec 1 vote contre et 3 abstentions. Les syndicalistes qui ne votent pas de mesures conservatoires pour protéger de toute forme de représailles, la victime, et les syndiqué.es qui vont devoir continuer de les côtoyer, sont les complices des agresseurs et de l’impunité dont ils bénéficient.

Nous espérons qu’une enquête interne menée par la cellule de veille de la CGT permette d’avancer dans la connaissance des faits, du passif de ce « militant » pour prendre les décisions définitives qui s’imposent. Dans le communiqué du 28 février 2022, l’Union départementale 94 ose le maintenir dans ses mandats locaux. Pour nous, il n’est pas possible de s’en rendre à la justice de Dupond-Moretti et la police de Darmanin, membres d’un gouvernement dont nous combattons les politiques libérales et liberticides et représentants d’une justice patriarcale qui tranche rarement en faveur des victimes de violences sexuelles. Cette décision est une nouvelle agression pour la victime et toutes celles et ceux qui se battent dans la CGT et dans les autres syndicats pour stopper ces violences où qu’elles soient commises (travail, syndicat, vie conjugale…).

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Continuer la lutte anti-militariste avec l’inspiration d’Andrée Michel

En honneur à son enthousiasme et sa fougue, à son courage et à son exemple de lutte, quelques éléments de son parcours et de sa réflexion, repris de la préface de son dernier ouvrage : https://www.editions-ixe.fr/catalogue/feminisme-et-antimilitarisme/. Andrée Michel est décédée le 8 février 2022.

Andrée Michel : une féministe anti-militariste dans le siècle

Larges extraits de l’Avant-propos de Jules Falquet au livre d’Andrée Michel

Hay mujeres que luchan un día, y son buenas
Hay mujeres que luchan muchos dias, y son muy buenas
Hay mujeres que luchan muchos años, y son mejores
Y hay mujeres que luchan 101 años
Estas son las imprescindibles 

Bertold Brecht (adaptation)

Solo le pido a Dios
Que la guerra no me sea indiferente
Es un monstruo grande y pisa fuerte
Toda la pobre inocencia de la gente
 
Chanson de Mercedes Sosa

On connaît généralement Andrée Michel comme l’une des premières sociologues de la famille, puis des femmes et du travail, dans les années 1960 et 1970 en France. Pourtant, au-delà de ces travaux novateurs, aujourd’hui devenus classiques, on a à faire à une féministe « intégrale » – à la fois militante et chercheuse – et à une précurseuse dans plusieurs autres domaines capitaux, notamment la sociologie des migrations mais aussi, et surtout, le militarisme et le Complexe militaro-industriel (CMI), expression traduite de l’américain qu’elle a été la première à utiliser en France (Michel, 1985a). 

Dans les années 1950, elle ouvre le champ de la sociologie des migrations en France, étudiant et dénonçant les conditions de logement et de travail des ouvriers algériens, tout en s’engageant dans les luttes anti-coloniales, algériennes en particulier. Dès les années 1960, elle milite activement au Planning familial, publie l’un des premiers ouvrages de référence sur la situation des femmes (Michel et Texier, 1964), puis le premier (et unique) « Que sais-je ? » sur le féminisme, paru en 1972 et traduit en six langues. Après plusieurs années à enseigner en Algérie, puis aux États-Unis et au Canada, revenue en France elle fonde en 1974 la première équipe de recherche sur les femmes au CNRS. 

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Le livre d’Elize Ducange : Juste à moitié… Dévorée (une courte présentation par des extraits)

Les témoignages des survivantes de l’inceste et les luttes pour stopper les agressions ont gagné en puissance grâce à la trainée de poudre qu’est #MeToo.
Ici, avec Juste à moitié… Dévorée, Elize Ducange livre son récit des violences subies dans l’enfance.

Banale histoire d’une petite fille hantée

Gardienne du secret à perpétuité

je suis condamnée

Puisque tout est cause et conséquence

je suis la cause

je suis la conséquence

trop jolie qu’ils disaient

il faut se méfier

il faut s’en méfier

petite tentatrice de 3 ans

offrir ses fesses à nettoyer forcément

l’idée a germé.

Malgré ce vécu fait de traumatismes, et peut-être d’autant plus du fait de ce vécu, l’autrice développe une certaine poésie dans son témoignage, une poésie belle, touchante et poignante.
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Déviriliser le monde, une urgence

Plusieurs publications féministes sortiront prochainement en librairie : Féminisme et réseaux sociaux – une histoire d’amour et de haine(éd. Hors d’atteinte) de Elvire Duvelle-Charles et Déviriliser le monde – demain sera féministe ou ne sera pas (éd. Rue de l’échiquier) de Céline Piques.  Les deux autrices sont des activistes de longue date ; la première a débuté au sein des Femen, la seconde est dans Osez le féminisme !, en tant qu’actuelle présidente de l’asso.

Bien que l’ouvrage Féminisme et réseaux sociaux m’ait fait découvrir tout un pan de l’activisme numérique – de sa force mais aussi des difficultés, des pièges et des impasses rencontrées dans ce type de mobilisation – je vais me concentrer sur l’ouvrage de Céline Piques.

Son Déviriliser le monde, pensé « comme un manifeste politique », est le 3ème titre féministe de la belle petite collection Les incisives, après celui de Réjane Sénac (L’égalité sans condition) et celui de Reine Prat (Exploser le plafond).

Dans son avant-propos, l’autrice précise qu’elle défend un « féminisme matérialiste » associé à une perspective « écoféministe ». Les cinq chapitres qui suivent alors se déclinent ainsi : « lutter contre les violences masculines », « lutter contre les violences prostitutionnelles et pornocriminelles », « se réapproprier nos corps », « se réapproprier notre travail et repenser la famille », et pour conclure « se réapproprier nos vies ». Un vaste programme qui traite aussi bien du lesbianisme, du travail ménager, de la fiscalité, de la correctionnalisation des viols, des droits reproductifs, de la médecine, de la stratégie de l’agresseur, de l’instrumentalisation du féminisme à des fins racistes, et des désastres écologiques en cours ; avec parfois, pour ce faire, une mise en comparaison avec d’autres pays.

J’ai particulièrement apprécié sa critique du « consentement » – « un concept vicié » – qui rejoint celle de C. Le Magueresse, ainsi que sa dénonciation du calcul des impôts, qui va dans le même sens que le diagnostic posé par C. Delphy. Certaines des propositions de Céline Piques consiste en un recours à l’état pour pallier les inégalités. Elle plaide par exemple pour un « véritable service public de la petite enfance », quand le désinvestissement des hommes vis-à-vis de leurs enfants est flagrant. Sur ce sujet, la remarque de Delphy persiste : « Les revendications sont adressées aux patrons, ou à l’Etat, jamais aux hommes ». Et la question demeure : « Par où attaquer le « partage inégal » du « travail ménager » ? »

Voici quelques idées ou citations que j’ai particulièrement retenues du livre, et je ne doute pas que son lectorat en retiendra bien d’autres :

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Edouard Leport : Les dégâts du « syndrome d’aliénation parentale » (SAP) 

[Dans l'attente d'un compte-rendu du livre d'Edouard Leport, voici déjà un extrait reproduit avec son aimable autorisation]

L’un des outils les plus dangereux et les plus efficaces pour neutraliser l’opposition des enfants et des mères aux demandes des pères est le « syndrome d’aliéna­tion parentale », abrégé en SAP et parfois euphémisé en « aliénation parentale », « exclusion parentale » ou « emprise et manipulation mentale d’un parent sur l’enfant ».

Le « syndrome d’aliénation parentale » est décrit pour la première fois en 1985 par son inventeur, le psy­chiatre et psychanalyste étasunien Richard Gardner, comme « un trouble propre aux enfants, survenant quasi exclusivement dans les conflits de droit de garde, où un parent (habituellement la mère) conditionne l’enfant à haïr l’autre parent (habituellement le père). Les enfants se rangent habituellement du côté du parent qui se livre à ce conditionnement, en créant leur propre cabale contre le père[1]». Gardner a forgé cette définition à partir de pseudo-constats dont il ne donne jamais de preuves empiriques. Il affirme ainsi que 90 % des enfants dont les parents se disputent la résidence souffrent du syndrome d’aliénation parentale ; que la majorité des allégations de violences sexuelles sur enfant faites dans le cadre de conflits sur la garde des enfants sont fausses ; que 90 % des fausses allégations sont le fait des mères.

Il se propose alors de créer des outils pour déterminer si les accusations de violences sexuelles formulées par les enfants sont vraies ou fausses, tout en partant du principe qu’elles sont fausses à 90 % dans le contexte des séparations conjugales. Le fondement circulaire et autojustificatif du raisonnement est donc éclatant dès le départ.

Un autre aspect particulièrement problématique dans le raisonnement de Gardner est qu’il considère que les « paraphilies » (les comportements sexuels préda­teurs[2]) des êtres humains sont des mécanismes naturels d’adaptation qui favorisent la procréation et assurent donc la survie de l’espèce humaine[3]. Il avance également que les femmes seraient disposées à être traitées violem­ment, voire violées par des hommes, car ce serait le prix à payer pour « recevoir du sperme » et donc participer à la procréation. En plus de la misogynie qui transpire dans ces propos, la dimension tautologique du raisonne­ment est encore une fois évidente : si l’inceste, le viol et les violences sexuelles en général ne sont pas considérés comme des sévices intolérables, alors leur dénonciation n’est ni indispensable ni légitime. Ces actes, supposés être dans la nature humaine, ne justifient pas, selon Gardner, le rejet de leur père par les enfants qui en sont victimes.

Contrairement à ce qu’affirment les partisans du syndrome d’aliénation parentale, et comme le montrent de nombreuses sources répertoriées par la juriste états-unienne Jennifer Hoult[4], il n’y a jamais de vagues de fausses accusations contre des pères, ni pendant les procédures de divorce ou de séparation ni en dehors. À cet égard, il est intéressant de noter que Gardner formule sa théorie du syndrome d’aliénation parentale dans les années 1980 aux États-Unis – une période où de très nombreuses accusations de violences sexuelles sur les enfants ont été médiatisées et se sont révélées vraies pour leur immense majorité. Les dénonciations d’incestes et de violences intrafamiliales avaient alors commencées à être prises au sérieux et les auteurs de ces actes avaient dû en assumer les conséquences devant la justice. La théorie de Gardner permettait de préser­ver l’impunité des hommes auteurs de ces violences sexuelles sur leurs enfants en accusant les mères d’avoir manipulé ces derniers pour les faire mentir[5].

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Emmanuel Reynaud : La Sainte Virilité (éd. Syros, 1980) [extraits]

[Je mets plus bas 2 extraits d’un livre plutôt oublié. Ceux-ci figurent parmi les premières pages - à mon sens les meilleures. On trouve dans La Sainte Virilité des analyses qui s'approchent, avec moins de clarté, de celles de Stoltenberg avec son Refuser d'être un homme ; livre que je (re)conseille vivement. Hormis La Sainte Virilité et un article dans la revue Questions Féministes, je n'en sais pas vraiment plus sur Emmanuel Reynaud.]

Au lieu de reconnaître que les différences biologiques fondamentales entre hommes et femmes sont limitées aux fonctions différentes des sexes mâle et femelle dans le processus de la reproduction, certains scientifiques cherchent au contraire à les étendre à divers aspects du comportement et des aptitudes de chaque sexe.

Toute une série de travaux se basent sur la décou­verte qu’une imprégnation des structures nerveuses du fœtus par les hormones sexuelles détermine, à un moment donné, le fonctionnement définitif de l’hypothalamus, soit sur un mode stable assurant la production constante d’hormones mâles, soit sur un mode cyclique comman­dant la production alternée des deux types d’hormones femelles. A partir de cette meilleure compréhension du mécanisme de la différenciation sexuelle biologique, se développent de nombreuses expériences — sur les animaux — tendant à lier — chez les humains — hormo­nes et comportement. D’autres travaux s’attachent, dans le même ordre d’idées, à montrer qu’un développement et un fonctionnement différents des hémisphères céré­braux chez hommes et femmes impliqueraient des diffé­rences d’aptitude selon le sexe : une capacité verbale meilleure chez les femmes, et une orientation et un trai­tement des tâches globales meilleurs chez les hommes.

Ce genre de recherches, qui tentent de donner une justification biologique aux sexes sociaux, appellent quel­ques commentaires. En effet, bien qu’elles ne manquent pas d’associer au « déterminisme comportemental bio­logique » l’influence de « facteurs psychosociaux » dans la formation de l’individu(e), elles semblent par contre ignorer que la biologie elle-même n’est pas une donnée figée, mais le produit d’une relation à l’environnement ; et cela aussi bien au niveau de l’histoire individuelle (ontogénèse) que de l’histoire de l’espèce (phylogénèse). Les hommes et les femmes tels qu’ils sont aujourd’hui n’ont ainsi rien à voir avec une quelconque « nature humaine », ni avec des « natures masculine et fémi­nine », mais sont le résultat de la division sociale en deux sexes antagonistes.    

En ne remettant pas en cause la division en sexes, on ne peut qu’expliquer a posteriori des modes de compor­tement socialement constatés et historiquement déter­minés. Dans le même ordre d’idées, l’étude d’ « enfants sauvages » qui, isolés depuis leur naissance, sont inca­pables de parler, mettrait sûrement en lumière une inaptitude de ceux-ci au langage… cependant, quelles conclu­sions pourrait-on en tirer pour des humains élevés dans des conditions différentes ?

Quel intérêt y a-t-il à chercher à définir les aptitudes et potentialités de chaque sexe, alors que justement il est actuellement impossible aux individu(e)s de découvrir et développer leurs propres potentialités du fait de leur enfermement dans des catégories de sexe.

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Mélissa Blais : « Féministes radicales et hommes proféministes : l’alliance piégée ? »

[Article republié avec l’aimable autorisation du blog Les Ruminant-e-s . Il est imprimable au format pdf ici :

Féministes radicales et hommes proféministes : l’alliance piégée ? (publié dans F. Dupuis-Déri (dir.), Québec en mouvements. Montréal, Lux, 2008, 276 p.)

Féministes radicales et hommes proféministes : l’alliance piégée[1] ? par Mélissa Blais.

Aux sorcières d’hier, d’aujourd’hui et de demain.

À nos rires et nos luttes.

L’actualité féministe nord-américaine est marquée par des questionnements internes, notamment quant aux possibilités d’ouverture face à des hommes désireux de s’investir dans cette lutte contre la hiérarchie entre les sexes. Les multiples milieux féministes, autant institutionnels (comme par exemple les comités femmes des syndicats)[2] qu’affinitaires et autonomes, poursuivent cette réflexion. La récente Commission parlementaire sur la réforme éventuelle du Conseil du statut de la femme est exemplaire de cette remise en question d’espaces de femmes non-mixtes. La promotion croissante de la mixité organisationnelle touche également les milieux radicaux et, plus spécifiquement, l’environnement des groupes féministes radicaux[3] de Montréal.

Ce débat actuel est stimulé par un ensemble de facteurs. D’un point de vue général, on peut noter l’influence grandissante des théories défendues par des féministes critiques du féminisme radical, et qui se revendiquent d’une « troisième vague », ou d’un « nouveau féminisme ». L’accroissement de la visibilité et de la légitimité accordée aux hommes se disant proféministes participe également du phénomène de remise en question de la non-mixité. Les groupes d’hommes proféministes québécois, tels qu’Hommes contre le patriarcat, ont par leur présence ouvert la porte à des collaborations avec les féministes radicales. Celle-ci sont parfois tentées, par une utopie d’un travail égalitaire possible avec certains hommes – les « bons gars » – d’oublier les privilèges historiques que ces derniers ont tiré de l’appropriation collective et individuelle des femmes (pour ne nommer que l’appropriation du corps et du travail des femmes), qui se manifestent notamment par des comportements et des attitudes oppressantes envers leurs « alliées » féministes. Cette utopie explique en grande partie la collaboration entre les hommes proféministes et des militantes de collectifs féministes radicaux, tels que Les Sorcières et Cyprine, dans le cadre de coalitions mixtes.

L’explication proposée ici est le fruit de réflexions découlant d’expériences qui serviront à présenter une analyse davantage descriptive des groupes féministes autonomes de Montréal, et finalement une critique de certains liens entretenus avec des hommes proféministes[4]. Je tenterai d’évaluer les impacts des collaborations avec les hommes proféministes en tenant compte des remises en question structurelles, théoriques et idéologiques qui marquent l’actualité féministe montréalaise. Pour ce faire, j’étudierai la coalition antimasculiniste créée dans le but de répondre aux discours des masculinistes organisés autour du Congrès Paroles d’hommes, en avril 2005.

LES GROUPES DE FÉMINISTES RADICALES ET AUTONOMES DE MONTRÉAL

Les divers groupes actuels de féministes radicales francophones non-mixtes et autonomes sont nés à la fin des années 1990 ou au début des années 2000. Je compte présenter ici trois de ces groupes, soit Les Sorcières (auquel je participe), Némesis et Cyprine, car mon implication politique m’a permis de connaître davantage ceux-ci. Il ne faut pas pour autant oublier l’existence d’autres groupes permanents ou éphémères, comme des comités de femmes du mouvement étudiant québécois, ou encore les Lilitantes, qui ont organisé un événement artistique le 6 avril 2006, ainsi que les Amazones, qui se sont mobilisées lors de la grève étudiante de 2008 et contre le projet de loi C-484 ouvrant la porte à la recriminalisation de l’avortement. Par ailleurs, les organisations d’extrême-gauche comptent sur la participation de féministes radicales, tout comme les milieux communautaires et institutionnels. Les groupes que nous étudierons apparaissent soit dans le cadre des mobilisations contre le capitalisme (Némésis), en réaction à des comportements sexistes dans le milieu militant (Les Sorcières) ou encore de la dynamique stimulante de la Rencontre féministes radicales à Montréal en 2003 (Cyprine). Les militantes du milieu féministe radical montréalais se reconnaissent par leur conviction que les femmes sont soumises à un système de domination spécifique, le patriarcat, ainsi que par leurs combats contre les privilèges masculins. Cette compréhension systémique de rapports de sexe fondamentalement inégalitaires et oppressants pour les femmes constitue leur point de ralliement permettant l’alliance dans les actions menées.

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Didier Epsztajn : Grimpons au sommet d’un building histoire d’aller croquer quelques avions de chasse

« La culture systémique du viol préside à l’organisation de nos sociétés occidentales. L’objet de ce livre est de montrer qu’elle irrigue aussi tout un pan de la culture pop : celui des dinosaures en littérature et au cinéma »

Loin des tristesses ou de l’arrogance de certaines analyses, Ïan Larue éclaire la nuit de ludiques images. Elle nous parle avec humour de dinosaures, de constructions mentales, de serpent et d’anathème religieux, « Les animales que nous fantasmons sous le nom de reptiles sont pensées comme notre envers diamétral », de scènes cultes hollywoodiennes, de reptiliennes et de déesses.

Je souligne sa capacité à rire des constructions sexistes des mondes, de l’idéologie sociale masculiniste, « Les petits riens comme les grands sauriens », des imaginaires normées pour que rien ne change dans la domination, des fantasmes masculinistes de bipède alpha et assassin, de la taxonomie hiérarchisante, de la glorification fantasmatique du tirex, des frontières construites et déplacées, « cette ligne mythifiée qui abrite la civilisation », des monstres qui éblouissent les petits garçons, de la jungle au prisme hollywoodien, des tartes à la crème du patriarcat, « Accuser la victime d’un viol d’avoir provoqué ce crime et la tragédie qui s’en suit est une des tartes à la crème du patriarcat »…

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Harcèlement sexuel environnemental, honte sur la direction du CHU (de Rennes)

[l’article qui suit est tiré du journal du syndicat Sud Bifisud n°52 (janvier 2022)]

Depuis plusieurs années, le syndicat SUD interpelle la direction au sujet des fresques de l’internat qui s’étalent sur des dizaines de mètres carré. Rien ne bouge. Le sexisme qui s’y dégage et auquel est confronté quotidiennement le personnel ne dérange pas la direction, bien que cette dernière ait une obligation de protection des salarié-es, et malgré l’affichage d’une charte contre le sexisme.
Sur les murs de l’internat de Pontchaillou la misogynie, la culture du viol, les violences sexuelles et le culte du phallus, sont l’environnement quotidien des gens qui y travaillent ou viennent y manger. On y voit Bridget Jones prise par Terminator, on y voit une femme ligotée façon sadomasochisme être le marteau dans un lancer de marteau, on y voit des scènes de zoophilie, de sexe à caractères racistes, et des graffitis obscènes comme « Un cul comme ça je le bourre », ou encore « Tu peux te vider dans la petite et la rousse te nettoie la bite ». Et ainsi de suite, tout cela sur des dizaines et des dizaines de mètres.
Il s’agit à la longue d’un contexte évident et caractérisé, de harcèlement sexuel environnemental, juridiquement injustifiable. Que ces fresques datent de plusieurs années importe peu, car elles participent du présent où les violences masculines sont courantes. Par ailleurs, que soient invoquées les dépenses qu’occasionnerait leur effacement est ridicule. Oui, la protection comme la santé du personnel coute de l’argent. Qualifier ces fresques d’érotique montre combien les imaginaires sexuels sont biberonnés au culte du porno et du phallus. Rien ne bouge.
Ces fresques sont une honte pour les professionnel-les de santé qui portent les valeurs de l’hôpital public. Mais la honte revient aujourd’hui à la direction qui laisse se perpétuer depuis des années le sanctuaire d’une « culture carabine » imbibée de la culture du viol. Son immobilisme avéré est affligeant et choquant. Signer une charte contre le sexisme est une chose, mais agir avec volontarisme en est une autre. Nous n’exigeons pas des mots mais des actes, sur ce sujet comme sur d’autres, en matière de protections des agents dans leur environnement de travail.
Une visibilité publique à grande échelle de ces fresques risque de porter un discrédit de plus sur une direction en flagrant délit de contradiction. Pour plus d’informations sur des pratiques d’un autre temps qui ne devraient plus exister aujourd’hui, « Silence sous la blouse » l’excellent ouvrage de Cécile Andrzejewski (éditions Fayard).

Un autre article ici : https://basta.media/fresques-pornographiques-CHU-Rennes-harcelement-sexuel-salle-de-garde-internes-hopital-public

Osez le féminisme ! (Communiqué de presse)

Osez le féminisme ! fait 200 signalements de vidéos illégales sur des sites pornographiques
Le 21 janvier 2021, Osez le féminisme ! a procédé à 200 signalements sur le site du ministère de l’Intérieur PHAROS. Les vidéos signalées sont des contenus illégaux hébergés par des sites pornographiques : actes de torture et de barbarie, incitations à commettre des crimes et des délits, pédocriminalité, viols, apologie de la haine raciale. Ces images intolérables contreviennent au droit pénal et international mais restent accessibles à toutes et à tous sur Internet.  Engagée depuis plus de 10 ans contre le système pornocriminel, l’association Osez le féminisme ! est partie civile dans ce qui se profile comme un procès historique en matière de violences sexistes et sexuelles avec 50 victimes identifiées, dont une trentaine bénéficient d’un accompagnement juridique, social et psychotraumatique par l’association, et potentiellement 500 hommes mis en cause. L’affaire “French Bukkake” a déjà un impact inédit avec 4 producteurs et 4 “acteurs” mis en examen en octobre 2021. Pour autant, les avancées restent trop timides au regard des dégâts considérables causés par l’industrie pornocriminelle.  La pornographie est une indutrie internationale multimiliardaire qui repose sur des activités illégales et sert d’alibi à des violences et humiliations extrêmes contre les filles et les femmes les plus vulnérables (femmes en situation de précarité économique, victimes de violences sexuelles, filles et femmes en zone de catastrophes humanitaires, etc.). Le consentement de ces femmes est extorqué, les vidéos des violences sexuelles qu’elles ont subies sont postées sur Internet, elles subissent des humiliations à grande échelle qui ont des conséquences physiques et psychologiques catastrophiques (prolapsus anaux et vaginaux, tentatives de suicide, brûlures, hospitalisations, etc.). Alors que ces réalités sont bien connues, les pouvoirs publics refusent de prendre leurs responsabilités. L’hégémonie et l’impunité des grandes entreprises productrices de contenus pornographiques reste immense : les victimes ont beau se tourner vers les autorités compétentes comme la CNIL, les vidéos postées sans leur accord restent en ligne et continuent de détruire leur vie.  Dans le même temps, l’impact sur la société toute entière est frappant. L’exposition des jeunes à ces contenus (l’âge moyen du premier visionnage d’une video  pornographique en France est situé entre 13 et 14 ans d’après l’IFOP) a des répercussions sur leur développement et la construction de leurs modèles sexuels, des comportements violents sont banalisés et reproduits, des crimes sont normalisés et érotisés. Nous dénonçons un deux poids deux mesures scandaleux : les vidéos que nous avons signalées sont de nature à susciter l’indignation dans n’importe quel contexte. Or, lorsqu’il s’agit de pornographie – et donc prétenduement de sexualité – tout semble devenir acceptable. Nous refusons cette hypocrisie coupable. Violence et sexualité ne doivent pas être mélangées, une ligne nette doit être tracée pour la protection de tou.te.s.  Osez le féminisme !, à travers la dénonciation de milliers de vidéos illégales dans 200 signalements sur le portail PHAROS, appelle le ministère de l’Intérieur à se saisir sérieusement du sujet des violences perpétrées et légitimées par le système pornocriminel.   
Osez le féminisme !

Le nombrilisme trans – pourquoi des allié-e-s deviennent des TERFS

Par Olivia Boustra.

Bien joué.

Vous avez amené un transfemme à être considéré comme suffisamment femme pour être admis dans une prison pour femmes. Vous avez mis un violeur dans une prison de femmes, et vous avez rendu ça acceptable. Vous avez laissé des femmes se faire harceler par un violeur jusqu’à… Vous avez rendu ça acceptable. Parce que la validation de la personne trans comptait plus.

Bien joué

Vous avez fait expulser deux femmes d’un refuge pour femmes. Sous prétexte qu’elles s’inquiétaient de la présence dans leur espace sécurisé d’un mâle intact (avec pénis et testicules). Parce que les sentiments de la personne trans avaient plus d’importance.

Bien joué.

Vous avez rendu « cool » le fait de menacer des femmes de violences. À partir du moment où vous la traitiez de « TERF », c’était normal. Elle le méritait. Une sale transphobe mérite d’être attaquée, n’est-ce pas ? Il est acceptable de battre des femmes à coups de poing lors de manifestations puisque c’étaient des TERFS…

Bien joué.

Vous tyrannisez les gens qui ne veulent pas baiser avec vous. Vous les qualifiez de transphobes. Parce que votre validation a plus d’importance.

Vous avez créé de nouvelles lois qui permettent à n’importe quel homme d’accéder aux espaces réservés aux femmes. Dès que cet homme déclare : « Je suis une femme », il est cru et admis. Ainsi, les espaces féminins, créés pour des raisons de sécurité, deviennent maintenant votre territoire. Parce que les personnes trans ont plus d’importance.

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Susan J. Brison : « Survivre à la violence sexuelle : une perspective philosophique »

[L’article de Susan J. Brison a été publié en 1993 dans le n°2 de la revue Projets Féministes, éditée alors par l’AVFT. Quelques rares exemplaires papier sont en ventes. Pour ce faire, prendre contact sur la page du blog destinée à ça. Le PDF de l’article est ici]

"Survivre à la violence sexuelle : Une perspective philosophique« [1]

Susan J. Brison,  Professeure de philosophie, Dartmouth college. U.S.A.

En tant que texte philosophique, ce que je présente ici est peu orthodoxe dans son style et son contenu. Mon but principal n’est pas de défendre une thèse à force d’arguments, mais plutôt de donner au lecteur accès par l’imagination à ce qui est, pour certaines, une expérience inimaginable, celle d’une survivante du viol. Le fait qu’il y ait si peu de textes philosophi­ques consacrés à la violence contre les femmes résulte non seulement d’un manque de compréhension de sa fréquence et de la gravité de ses consé­quences, mais aussi de l’idée fausse selon laquelle celle-ci ne constitue pas un sujet proprement philosophique. J’espère éclaircir dans cet essai la na­ture et la gravité du préjudice causé par la violence sexuelle et montrer en même temps pourquoi les philosophes devraient commencer à prendre plus au sérieux ce problème.

Le 4 juillet 1990, à dix heures et demie du matin, je suis sortie me pro­mener sur une route de campagne apparemment paisible, dans un village près de Grenoble. Il faisait un temps magnifique, et je n’enviais pas mon ma­ri, Tom, qui devait rester à la maison pour travailler sur un manuscrit avec un collègue français. Je chantais ; je me suis arrêtée pour caresser une chè­vre et pour cueillir quelques fraises des bois au bord de la route. Une heure et demi plus tard, j’étais étendue sur le ventre dans le lit boueux d’une pe­tite rivière au fond d’un ravin très sombre, me débattant pour ne pas mourir. J’avais été agrippée par derrière, tirée dans un sous-bois, battue, et agressée sexuellement. Me sentant absolument impuissante et à la merci de mon agresseur, je lui ai adressé la parole, l’appelant « Monsieur ». J’ai fait appel à son humanité et comme cela n’y faisait rien, j’en ai appelé à son intérêt per­sonnel. Il m’a traitée de putain et m’a dit de la fermer. Je lui avais dit que je ferais tout ce qu’il voulait, mais à mesure que l’agression se poursuivait, je résistais instinctivement, ce qui l’enrageait à tel point qu’il m’a étranglée jus­qu’à ce que je perde connaissance. Quand je suis revenue à moi, il m’a tirée dans le ravin en me traînant par les pieds. Souvent, lorsque je rêvais, je croyais être éveillée ; à ce moment-là j’étais éveillée et convaincue que c’é­tait un cauchemar. Mais ce n’était pas du tout un rêve.

Après m’avoir ordonné, d’une voix brusque à la Gestapo, de me mettre à quatre pattes, il m’a de nouveau étranglée. Si seulement je pouvais com­muniquer l’horreur que je ressentais de perdre connaissance, alors que mes instincts vitaux luttaient désespérément contre les effets de la strangulation. Cette fois, j’étais sûre que je mourais. Mais j’ai repris connaissance, pour aussitôt le voir s’avançant brusquement vers moi avec une pierre, grosse comme un melon. Il me l’a jetée violement et a atteint mon front, ce qui m’a fait perdre connaissance une nouvelle fois et puis, après une dernière tenta­tive de strangulation, il m’a laissée pour morte.

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« L’enfer des passes » un compte-rendu par Sandrine Goldschmidt

[Compte-rendu publié dans le n°210 de la revue Prostitution et société]

L’essai majeur de Rachel Moran, « Paid For », est enfin traduit en français, sous le titre « L’enfer des passes ». Il paraît le 12 novembre aux Editions Libre.

C’est peu dire que ce livre essai-témoignage de la survivante irlandaise Rachel Moran, « L’enfer des passes, mon expérience de la prostitution » est importante, et qu’on attendait depuis des années sa traduction. Reconnu par de nombreuses personnalités (Gloria Steinem, Catherine Mac Kinnon, Ashley Judd) comme l’un des plus importants jamais écrits sur la prostitution, il n’a, sept ans après, rien perdu de sa clairvoyance. 

La fondatrice de Space international, association de survivantes de la prostitution, commence le livre en racontant ce qui l’a menée à être prostituée : la maladie mentale de ses parents, la maltraitance, la rue, les foyers, puis le « petit copain proxénète ». « Différents éléments s’emboîtèrent parfaitement de sorte que la prostitution se présenta à moi comme étant la seule option qui me paraît viable »dit-elle. 

L’enfer des passes, un système fait pour les hommes

Tout au long de l’ouvrage, elle décortique à merveille le système qui l’a menée et maintenue en prostitution, et qui ne pénalisait pas les hommes prêts à payer une gamine de 15 ans pour du sexe. Elle refuse d’abord, pendant deux ans, autre chose que la masturbation et la fellation. Ce qui ne la protégea ni de la violence de la prostitution, ni du viol.  Puis, elle a accepté la pénétration et a connu toutes les formes de prostitution, de la rue au bordel en passant par le strip-tease. 

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Communiqué de presse d’Osez le féminisme ! :  Affaire Jacquie et Michel

 

Affaire Jacquie et Michel : 4 “acteurs” mis en examen pour viol, la fin de l’impunité !

Quatre “acteurs” de vidéos pornographiques sont mis en examen pour viols dans l’affaire French Bukkake : c’est une première historique en France. Après la mise en examen de deux producteurs (dont un, Matthieu Lauret qui est l’un des principal fournisseur français de films pour Dorcel et Jacques et Michel) en octobre 2020 pour viols et proxénétisme aggravés et traite des êtres humains, ces mises en examens constituent une étape fondamentale vers  la fin de l’impunité pour l’industrie pornocriminelle tout entière.  Nous saluons la force des victimes de violences pornocriminelles, dont la prise de parole courageuse contribuera à mettre à mal cette zone de non-droit.

  Ce 28 octobre 2021, nous avons appris la mise en examen pour viols de quatre “acteurs”, dont “Tonio Love” et “Eddy Blackone”. Cela fait suite à la mise en examen de deux producteurs de Jacquie et Michel et de Dorcel en octobre 2020 ainsi que deux de leurs complices. L’un d’entre eux était chargé de chasser et piéger des femmes pour alimenter  en « actrices  » cette industrie de la violence. 
Ce ne sont que les débuts d’une affaire historique pour laquelle plus de 50 victimes ont déjà été recensées. C’est toute l’organisation d’une industrie pornocriminelle qui est mise à nue : un vaste réseau de proxénétisme et de trafic d’êtres humains, soumettant des femmes à la prostitution, aux viols et à des actes de torture. 
Les “acteurs” se défendent en invoquant qu’un contrat a été signé pour preuve de “consentement”. La justice va se charger de leur rappeler la loi : le consentement ne s’achète pas avec un contrat ; tout acte sexuel commis par la contrainte, la violence, la menace ou la surprise est constitutif du crime de viol. 
Cette affaire est révélatrice de la violence structurelle de l’industrie pornocriminelle qui n’est rien d’autre qu’un vaste système de proxénétisme. La proposition de “charte” présentée par plusieurs producteurs de l’industrie pornocriminelle depuis la révélation de cette affaire ne fait pas illusion. Elle est une insulte à l’intelligence au regard des faits criminels commis sur ces “tournages”. Cette charte est la réponse malhonnête d’une industrie qui sait qu’elle est illégale. C’est la justice pour les victimes que nous demandons !
Depuis notre premier signalement à la justice en février 2020, nos associations féministes, Les effronté-es, le Mouvement du Nid, et Osez le Féminisme ! sont au côté des victimes de la pornocriminalité, et se battront pour mettre fin à l’impunité de l’industrie pornocriminelle. 
Le procès en France s’inscrit dans une dynamique mondiale de lutte contre les violences pornographiques. Ainsi, aux États-Unis, PornHub est attaqué pour diffusion de viols, de viols pédocriminels, de tortures, de violences sur des femmes et filles inconscientes… Suite à l’enquête du NY Times, “The children of Pornhub”, en décembre 2020, Pornhub a déjà retiré 75% des vidéos du site, et la lutte féministe s’amplifie aux États-Unis, comme en Inde, au Canada, en Espagne, en Corée… 

La pornographie est le summum de la violence misogyne contre les femmes et les filles. Selon la chercheuse Gail Dines, 88% des vidéos contiennent des scènes de violences sexuelles, alimentant le pire de la culture du viol. Outil de propagande patriarcale, la pornographie nourrit la haine misogyne contre les femmes et les filles, et les pires archétypes sexistes, lesbophobes, racistes et porteurs d’une idéologie pédocriminelle. Il ne peut y avoir de lutte contre les violences masculines sans inclure la lutte au côté des victimes du système pornocriminel. Notre société défend l’égalité et la réciprocité du désir, le système pornocriminel n’y a pas sa place.

Francine Sporenda : POURQUOI LES HOMMES ONT PEUR (de la sexualité libre) DES FEMMES

Francine Sporenda a étudié en licence et maîtrise à l’université Paris 3. Après un passage dans le journalisme, elle a repris ses études aux Etats-Unis pour un Master et un Ph.D.(doctorat), avec une spécialisation en histoire des idées politiques. Franco-américaine, elle a enseigné comme maître de conférences à l’école de sciences politiques (School of Advanced International Studies) de la Johns Hopkins University. Ex-membre du bureau des Chiennes de garde, elle est responsable rédactionnelle du site « Révolution féministe ». Elle vient de publier Survivre à la prostitution, ces voix qu’on ne veut pas entendre chez M éditeur.

 Les dominants ont peur des dominés

On sait que les hommes conventionnellement socialisés à la virilité ont peu de considération pour les femmes – sexisme bienveillant ou sexisme hostile –voire les détestent – misogynie. Mais derrière ces attitudes visibles, il y a un sentiment plus profond, caché, la peur qu’elles leur inspirent. Ils pourront, quand ils sont entre eux, admettre qu’ils les méprisent et les détestent mais ils ne peuvent pas reconnaître qu’ils en ont peur : un homme, censé être fort, courageux, indépendant, ne peut avouer sa peur des femmes sans ruiner son image virile. Et les hommes étant la classe de sexe qui détient le pouvoir, pourquoi auraient-ils peur de la catégorie qu’ils ont asservie et à laquelle ils se considèrent comme supérieurs ?

En fait, c’est justement pour cela qu’ils ont peur : en règle générale, les dominants ont toujours peur de ceux qu’ils ont asservis. Les maîtres avaient peur des esclaves, les colons se méfiaient des colonisés, les patrons craignaient les prolétaires. Et les hommes ont peur des femmes. Exemples :

Peur des propriétaires d’esclaves du Sud des Etats-Unis : sur leurs plantations, les Blancs étaient beaucoup moins nombreux que les esclaves, désavantage numérique expliquant leur hantise des conspirations et révoltes serviles. Des règles strictes étaient édictées pour empêcher autant que possible ces rebellions : interdiction faites aux esclaves de se réunir en « non-mixte » hors de la surveillance des Blancs, interdiction de sortir de la plantation, interdiction de posséder des armes, interdiction d’apprendre à lire et écrire, etc. On note que, pendant des siècles, les femmes ont été soumises à des interdictions similaires. Et cette peur était d’autant plus obsédante que les maîtres vivaient côte à côte avec leurs « esclaves de maison » et qu’à leur crainte d’être massacrés s’ajoutait celle d’être empoisonnés par leurs cuisinières et valets. Les colonisateurs vivaient pareillement dans la hantise des révoltes indigènes, et des mesures strictes, stipulées dans les codes indigènes, étaient également prises pour contrôler les colonisés et s’assurer de leur docilité.

La raison pour laquelle les dominants ont peur de ceux qu’ils ont réduits en servitude est évidente : ils savent obscurément que leur domination n’existe et ne se perpétue que par la coercition, la manipulation et la violence, et ils redoutent à juste titre que les dominé.es ne se rebellent contre leur tyrannie voire emploient pour s’en libérer les mêmes moyens qu’eux-mêmes ont employés pour l’imposer : l’arroseur arrosé. Ils ont pour habitude de représenter ceux-ci comme stupides, fourbes et cruels pour justifier leur asservissement et étouffer tout scrupule éthique : racisme et sexisme. On note que les peuples réduits en esclavage et colonisés sont souvent féminisés symboliquement : les caractéristiques qu’on leur attribue – fourberie, animalité, stupidité, infériorité biologique – sont celles stéréotypiquement attribuées aux femmes.

La peur des hommes vis-à-vis des femmes relève d’explications du même ordre – peur d’autant plus forte qu’entre les sexes l’intimité est exceptionnellement étroite. Cette proximité est ressentie comme rendant la perfidie féminine spécialement dangereuse : plus les relations sont intimes, plus grand est le risque de trahison. Et comme elles savent tout des faiblesses des hommes qu’elles côtoient, notamment sexuelles, les femmes sont régulièrement accusées d’en jouer pour les asservir : dans les mythologies et les textes religieux, les récits de héros guerriers « castrés » car devenus le jouet docile de femmes séduisantes sont nombreuses et enseignent aux hommes à se défier de ces dangereuses tentatrices – Hercule et Omphale, Samson et Dalila, etc. C’est aussi une histoire d’arroseur arrosé : ce que les hommes craignent au fond, c’est le retour de bâton, la vengeance kharmique des femmes – si elles venaient à se libérer de leur joug, ne les traiteraient-elles pas comme ils les ont traitées ? Et – fantasme d’un matriarcat triomphant – ne pourraient-elles pas un jour prendre le pouvoir, tant ils ne peuvent concevoir une organisation non-hiérarchique des relations sociales, hors du schéma patriarcal dominant-dominé ?

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Geneviève Duché : Etre victime

Cette expression [être victime] que des néo féministes voudraient supprimer au grand profit des auteurs de violences.

Dans ce blog, l’article « Ce n’est pas juste une blague » publié le 5 octobre 2021 annonce un guide pour lutter contre le harcèlement sexuel rédigé par l’association CLASHES (collectif de lutte contre le harcèlement sexuel dans l’enseignement supérieur).

Cette association créée en 2002 a recueilli, depuis, de nombreux témoignages de personnes et surtout de femmes à l’université, étudiantes, doctorantes, vacataires et parfois enseignantes titulaires, administratives ayant subi du harcèlement sexuel, effectivement non rare dans cette institution.

Merci donc pour ce guide et ce travail de prise de conscience dans un milieu qui préfère dans la plupart des cas, se taire, couvrir ces violences d’un voile d’une quasi complaisance, protéger l’agresseur plutôt que l’agressée.

Il est urgent d’intervenir ! Il est urgent que ça cesse !

Ce milieu se construit sur des dominations insupportables que j’ai pu observer en tant qu’enseignante chercheuse et en tant que chargée de mission au début des années 2000 pour l’égalité entre les femmes et les hommes à l’université. Il y avait du boulot et il y en a, hélas, encore. Exercice aisé de la domination par des enseignants sur des jeunes ou des administratives qu’ils dirigent en partie par statut, domination exercée vis-à-vis de celles et parfois de ceux qui ont un statut précaire, des études à réussir, des postes à obtenir ; ces possibilités, ces avenirs étant dans les mains de potentats jouissant de leur pouvoir. Le harcèlement moral est aussi fréquent dans ce milieu. A l’époque je n’ai jamais pu obtenir une reconnaissance complète des faits de harcèlement sexuel de la part des autorités dans une institution machiste où trop souvent le pouvoir syndical, le pouvoir de nommer, le pouvoir de donner une promotion sont utilisés pour agresser. Et les victimes, devant le chemin re-traumatisant et risqué, à parcourir, pour obtenir la reconnaissance des faits et des sanctions, finissent par abandonner ou n’osent pas parler. Une étudiante gravement atteinte par le harcèlement de son directeur de thèse a fini par obtenir un changement de directeur, mais le harceleur a conservé tous ses pouvoirs et ainsi peut recommencer. D’une manière générale les autorités ne veulent ou ne savent pas entendre, ne savent pas écouter dans une ambiance où finalement il semble normal que des enseignants et des chefs de service puissent utiliser leur lieu de travail comme lieu banalisé de drague et de marché sexuel et pour un certain nombre comme un dû à leur puissance et « grande intelligence ». J’ai connu une étudiante qui ne voulait pas dire à son directeur de thèse qu’elle vivait avec son compagnon pour ne pas le rendre jaloux. Pouvez-vous me dire ce que cela vient faire dans un accompagnement pédagogique et intellectuel ?

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Andrea Dworkin : La haine des femmes (présentation)

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Avec l’aimable autorisation de M éditeur

Ce livre est un acte, un acte politique dont la révolution est l’objectif. Il n’a pas d’autre fonction. Ce n’est pas une quelconque sagesse cérébrale ou une foutaise universitaire, ou des idées gravées dans le granit ou destinées à l’immortalité. Il fait partie d’un processus et son contexte est le changement. Il fait partie d’un mouvement planétaire visant à refondre les us communautaires et la conscience humaine pour que les gens acquièrent le pouvoir sur leurs vies, participent entièrement à la communauté et vivent dans la dignité et la liberté.

La volonté de mettre fin à la domination masculine comme fondement réel psychologique, politique et culturel sur nos vies sur Terre est l’engagement révolutionnaire de base. C’est un engagement pour la transformation du soi et de la réalité sociale à tous les échelons. Le cœur de cet ouvrage est une analyse du sexisme comme système de domination masculine, ce qu’il est, comment il fonctionne sur nous et en nous. Je veux aussi aborder brièvement deux problèmes, tangents à cette analyse, mais néanmoins cruciaux à l’élaboration du programme et de la conscience révolutionnaires. Le premier est la nature du mouvement des femmes en tant que tel et le deuxième a à voir avec le travail de l’écrivain·e.

Jusqu’à l’apparition de la brillante anthologie Sisterhood Is Powerful et de l’extraordinaire ouvrage de Kate Millett, La politique du mâle, les femmes ne se percevaient pas comme une population opprimée. Il faut admettre que la plupart des femmes n’ont toujours pas cette conscience. Mais le mouvement des femmes, comme mouvement radical de libération des femmes en Amérique, date de la parution de ces deux livres. Nous apprenons, en nous réappropriant notre hystoire, qu’il y a eu un mouvement des femmes qui s’est mobilisé en vue d’atteindre le droit de vote pour les femmes. Nous apprenons que ces féministes étaient aussi d’ardentes abolitionnistes. Les femmes ont fait leur coming out à titre d’abolitionnistes – sortant des placards, des cuisines et des chambres à coucher pour investir des réunions publiques, des journaux et les rues. Les héroïnes militantes du mouvement abolitionniste ont été des femmes noires, Sojourner Truth et Harriet Tubman, et elles demeurent des prototypes de modèles révolutionnaires.

Ces premières féministes amérikaines considéraient le suffrage comme la clé d’une participation à la démocratie et que, libres et affranchies, les ex-esclaves seraient réellement libres et affranchies. Ces femmes n’imaginaient pas que le suffrage serait, dans les faits, refusé aux Noir·es au prétexte de tests en compétence linguistique, de critères de propriété et de mesures de répression policière par des Blancs racistes. Elles n’imaginaient pas non plus la doctrine des « distincts, mais égaux » et l’usage qui en serait fait.

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Affaire Alexandra Richard La cour d’appel de Rouen emprisonne les victimes !

communiqué de presse


Alexandra Richard, condamnée en novembre dernier à 10 ans de prison pour avoir tué son conjoint violent, restera en prison jusqu’à sa comparution en appel le 19 octobre prochain au tribunal d’Evreux. Sa sixième demande de mise en liberté conditionnelle a été refusée par la cour d’appel de Rouen qui estime que sa libération pourrait engendrer « un trouble exceptionnel à l’ordre public » du fait de ses soutiens féministes !
Pendant trois ans, Alexandra Richard a subi de graves violences morales, physiques et sexuelles aux mains de Sébastien Gest, son conjoint à l’époque des faits. Ce dernier est allé jusqu’à la frapper dans le ventre avec son poing alors qu’elle était enceinte. Il la menaçait quotidiennement de mort, des menaces sérieuses étant donné qu’il possédait 7 ou 8 fusils au domicile, dont 1 sous le lit. De plus, il avait déjà tiré sur un homme et été incarcéré pour tentative d’homicide, gage de sa dangerosité.
Le jour du décès, Sébastien Gest a menacé de mort Alexandra Richard, ce qui l’a terrifiée. Quelques heures plus tôt, il lui avait demandé de choisir l’arme avec laquelle il allait la tuer. Elle a d’abord saisi un fusil pour le dissuader de la poursuivre. Mais il s’est précipité vers elle, a attrapé le canon de l’arme et le coup est parti. Ce tir était accidentel et la scène même relève de la légitime défense. Elle s’est déroulée dans un contexte où la violence montait crescendo et où la vie d’Alexandra et celles de ses enfants étaient en danger. 
Sébastien Gest était une véritable bombe à retardement dont elle aurait dû être protégée. À la place, on lui a reprochée de s’être défendue. On l’a blâmée pour son “fort caractère”. On l’a soupçonnée d’instrumentaliser la lutte contre les violences conjugales et de se faire passer pour “l’archétype de la victime”. Lors du procès, il a suffi de dénigrer sa personnalité pour décrédibiliser sa parole, minimiser, voire nier les violences et faire disparaître l’agresseur du récit, comme par magie. Un bel exemple de victim-blaming !
Le procès en appel d’Alexandra Richard se tiendra du 19 au 21 octobre au tribunal d’Evreux. La reconnaissance des violences conjugales, la compréhension de ses mécanismes et de ses conséquences psycho-traumatiques, ainsi que la reconnaissance du principe de légitime défense pour les femmes victimes de violences conjugales seront les grands enjeux de ce procès. Il ne doit pas se réduire, comme cela a été le cas l’an dernier, à un ramassis de propos sexistes, révélateurs du mépris viscéral des femmes encore ancré dans la société.  
Si la cour d’appel de Rouen n’a pas libéré Alexandra Richard, c’est parce qu’elle craint le tribunal médiatique. Or, il est essentiel que les projecteurs soient braqués sur cette affaire pour s’assurer qu’aucun déni de justice ne se produira dans l’ombre d’un tribunal et le silence des médias. Nous voulons que la vérité soit révélée lors de ce procès en appel. La vérité sur les violences intolérables que subissent les femmes dans le huis clos des foyers, la vérité sur la haine et le mépris que leur portent des agresseurs comme Sébastien Gest. C’est cette vérité-là, largement niée et occultée, que nous voulons voir éclater.
  Jacqueline Sauvage, Valérie Bacot, Alexandra Richard… Combien d’autres encore, injustement placées sur le banc des accusés ?

CONTRE L’INSTRUMENTALISATION DE LA JUSTICE PAR LES PÈRES VIOLENTS (communiqué de presse)

 CONTRE L’INSTRUMENTALISATION
DE LA JUSTICE PAR LES PÈRES VIOLENTS

Aujourd’hui, en France, les femmes victimes des violences masculines sont isolées et ne bénéficient d’aucun accompagnement. Souvent même, elles sont aussi victimes d’un déni de justice ! On ne connaît que trop bien les violences conjugales, mais que sait-on de la suite de ces violences ? Que se passe-t-il une fois qu’une femme a rassemblé son courage pour porter plainte ou sortir de la situation dangereuse dans laquelle ses enfants (le cas échéant) et elle se trouvent ? Nous souhaitons mettre en lumière ces parcours de “combattantes”, car non seulement les violences ne s’arrêtent pas à la plainte ou à la dénonciation de l’agresseur, mais se poursuivent bien trop souvent au-delà de la séparation. Les femmes subissent alors une instrumentalisation de la garde de leur(s) enfant(s) par le père violent ainsi que tout un lot de violences judiciaires, ce qu’on appelle violences secondaires. 

Ainsi, d’après l’étude d’Emmanuelle Mélan, criminologue, 79% des femmes sondées déclarent avoir subi des violences après séparation, dans certains cas, plus de 5 ans après la séparation. Par ailleurs, Ernestine Ronai indiquait dans une enquête menée en 2008 par l’Observatoire des violences envers les femmes du conseil départemental de la Seine-Saint-Denis en collaboration avec le Parquet du TGI de Bobigny que sur les 24 féminicides survenus sur le département entre 2005 et 2008, dans la moitié des cas, les assassinats s’étaient produits à l’occasion du droit de visite du père violent. La France manque cependant cruellement d’études récentes sur le phénomène des violences post-séparation.

Les violences post-séparation

Une des idées reçues dans le domaine des violences conjugales est que les femmes, dont celles qui sont mères, victimes de violences par leur ex-conjoint sont à l’abri de leur agresseur une fois sorties du mariage ou de la relation. Or c’est un continuum des violences qui s’opère. Toutes les femmes dont nous avons recueilli le récit témoignent avoir subi des violences après la séparation, que celles-ci soient d’ordre physiques ou psychologiques. Pire, lorsqu’il y a des enfants de cette union, le lien avec l’agresseur est maintenu et ces femmes subissent alors harcèlement, manipulation, menaces, chantage. Les violences envers les enfants deviennent alors un moyen de torturer la mère. C’est un stratagème utilisé par les ex-conjoints agresseurs pour se venger de leur ex. Ces hommes pensent que la femme et les enfants leur appartiennent et ils considèrent la séparation comme une trahison qu’ils veulent punir. Le principe est le même que pour les violences conjugales. 

Les médias ne font malheureusement pas état de ces violences post-séparation, dont les éléments de possession, contrôle et vengeance devraient pourtant être discutés. 

Les violences judiciaires 

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Aucun aménagement personnel dans le système du patriarcat ne mettra fin au gynocide (Compte-rendu du livre Notre sang d’Andrea Dworkin)

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[le livre n’est pas distribué en france, mais quelques exemplaires sont cependant commandables ; pour cela merci de m’écrire via la page contact de Scènes de l’avis quotidien ]

Je reproduis les deux « encarts » ouvrant le livre.

« Pour Barbara Deming

Je considère que si nous sommes prêtes à affronter nos colères qui nous semblent les plus personnelles, dans leur état brut, et nous nous donnons la tâche de traduire cette colère brute en une colère destinée à rechercher un changement, nous nous trouverons dans une position beaucoup plus persuasive pour interpeller les camarades sur la nécessité d’extirper de toute colère la volonté de meurtre. Barbara Deming, On Anger et We Cannot Live Without Our Lives »

« À la mémoire de Sojourner Truth

Alors, les femmes ne réclament pas la moitié d’un royaume, mais leurs droits, et elles ne les obtiennent pas. Quand elles viennent les exiger, n’entendez-vous pas comment les fils houspillent leurs mères comme des serpents, parce qu’elles réclament leurs droits ; et peuvent-elles demander quoi que ce soit de moins ? [] Mais nous aurons nos droits ; regardez voir si nous n’y arrivons pas ; et vous ne pouvez pas nous en empêcher ; regardez voir si vous en êtes capable. Vous pouvez houspiller autant que vous le voulez, mais c’est en train d’arriver. Sojourner Truth, 1853 »

Les grands éditeurs n’aiment pas le radicalisme des féministes. Une puissante autrice comme Andrea Dworkin n’a pas trouvé place dans leurs collections. Il a donc fallu plus de quarante ans pour que ce livre trouve enfin un petit éditeur québecois engagé pour que nous puissions en lire une traduction en français. Merci aussi à Yeun et à Martin.

« J’ai donc pris la parole en public – non pas avec l’étalage improvisé de pensées ou l’effusion de sentiments, mais avec une prose façonnée pour informer, persuader, perturber, provoquer la reconnaissance, autoriser la rage ».

Dans sa préface, preface-dandrea-dworkin-a-son-livre-notre-sang-predictions-et-discours-sur-la-politique-sexuelle/, publiée avec l’aimable autorisation de M éditeur, Andrea Dworkin aborde, entre autres, l’absence d’édition de ses travaux, ses conférences, la réception de son livre Woman Hating. Elle présente les contextes et les textes ici rassemblés. L’autrice parle aussi du travail d’écriture, de « la présomption systématique d’appropriation masculine du corps et du travail des femmes, la réalité matérielle de cette possession, la dévalorisation économique du travail des femmes », d’écriture « pour une voix humaine »…

Un ensemble de conférences et de textes publiés en 1974 et 1975 :

  • Le féminisme, l’art et ma mère Sylvia
  • Renoncer à l’« égalité » sexuelle
  • Se souvenir des sorcières
  • L’atrocité du viol et le gars d’à côté
  • La politique sexuelle de la peur et du courage
  • Redéfinir la non-violence
  • Fierté lesbienne
  • Notre sang : l’esclavage des femmes en Amérike
  • La cause première
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Interview du Fou allié par Francine Sporenda : « Comment devenir un allié féministe »

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Les alliés du féminisme suscitent autant d’espoir et que de méfiance chez les féministes, le Fou allié s’explique

FS : Les alliés du féminisme ont assez mauvaise réputation dans le mouvement féministe. Pourquoi selon vous ?

FA : Je pense que les stéréotypes sexistes de genres appliqués aux hommes créent des individus sûrs de leur légitimité et de l’importance de leurs croyances ou de leurs avis. En groupe, cela nous donne une sensation de toute-puissance, sans doute légitimée par l’hyper représentation masculine des hommes dans tous les domaines de la société. Quel que soit notre champ de compétence, nous avons tendance à donner notre avis sur n’importe quel sujet. Je pense que dans le féminisme, nous nous comportons exactement de la même façon. Si on ajoute à cela les violences des hommes subies par les femmes, point central de leurs luttes, je comprends aisément que notre présence ne soit pas appréciée.

FS : Les féministes ont observé que certains alliés s’engagent dans des mouvements féministes mixtes pour des raisons qui ont peu à voir avec le soutien au féminisme. Qu’est-ce que viennent chercher ces hommes dans ces mouvements, pourquoi veulent-ils absolument y entrer ?

FA : Je pense que beaucoup d’hommes, de façon générale, ont du mal à accepter que certains domaines ne les concernent pas, et que les femmes puissent avancer sans eux. J’imagine qu’il y a une forme d’égocentrisme très forte là-dedans, voire une forme de manipulation et de violence à vouloir à tout prix d’essayer d’infiltrer ces milieux-là. J’avoue le voir d’un œil très négatif, c’est une démarche presque perverse, je vois ça comme une volonté de reprendre le pouvoir, les mouvements féministes représentent pour eux une sorte de défi, je ne sais pas si vous voyez ce que je veux dire…

FS : Je vois très bien ce que vous voulez dire : ils n’acceptent pas un « non » féminin, que des femmes leur disent : « vous n’avez pas le droit d’entrer », pour eux, c’est intolérable…

FA : Ils n’acceptent pas, c’est ça, cette impression qu’on les dépossède de leur pouvoir légitime à donner leur avis dans tous les domaines, y compris le féminisme, j’y vois une forme d’ego, voire de violence.  

FS : Etes-vous pour ou contre les mouvements féministes non-mixtes, et pourquoi ? Quels sont les problèmes que pose la présence d’hommes dans les groupes féministes ?

FA : La non-mixité me semble absolument essentielle sur les questions féministes. Un espace sain, sans agresseur potentiel, rassemblant des personnes qui ont un vécu commun en ce qui concerne les violences masculines, je pense qu’il faut le respecter absolument. Je suis persuadé que la présence des hommes engendre automatiquement une modification des comportements des femmes, de défense. S’en apercevoir, ne pas le prendre à cœur et le respecter paraît être la moindre des choses.

FS : Mais est-ce qu’il y a aussi une place, un rôle à jouer pour les mouvements mixtes, à côté des mouvements non-mixtes, et lequel ?

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